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Désinformation avant les européennes : le 9 juin, véritable crash test pour TikTok

“Ici, c’est un peu la Cour de justice, où l’on s’assure que les contenus liés aux élections respectent bien nos règles. Là-bas, ce sont nos pompiers : cette équipe intervient immédiatement en cas d’incident.” Lorenzo Andreozzi, chef de projet chez TikTok, entraîne L’Express dans une minutieuse présentation du Mission Control Center – ou centre de contrôle de mission, en VF -, situé dans son siège de Dublin, en Irlande. Une dénomination que l’on pensait réservée aux opérations périlleuses, comme les décollages de fusées lancées à plus de 40 000 kilomètres-heure vers l’obscurité profonde de l’espace, mais qui s’applique ici à la modération du scrutin européen prévu ce week-end sur le continent. Un évènement critique pour un réseau social aussi populaire que TikTok.

“C’est l’élection la plus compliquée au monde, avec 27 pays votant en même temps, dans des systèmes et des langues différentes”, indique Lorenzo Andreozzi. La mise en scène est volontairement travaillée : la pièce, quelque peu austère, est densément peuplée, avec une cinquantaine de jeunes employés – data-scientists, analystes, fact-checkeurs… – serrés sur de maigres bureaux où les coudes des uns touchent presque ceux des autres. Sur les murs, des cartes de l’Europe projetées avec le nombre de contenus modérés par pays, actualisées en direct – sauf, pour des raisons de discrétion, lors de la visite. Hormis la voix du présentateur règne le silence des cliquetis de souris.Les regards sont rivés sur les tableaux de bord affichés à l’écran, prêts à s’illuminer à la moindre étrangeté : une vidéo qui prendrait subitement une ampleur folle, des centaines de commentaires similaires douteux publiés simultanément…

Cette ambiance tendue tranche avec la “coolitude” des locaux modernes et lumineux des “Docks”, au bord de la Liffey, où ont élu domicile la plupart des entreprises tech américaines et chinoises opérant en Europe. Le “Mission Control” ne dort jamais, “suit le soleil”, souligne le guide : quand il se couche en Irlande, d’autres équipes prennent le relais ailleurs dans le monde, scrutant toute alerte venant de ses milliers de modérateurs. TikTok revendique la suppression de plus de 95 % des contenus violant ses règles avant même qu’une seule personne ait pu les visionner, et la mise au jour de 15 opérations d’influence, à travers 3 001 comptes associés, depuis le début de l’année.

“Personne n’en fait autant que nous”

Le réseau social d’origine chinoise ouvre rarement ses portes. Mais il se sait très surveillé. Par le DSA (Digital Services Act), la législation numérique de l’Union européenne. Par les nations elles-mêmes, dont la France, vigilante face aux ingérences étrangères, notamment informationnelles, à travers ce type d’application en apparence ludique. Enfin, parce que sa crédibilité reste à démontrer.

La veille de notre visite, une ONG britannique, Global Witness, a mis en doute la capacité de TikTok à se montrer efficace pour traiter la désinformation. Parmi 16 publicités proposées sur la plateforme à destination du public irlandais et contenant des informations erronées sur les élections, toutes ont été validées par les équipes de TikTok. Ce qui n’a pas été le cas sur YouTube ou X (ex-Twitter). “Une erreur de modération humaine”, a plaidé auprès de L’Express Susan Moss, cheffe de la politique publique et des relations gouvernementales en Irlande, qui assure par ailleurs que le problème a été vite traité.

Les bureaux de TikTok à Dublin, près des Docks où sont installées de nombreuses entreprises de la tech.

Malgré des efforts de transparence, TikTok peine encore à convaincre. Sur les sujets de désinformation, au vu de l’ampleur de la tâche, mais pas seulement. Le réseau, épinglé pour sa version “Lite”, qu’il a dû retirer, fait l’objet d’une enquête européenne concernant la protection des mineurs. L’autre dossier brûlant concerne la sécurité des données personnelles.

A Dublin, TikTok n’a pas su donner une échéance pour la localisation, sur le continent, des précieuses “data” de ses 140 millions d’utilisateurs européens. Elles se trouvent, pour l’heure, aux Etats-Unis, à Singapour ou en Malaisie. Trois centres de données doivent un jour prendre le relais en Irlande, ainsi qu’en Norvège, dans le cadre du projet baptisé Clover (Trèfle), pour lequel TikTok investit 12 milliards de dollars. La compagnie a par ailleurs du mal à expliquer de manière claire quelles informations y seront stockées et protégées. Puis lesquelles pourront être transférées ailleurs, notamment pour des questions de fiabilité du service délivré presque partout dans le monde, hors Chine, et d’amélioration de son algorithme de recommandation, dont la recette secrète est jalousement gardée.

Des doutes subsistent, enfin, sur le lieu où sont prises les décisions en la matière. Est-ce essentiellement en Chine ? L’été dernier, un rapport sénatorial français, très critique sur l’application, pointait du doigt Clover, le jugeant “insuffisant” : “La localisation des infrastructures de stockage et de traitement des données n’est qu’un élément d’une chaîne de valeur plus vaste et plus complexe, qui peut conduire, in fine, à soumettre les données des utilisateurs européens à des législations extraterritoriales.” Dont celles de la Chine.

TikTok mise sur son récent partenariat avec un auditeur indépendant, le spécialiste de la cybersécurité britannique NCC Group, afin de surveiller ses flux de données. Et définitivement faire taire les critiques, bien que le choix d’une société non-européenne – pour la protection des données des Européens… – puisse une fois de plus interroger. Dans Le Figaro, Stephen Bailey, le directeur confidentialité de NCC, évoque des “barrières numériques” placées autour des données des utilisateurs, de même qu’un contrôle “en temps réel du code source ainsi que de toutes les mises à jour apportées”. Depuis la capitale irlandaise, TikTok indique que ce travail a déjà commencé. Et que NCC était même “libre de rencontrer des gouvernements”.

Face aux questions posées sur son indépendance vis-à-vis de la Chine, TikTok semble éprouver une certaine lassitude. “Personne n’en fait autant que nous”, soufflent ses responsables. Oubliant peut-être, les défis nouveaux que pose ce réseau aux yeux de l’Europe et du monde entier.





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