Annie Genevard est une femme prévoyante. Du genre à garder sur elle un double des clefs du siège des Républicains (LR). On ne sait jamais, la vie politique est si imprévisible. Ce mercredi 12 juin, la députée du Doubs ouvre à 17 heures la lourde porte bleue de l’enceinte, en plein cœur de Paris. La voilà dans la forteresse assiégée d’Éric Ciotti, qui avait demandé à tous les permanents du parti de quitter les lieux dès midi. “Notre maison”, se réjouit l’élue.
Qu’on se le dise : Annie Genevard est ici chez elle. Avec François-Xavier Bellamy, elle vient d’être désignée pour assurer la succession d’Éric Ciotti, exclu du mouvement quelques minutes plus tôt pour avoir amorcé une “alliance” avec le Rassemblement national. La sanction a été prise à l’unanimité par un Bureau politique du parti. Aussitôt, un communiqué tombe. “Les Républicains condamnent les décisions illégales de la réunion convoquée ce jour”. Arguments juridiques à l’appui, le texte conforte Éric Ciotti dans son statut de président de LR. Vous n’y comprenez rien ? C’est normal. La droite républicaine a vécu l’une des journées les plus loufoques de son existence. S’y entremêlent le comique du vaudeville et la dramaturgie d’un parti au bord de l’abîme. Des conflits de légitimité qui tournent à l’absurde.
“Non, je ne te donne rien”
Éric Ciotti n’est pas venu au siège des Républicains. Où est-il ? Mystère. Réfugié à la questure de l’Assemblée nationale, soupçonnent certains. A quoi bon se rendre à son bureau ? Le député est un homme seul. Son appel à un accord avec le RN l’a cornérisé. Auprès de tous les cadres, qui demandent son départ à l’unisson. Auprès des permanents du parti, qui répudient leur chef. De la quarantaine de salariés du siège, seuls trois restent fidèles au Niçois. Ce dernier a perdu plusieurs collaborateurs proches, furieux de ce pacte avec le diable. Ils l’ont appris au dernier moment. L’un d’entre eux a même été mis au parfum par un collaborateur RN. Beaucoup de salariés sont depuis en télétravail.
Comme un air de mutinerie. Le tout puissant Éric Ciotti est défié par de simples employés. Il demande mardi à l’une d’eux des documents sur les législatives à venir. “Non, je ne te donne rien.” L’homme essaie de mettre sur pied une enquête en ligne pour sonder les militants LR sur l’accord avec le RN. Même succès. “Personne ne sait faire cela autour de lui, donc ils n’ont pas pu le faire”, se marre un permanent. Eric Ciotti souhaitait qu’un visuel vante sur les réseaux sociaux l’accord avec le RN. Il ne verra pas le jour. La guérilla est numérique. Un salarié a modifié les mots de passes du compte X (ex-Twitter) de LR. Il les garde pour lui… comme les appareils photos du parti, conservés dans un bureau fermé à double tour. Plusieurs salariés évoquent les appels en rafale du patron déchu, impuissant face à la rébellion. Même sa boite mail professionnel lui est indisponible.
“Faut l’interner”
Mais Éric Ciotti ne lâche rien. Sa légitimité, il ne la tient que des militants. Il en est convaincu : eux soutiennent un rapprochement avec Marine Le Pen. Et tant pis pour ces cégétistes d’un jour ! Peu avant midi, les salariés sont invités par mail à quitter le siège du parti. Officiellement, pour des raisons de sécurité. A quand les barricades ? “Faut l’interner”, “Il est dans un bunker”, “Human Bomb”… Les députés rivalisent alors de métaphores, à mi-chemin entre fou rire et consternation.
L’accusé ne cède pas. Il aura bien droit à un procès. A midi, les ténors du parti se retrouvent pour déjeuner. Laurent Wauquiez est là, tout comme François-Xavier Bellamy, Gérard Larcher, et les présidents des groupes parlementaires Olivier Marleix et Bruno Retailleau. Tiens, Michèle Tabarot aussi. La “présidente” de la Commission nationale d’investiture (CNI) a appris son éviction de ce poste stratégique, par un mail envoyé mardi à 23 heures. Elle n’a guère apprécié. Pas plus qu’elle n’a aimé apprendre après l’atterrissage de son avion à Paris qu’Éric Ciotti venait d’avancer de quelques heures l’annonce de l’alliance. Elle n’a pas pu échanger avec lui. Au moins Laurent Wauquiez a eu droit à un coup de fil quelques minutes avant le JT de TF1, après tant d’appels restés dans le vide. A table, les ténors aiguisent leur stratégie. On évoque le remplacement d’Éric Ciotti et l’épineux dossier des investitures aux législatives. Une urgence : éviter, à tout prix, le drame de l’opposition de candidatures LR “sauce Ciotti” et LR indépendants.
Les notes de Larcher
Accusé, levez-vous ! A 15 heures, le bureau politique du parti s’ouvre, à deux pas du siège de LR. Éric Ciotti n’est pas là. Enfin presque. Au moins un huissier a été mandaté par la direction du parti pour constater l’irrégularité de cette réunion. Ses organisateurs admettent que l’exécution d’Éric Ciotti n’est pas dans les clous juridiques. Un nouveau “BP” sera convoqué dans les prochains jours pour la mise en bière. Mais qu’importe. Seule compte la force de l’image. Une droite enfin réunie, opposée à la démarche solitaire de son chef. Dans la salle, l’unanimité règne. Le président du Sénat Gérard Larcher est taquin. Se saisit d’un papier. Lit le verbatim – il l’a lui même écrit – d’une réunion stratégique autour d’Eric Ciotti lundi soir. “Nous devons être indépendants dans ce scrutin”, insistait en substance l’Azuréen.
Peu avant 17 heures, le bourreau fait son office. Éric Ciotti est exclu de LR, Michèle Tabarot est rétablie dans ses fonctions. L’audience est levée. L’avocat général Laurent Wauquiez dénonce devant les caméras ces “petites alliances d’arrière-boutique”, à rebours d’une “droite indépendante”. Mais Éric Ciotti n’accepte pas sa peine. Le droit est son bouclier, les adhérents LR sont son épée. Il dénonce une sanction irrégulière et en appelle à ses troupes. Une pétition vantant le “rassemblement des droites” est alors adressée aux militants. “Plus de 10 000 signatures”, s’enthousiasme son entourage. Prière de le croire. Le député des Alpes-Maritimes a défendu ce mercredi sur Cnews une “consultation” des adhérents et l’organisation d’un Congrès après les élections législatives. “Il faut savoir avoir raison contre tous les autres”, a-t-il assuré, défendant la formation d’une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale.
Contentieux en gestation
Il jure ne pas être seul, et affirme qu’autour de 80 candidats LR seront soutenus par le RN aux législatives. L’homme n’a pas renoncé à son titre de président des Républicains, et agit comme tel. Distribue les investitures du haut de son Olympe. Ses adversaires aimeraient le ramener sur terre. A 17 heures, une CNI est organisée, sans lui. 59 des 61 députés sortants LR ont le feu vert pour repartir au combat les 30 juin et 7 juillet. Eric Ciotti et Christelle D’intorni, une proche, ne sont pas investis. On passera ici sous silence l’aride débat juridique et les contentieux en gestation. Mais la donne est simple. Un conflit de légitimité se dessine entre Eric Ciotti et ses rivaux. Chacun prépare dans son coin les législatives, avec le risque de candidatures concurrentes. Les investitures aux législatives seront closes dimanche. Avec, ainsi, une première indication de la bataille stratégique à venir.
Curieuse journée. La droite a affiché une inédite image d’unité. Et renforcé – en apparence du moins – son indépendance envers l’extrême droite. Mais cette image a un prix : une séquence aux airs de telenovela, et une image brouillée. “Certains électeurs vont nous reprocher un deal que nous n’avons pas conclu, et d’autres nous reprocheront de ne pas l’avoir fait”, lâche un sénateur. La crise existentielle, toujours.
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