D’après ce que l’on peut savoir, plusieurs personnes, dont Gabriel Attal ou Yaël Braun-Pivet, ont tenté de dissuader Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale. Rien n’y a fait, de sorte qu’il est permis de s’interroger sur les raisons fondamentales qui ont conduit le chef de l’Etat à cette conclusion, car c’est bien là la décision d’un homme et de quelques proches conseillers. C’est pourquoi la psychologie et le fonctionnement même de l’esprit du président n’ont jamais autant donné lieu aux analyses de tous ceux qui s’intéressent aux questions politiques.
L’une des interprétations les plus courantes est l’infantilisation d’Emmanuel Macron. On imagine qu’il aurait agi par frustration et volonté de punir des oppositions peu conciliantes. Sans le savoir peut-être, ces commentateurs pourraient citer les écrits d’Alain dans son livre Les Idées et les Ages, qui soulignait que l’enfant n’a d’autres moyens pour agir que de se servir des adultes. Pour cette raison, ses colères et les signes qu’il envoie aux géants qui veillent sur le monde lui paraissent dotés d’un pouvoir. De là que, devenu adulte, l’individu, lorsqu’il ne s’est pas affranchi d’une certaine puérilité, continue à croire qu’il peut agir sur les choses de cette façon.
C’est un jugement sévère, mais l’on peut au moins s’accorder sur le fait que notre président n’a guère donné de signes qu’il avait renoncé à essentialiser sa victoire à la présidentielle. J’avais eu l’occasion d’écrire, dans les pages du Point, dès juin 2017, que le risque majeur qui pesait sur lui était d’oublier qu’en plus de son mérite, une suite de hasards l’avait conduit au pouvoir. Dès lors, le danger était de se fier de façon exaltée à ses intuitions sans ménager assez ce que l’on doit à ses contradicteurs.
Tacticien
Une autre interprétation est que le président aurait agi en tacticien. En rappelant les Français aux urnes, on imagine, par exemple, que son pari de clarification serait d’ores et déjà gagné. Il s’agirait de constituer un centre de gravité qui ferait venir à lui les “raisonnables” et éloignerait ceux qui, à LR ou à gauche, seraient tentés par la radicalité. La corruption de certains Républicains ou l’alliance du Front populaire : tout cela aurait été prévu mathématiquement par Macron. D’autres disent, encore, un regard en coin sur les sondages qui s’accumulent, que le président a décidé de perdre, certain qu’il domptera l’inexpérimenté Jordan Bardella dans le cadre d’une cohabitation.
Une autre interprétation, moins flatteuse, fait du président un risquophile inconséquent. Atteint par un biais d’optimisme qui lesterait son jugement et dont l’origine est à trouver dans son parcours étincelant de victoires : il jouerait l’avenir de la France comme on mise sur un numéro fétiche à la loterie.
Embrasser le futur
Tous ces commentateurs doivent se méfier de ne pas imaginer plus de cohérence dans cette décision qu’elle n’en avait initialement… ce que le psychologue cognitif, Baruch Fischhoff, nomme le “biais rétrospectif”. Il reste que ces hypothèses sont toutes intéressantes mais je me demande si on ne néglige pas le fait que, au sommet de l’Etat, à force d’être trop malin, on ne finit pas par prendre des décisions stupides. J’ai en tête un jeu portant sur un tirage au sort où pile a 80 % de chance de sortir et face 20 %. Lorsqu’on demande à un adulte de s’essayer à prédire les résultats, il a tendance à utiliser une stratégie qu’on nomme “correspondance de fréquences”, c’est-à-dire à miser dans 80 % des cas sur pile. Le problème est que, ce faisant, il ne donnera une réponse correcte qu’à hauteur de 67 %.
Le pigeon ou l’enfant de 4 ans sont peut-être moins malins que l’adulte qui cherche à mimer la production du hasard, mais la science montre qu’ils gagneront plus souvent en choisissant toujours pile. Sans généraliser excessivement l’enseignement que l’on peut tirer de cette petite expérience, il me semble que cette séquence ouverte nous rappelle surtout que nous n’avons jamais assez d’imagination lorsqu’il s’agit d’embrasser le futur. Je conjecture donc plutôt que le président est déjà débordé par les conséquences qu’il a provoquées. L’histoire galope et ne suit que rarement les chemins qu’on a tracés pour elle.
Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.
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