Rideaux baissés, portes fermées, croix verte éteinte. Il était particulièrement difficile de se procurer des médicaments, jeudi dernier dans l’Hexagone. Neuf pharmacies sur dix étaient fermées. Une grève massive, motivée par des demandes salariales, le refus d’une libéralisation du marché et l’urgence de mettre fin aux pénuries qui persistent dans le pays.
“Médicaments en pénurie, patients à l’agonie”, pouvait-on ainsi lire dans les cortèges. Un slogan particulièrement bien senti : complications, erreurs, décès… publiée le 15 mai dernier dans la revue European Association of Hospital Pharmacists, une étude révèle d’importantes conséquences sanitaires liées aux problèmes d’approvisionnement.
En 2023, 5 000 médicaments ont été rapportés en “rupture” ou en “risque de rupture” par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ils n’étaient que 3 761 en 2022, et 2 160 l’année précédente. Loin d’être un simple désagrément, qui oblige à courir d’une pharmacie à l’autre, cette publication démontre que ces tensions sur les approvisionnements peuvent entraîner des conséquences graves sur la santé. Y compris quand, comme dans la plupart des cas, des solutions de substitution sont trouvées.
224 incidents en deux ans
Sur la période 2020-2021, 224 incidents imputables aux pénuries ont été recensés. Dans 59 % des cas, il s’agissait d’effets indésirables liés à un changement de traitement, et d’erreurs médicamenteuses pour près d’un quart d’entre eux, pointent les auteurs, des pharmacologues spécialisés dans la pharmacovigilance (la surveillance des médicaments).
Ces complications restent rares au regard du nombre de patients traités chaque année, mais elles peuvent se révéler dramatiques. Une autre étude des mêmes auteurs, parue en 2023 dansBritish journal of clinical pharmacology, le souligne. Une trentaine de personnes ont ainsi été en danger de mort sur la période 1985-2019. “Le fait de remplacer un médicament par un autre n’est pas anodin”, souligne Aurélie Grandvuillemin, pharmacologue au CHU de Dijon, une des coauteurs des deux publications.
Un patient, habitué à prendre l’entièreté d’une boîte pour son traitement contre le cancer, n’avait pas compris qu’il avait changé. Il est décédé, après une surdose. Un autre a vu sa peau boursoufler, il était allergique à la substitution, un hypertenseur de la même famille. Et il y a toutes ces conséquences en chaîne, difficilement prévisibles : à cause d’un manque d’antihistaminique, un patient a déclenché une allergie à sa chimiothérapie et a dû l’arrêter.
Des décès et des complications
Du fait de traitements complexes, multiples et longs, les malades du cancer sont les principaux affectés, expliquait Joël Ankri, professeur émérite à l’université Paris-Saclay, en 2022 dans Actualité et dossier en santé publique. “Malgré l’existence de médicaments de substitution, les pénuries entraînent une perte de chance pour les patients et […] une détérioration de la survie à cinq ans”, écrivait-il, citant une étude déclarative réalisée par la Ligue contre le cancer menée en 2019, alors que les pénuries étaient encore rares.
Les ruptures poussent aussi les soignants à s’écarter des circuits habituels, ce qui augmente le risque de tomber sur des produits contrefaits ou de mauvaise qualité. “Il y a donc de vraies actions à mener, ne serait-ce qu’en sécurisant les alternatives, en améliorant l’information au patient et les systèmes de surveillance”, indique la pharmacologue Aurélie Grandvuillemin. D’autant que dans 18 % des incidents rapportés, le médicament en cause n’avait pas fait l’objet de signalement.
L’enjeu d’une liste scientifique
“Les conséquences ne sont pas uniquement liées aux médicaments inscrits sur les listes de produits d’intérêt thérapeutique majeur ou de médicaments essentiels”, a également rappelé la Société française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT), dans un avis du 27 mai, émis en réaction à la publication de l’étude du réseau de pharmacovigilance. Le texte plaide pour des mesures supplémentaires de lutte contre les pénuries, alors qu’au début de l’année 2024, une nouvelle “feuille de route” avait déjà été annoncée par l’exécutif, avec des relocalisations et des hausses de prix d’achat.
Une liste des médicaments “essentiels” a également été publiée par le ministère de la Santé, pour renforcer la surveillance. Mais de nombreux scientifiques se sont inquiétés de sa fiabilité. “Nous devons prendre conscience de l’enjeu d’établir des critères de sélection sérieux, scientifiques, basés non pas sur des critères industriels, mais bien médicaux”, estime Pr Mathieu Molimard, pharmacologue au CHU de Bordeaux, et porte-parole de la SFPT. Ces études récentes pourraient aider.
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