Sur les hauteurs de la cité des Anges, la vieille dame se déploie en majesté. En apparence, rien n’y a changé depuis la Belle Epoque qui la vit s’édifier sous l’impulsion d’un pâtissier prospère de Nice. Avant, des années plus tard, d’être laissée à l’abandon, squattée, taguée, envahie par les fissures et les chauves-souris. Au prix de 1 000 rebondissements, ses plus proches voisins, Hélène et François Fincker, ont fini par faire l’acquisition de la belle endormie en 2003 pour y créer un lieu d’art alternatif. La Villa Cameline, son nom d’origine, est alors devenue la Maison abandonnée. Comprendre “abandonnée à la créativité des artistes”.
Ni musée ni substitut de galerie, la demeure leur offre un tremplin vers la reconnaissance et un écrin resté dans son jus auquel ils ont pour seule contrainte de ne pas toucher. Aux antipodes de la White box et au fil des années se sont succédé entre ces murs défraîchis aux boiseries écaillées, sublimés par un plafond cathédrale et des lustres en perles de verre, installations, performances et Cabinets en tous genres – érotique, névrotique, démocratique…
Sans autre boussole que leur goût pour l’art et les affinités instinctives, les Fincker, qui sont, à la ville, expert en médecine nucléaire et professionnelle de la communication culturelle, ont déjà accueilli ici plus de 300 artistes et une soixantaine d’expositions. La Maison abandonnée est désormais un acteur à part entière de la sphère artistique du Sud de la France. Et bientôt au-delà si l’on en croit l’ambitieuse réunion qui s’y ouvre ce 7 juin et que l’on pourra découvrir jusqu’au 13 juillet. Elle est le fruit d’une collaboration entre la Maison et la Salle Alfred-Pellan de Laval, au Québec, qui recevra à son tour l’exposition à partir de septembre.
Humanité vulnérable
Sous le commissariat d’Hélène Fincker, à Nice, et de Jasmine Colizza, à Laval, huit artistes canadiens et français ont planché sur une thématique complexe : L’Eternité, si possible. Un prolongement au Cabinet atomique présenté ici en 2018, qui abordait, par le biais de l’art, les dangers banalisés du fait nucléaire : centrales ancrées dans le paysage, essais en Corée du Nord et en Polynésie, gestion des déchets radioactifs… Depuis, la pandémie, l’urgence climatique et la menace d’une guerre nucléaire se sont invitées au débat.
Comment l’humanité peut-elle réfléchir à la notion de survivance face à ces multiples sources de risques qui s’additionnent et creusent un peu plus sa vulnérabilité ? “Les œuvres interrogent la disparition de nos modes de vie en affichant un passé irréversible, un présent préoccupant et un futur incertain, tout en illustrant ce puissant désir inhérent à l’humain occidental, celui d’être éternel”, expliquent les commissaires.
Ainsi, le temps, la lumière et la gravitation sont au cœur de l’engrenage suspendu de roche, de sable et de métal aux formes sphériques mis en mouvement par le jeune Niçois Tom Barbagli qui fait naître la poésie de l’ingénierie. La Montérégienne Chloé Beaulac, quant à elle, documente, telle une ethnologue, les mutations de la nature à travers une création multidisciplinaire mêlant estampe, photographie, dessin ou sculpture, tandis que son compatriote Martin Bureau pointe les désordres du monde en associant recherche en géopolitique, cinéma documentaire, peinture et vidéo. C’est sans doute lui qui offre l’interprétation la plus pessimiste de cette Eternité, si possible, avec la mise en forme, vertigineuse, d’une “poétique du désastre”.
“L’Eternité, si possible”, du 7 juin au 13 juillet 2024, exposition franco-canadienne à La Maison Abandonnée [Villa Cameline], à Nice.
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