“Je ne dissoudrai pas, en ce moment, l’Assemblée nationale”. Cette phrase, c’est celle écrite par Charles de Gaulle, sur un premier brouillon de son discours du 30 mai 1968. Phrase biffée et remplacée par “Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale”. On connaît la suite : les élections des 23 et 30 juin vont non seulement mettre fin à la crise politique de mai 1968 mais déboucher sur un raz de marée gaulliste, avec 293 sièges de députés sur les 487 de l’assemblée.
Emmanuel Macron a-t-il connu, ce dimanche 9 juin, ce même moment d’hésitation, avant de faire à 21 h 02, devant les Français, table rase du paysage politique national ? Croit-il, lui aussi, dans cette magie des urnes, capable de transformer le chaos politique à l’œuvre dans notre pays depuis 2022 en une vraie majorité ? Ou alors est-il prêt à jouer le tout pour le tout, quitte à ouvrir en grand les portes de Matignon à Jordan Bardella ?
Redonner la parole au peuple n’est jamais une mauvaise idée. Dans un pays qui a mal à sa démocratie, on peut difficilement reprocher à son chef de placer les électeurs face à leurs responsabilités. De les laisser choisir, au nom l’article 12 de la Constitution, leur destin, que celui-ci exhale le goût rance de l’extrême droite, suinte l’outrance de l’extrême gauche ou distille les effluves démodés des partis incapables de se renouveler. Mais les Français vont-ils être en mesure de réinventer la politique en à peine vingt jours, comme leur propose Emmanuel Macron ?
“En politique, ce qu’il y a souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c’est ce qui se passe sous nos yeux”, disait Alexis de Tocqueville. Et malheureusement le spectacle relève plus de la tambouille politicienne de la IVe République qu’à l’émergence d’un esprit de résistance citoyenne. “On va livrer bataille”, assurent ministres et députés de la majorité, la voix tremblante, au vu des scores locaux impressionnants réalisés par les candidats du Rassemblement national.
Un revers pour la France
Mais n’est-ce pas précisément cette bataille que le jeune président de la République s’était déjà engagé à mener, le 7 mai 2017, quand, devant la pyramide du Louvre, il promettait “l’unité de notre peuple et de notre pays”, allant jusqu’à assurer aux électeurs de Marine Le Pen de “faire tout pendant les cinq ans qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes”?
Ce combat, Emmanuel Macron l’a perdu. “Le résultat des élections, ce n’est pas un bon résultat pour les partis qui défendent l’Europe, dont celui de la majorité présidentielle”, a-t-il admis. Non seulement ce n’est pas un bon résultat, mais ces presque 40 % d’électeurs optant pour l’extrême droite signent un revers pour la France, une gifle pour le chef de l’Etat. Ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande n’avaient autant fait grandir le RN. Mais sans doute aucun d’entre eux n’avait autant joué avec le feu. S’il veut à tout prix empêcher le 7 juillet de ressembler à un sombre dimanche, Emmanuel Macron doit comprendre que les dés de la France ne sont pas tous entre ses mains.
Source