Les personnes transgenres demandent à pouvoir être reconnues et vivre en société conformément à leur ressenti, c’est-à-dire leur identité de genre. Les personnes intersexes et non binaires, elles, regrettent de se voir imposer l’une des deux catégories de sexe, alors que ni l’une ni l’autre ne leur correspond ou ne leur convient. Ce sont des demandes que certains peuvent trouver marginales, mais que l’on peut aussi juger légitimes. Elles donnent en tout cas l’occasion de réfléchir au rôle que jouent les catégories de sexe dans la société et à la manière dont elles sont intriquées dans notre système juridique et administratif.
Le législateur a répondu par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, qui donne la possibilité de modifier sous certaines conditions le sexe légal enregistré à l’état civil. Or, même si l’on juge légitime la demande des personnes transgenres, cette réponse pose plusieurs problèmes. En effet, l’identité de genre n’est pas le sexe. Modifier le sexe légal, alors que le sexe biologique de la personne, lui, ne change en réalité pas complètement, c’est d’une certaine manière faire mentir l’état civil. C’est fâcheux. Le sexe et l’identité de genre sont deux caractéristiques distinctes de la personne et reconnaître la seconde n’implique pas de modifier la première ou d’amalgamer les deux. De plus, la Cour de Cassation a rejeté la possibilité d’introduire une troisième catégorie de sexe, laissant les personnes intersexes et non-binaires insatisfaites.
Pour résoudre ces problèmes, il est possible d’envisager plusieurs options : enrichir les informations enregistrées sur la personne, modifier leur nature ou au contraire les réduire. Tout cela conduit plus généralement à réfléchir à la justification et à l’utilité de la notion légale de sexe. Du côté de l’enrichissement, on pourrait commencer par créer une troisième catégorie de sexe légal, afin d’accorder une reconnaissance officielle aux personnes intersexes qui le souhaitent. Deuxièmement, plutôt que de renseigner le sexe selon l’identité de genre, il devrait être possible de simplement enregistrer les deux. Par défaut, l’identité de genre de la personne serait présumée concordante avec son sexe enregistré à la naissance. Mais elle pourrait être modifiée par simple déclaration et ajoutée en marge de l’acte de naissance.
De même une civilité librement choisie (M., Mme, et au moins une troisième catégorie à définir) pourrait être ajoutée sur les documents d’identité. Le tout sans nécessiter d’éléments de preuve ni de jugement du tribunal, ce qui serait un progrès pour les personnes transgenres. Cette solution aurait néanmoins l’inconvénient de rendre excessivement visible la discordance entre sexe et identité de genre, alors que les personnes concernées veulent au contraire souvent passer inaperçues dans le genre souhaité.
Faut-il supprimer la mention du sexe sur l’état civil et les papiers d’identité ?
Se pose donc la question de savoir s’il y a lieu de conserver le sexe une fois l’identité de genre de la personne enregistrée. Car finalement, quelle est la justification d’enregistrer le sexe à l’état civil, puis de le reporter sur les documents d’identité et enfin sur tous les formulaires administratifs ? La plupart des administrations et des entreprises qui collectent nos informations personnelles n’ont pas besoin de connaître notre sexe et n’ont pas vraiment de légitimité à nous le demander.
La mention du sexe sur les documents d’identité pose aussi question. Après tout, le sexe n’est pas une caractéristique identifiante de la personne que l’on peut se permettre de vérifier lors d’un contrôle d’identité. Ce sont la photo et les empreintes biométriques qui identifient la personne. Si les usages sociaux courants, qui nécessitent parfois un contrôle d’identité, ne se réfèrent pas au sexe mais à une civilité, alors le sexe pourrait sans dommage disparaître des documents d’identité. Même dans le cadre médical, le sexe n’est qu’un raccourci pour englober certaines informations sur nos organes et notre physiologie. Mais avec ou sans ce raccourci, ce sont nos caractéristiques physiques pertinentes que les professionnels de santé doivent directement interroger.
Le sexe regarde-t-il les entreprises privées et l’Etat ?
Si l’on va au bout de ce raisonnement, est-il bien nécessaire d’avoir une notion légale de sexe enregistrée sur l’acte de naissance ? Le sexe des gens regarde-t-il vraiment l’Etat ? Historiquement, cela résultait sans doute d’une forme d’évidence : cela servait à assurer que les mariages ne se célèbrent qu’entre personnes de sexes opposés. Cela était également rendu nécessaire par des dispositions légales différentes pour les hommes et les femmes (service militaire, droit de vote, congé maternité).
On peut considérer que la plupart de ces usages sont maintenant obsolètes ou peuvent être reformulés (par exemple introduire la notion de congé “gestationnel” pour les personnes enceintes). Il reste que le sexe et les mots ” homme” et “femme” sont mentionnés de très nombreuses fois dans le Code civil. Les remplacer par des substituts adéquats nécessiterait un toilettage important, dont certains juristes assurent néanmoins qu’il est possible et souhaitable. Faire disparaître le sexe légal, voilà une proposition iconoclaste, mais pas forcément insensée, qui mériterait d’être débattue.
Que l’on choisisse de supprimer le sexe légal ou de le faire cohabiter avec l’identité de genre (en incluant au moins trois catégories) sur l’acte de naissance et/ou sur les documents d’identité, n’importe laquelle de ces solutions serait plus cohérente que l’amalgame actuellement fait par la loi de 2016 entre le sexe et l’identité de genre.
Dans tous les cas, la reconnaissance officielle de l’identité de genre ne devrait entraîner aucun accès automatique à des espaces actuellement ségrégués (toilettes, vestiaires, prisons, ou encore compétitions sportives), du fait que l’accès à ces lieux ou compétitions engendre des conflits d’intérêts irréductibles entre différentes catégories de population. Il convient donc de délibérer soigneusement si l’accès à chacun de ces espaces doit être ségrégué selon le sexe, selon l’identité de genre, selon d’autres critères, ou pas du tout.
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