Extérieur – jour – G7 (Italie) –Jeudi 13 juin
Sous l’olivier, des embrassades puis la main d’Emmanuel Macron chaleureusement posée sur le dos de Georgia Meloni. A quoi songe-t-il, ce président ? L’idée qu’il contemple peut-être son futur lui traverse-t-elle l’esprit quand il sourit à la Première ministre italienne, issue des rangs de la droite extrême ? Quand les sollicitations faiblissent ici, il s’empare de son téléphone : “Je suis au G7, tiens-moi au courant par écrit de ce qui se passe.”
Intérieur – jour – Paris – Elysée et alentour – Jeudi 13 juin
Devant les vidéos venues d’Italie, un stratège du chef de l’Etat écarquille les yeux. “Ici, il faut combattre la peste brune ; là-bas, c’est accolades et fous rires avec la blonde ?” Y aurait-il un doute sur la stratégie présidentielle ? Ding ! L’image s’interrompt, la réflexion avec. SMS du président. Le tenir au courant ? Bien sûr, mais faut-il lui dire qu’ici, tout est chaos ? Étourdissement du destinataire.
A l’Elysée, ce qui frappe, c’est le bruit de fond. Un bruit qui, depuis l’arrivée de Jonathan Guémas, plume devenue conseiller spécial, avait disparu. Voilà belle lurette que la télévision accrochée au mur de son bureau n’émettait plus ni son ni image. Depuis dimanche dernier, personne n’a imaginé lui couper la chique. BFM 24h/24 dans le cadre blanc, et, face à lui, des yeux rougis de déchiffrer sans répit les bandeaux successifs, tout en imaginant, à la hâte, un plan pour rebondir. Pour ne pas flancher, on se persuade que Paris et la presse sont des bulles déconnectées de la réalité. La preuve, cette carte – saisissante il est vrai – des résultats du scrutin européen par bureau de vote dans la capitale, Raphaël Glucksmann premier, Valérie Hayer deuxième, Manon Aubry troisième, et Jordan Bardella grand dernier : seuls trois bureaux parisiens l’ont placé en tête.
Au parti, à l’Assemblée, au gouvernement, chez les amis d’hier et d’aujourd’hui, cette volonté d’un “retour au peuple” intrigue, quand elle n’afflige pas franchement. Commentaire le plus sobre glané ces jours derniers auprès d’un macroniste de la première heure : “Je suis préoccupé et triste.” Conclusion d’un autre : “Quelle que soit l’issue du scrutin, la Ve est totalement déglinguée, le paysage politique est en ruines et le jeu est animé par les extrêmes. Je suis écœuré.”
Faut-il dire tout cela au chef de l’Etat ?
Flashback. Extérieur – Jour – Omaha Beach – Jeudi 6 juin
Le président commémore tandis qu’au loin, Alexis Kohler bavarde. Le Secrétaire général de l’Elysée quitte rarement la rue du faubourg Saint-Honoré et il savourerait pleinement l’instant s’il n’était pas depuis quelques heures le réceptacle des réprobations et des questionnements inquiets. Depuis le matin, il a commencé à distiller l’idée d’un coup politique inédit dimanche, en cas de mauvais scores pour la majorité. “La coalition, ça ne vole pas, comment voulez-vous qu’on s’allie avec des gens qui ne veulent pas nous aider, confie-t-il à ses interlocuteurs. Il n’y a que la dissolution, c’est le moment le moins mauvais.”
Son D-Day à lui, les alliés en moins. “C’est une folie, vous n’êtes pas préparés”, pianote un ami. “Moi je crois aux sondages, argumente un autre. L’extrême droite va faire 40 %. Dissoudre, pourquoi pas, mais ça s’anticipe.” En Macronie, on sait modérer son enthousiasme. A quelques pas d’Alexis Kohler, Emmanuel Macron, fier et grave, profite-t-il des silences pour calculer les sièges de la majorité en cas de législatives anticipées ?
Intérieur – Jour – Le Touquet – Dimanche 9 juin
Dans un dossier, les notes reçues durant les dernières quarante-huit heures, plusieurs scénarios proposés, un référendum, la proportionnelle aux législatives. “Changer le mode de scrutin, ça faisait très magouille”, dira plus tard l’un de ses conseillers. Il n’est plus le temps de flancher. Dans quelques heures, il réagira aux 40 % de l’extrême droite en annonçant une “respiration démocratique” : la dissolution de l’Assemblée nationale. Fidèle à lui-même, il tente encore de convaincre ceux qui, autour de lui, avouent leurs doutes : “C’est maintenant ou jamais.”
Aux plus inquiets qui l’alertent sur l’affaiblissement de son pouvoir et le risque de tout abîmer, à commencer par son legs, il répond : “Je crois tout l’inverse ! L’acte de dissolution est un acte de protection du pouvoir du président de la République.” Face à “la chienlit”, comme disait le plus fameux de ses prédécesseurs, l’absolue nécessité de dépressuriser. “Qu’ils viennent me chercher”, fanfaronnait Emmanuel Macron en 2018. Le matador est devenu taureau : et s’ils réussissaient à le trouver ? Alors, plutôt la cohabitation que la succession : épuiser le RN à l’épreuve du pouvoir, convaincre ces “Français en colère” de l’inanité du projet lepéniste, pour se rassurer : “Je ne donnerai pas les clés de cette maison à l’extrême droite en 2027.” L’Elysée dans ses derniers retranchements.
Intérieur – Nuit – Elysée – dimanche 9 juin
La bombe est lâchée, l’heure n’est plus au doute. Et pourtant. Comment peut-on se tromper à ce point ? Avant : le 25 mai, Emmanuel Macron est en visite d’Etat en Allemagne, il assure à ceux qui l’accompagnent : “On va faire plus de 20 %.” Dans les jours qui précèdent le scrutin du 9 juin, parce que c’est là que le vote se cristallise : “C’est encore à portée de faire un bon 20 %.” Et sinon, et si c’est encore moins que ce qu’annoncent les sondages ? “Alors là, il y a un très gros problème”, lâche le président.
Comment peut-on se tromper à ce point ? Après : il a décidé de dissoudre, et aussi de choisir le délai le plus court pour convoquer les électeurs. “La gauche, je lui souhaite bien du courage pour s’unir”, lance Emmanuel Macron dimanche soir. Lundi, l’un de ses proches insistera : “La Nupes sans Mélenchon, je demande à voir.”
Extérieur – Sur les ondes – Mardi 11 juin
Le chef de l’Etat, sur le terrain de la politique intérieure, dispose d’une autre arme nucléaire que la dissolution. Celle-là ne figure pas dans la Constitution, c’est le départ soudain de l’Elysée. Le mercredi 13 mars 1986, dans l’après-midi, Le Monde titre à la une : “M. Mitterrand n’écarterait pas l’éventualité d’une démission.” Des élections législatives sont prévues dans trois jours. La manœuvre est limpide : dramatiser, susciter la peur.
C’est exactement la même chose, sauf que c’est le contraire. Mardi matin, Europe 1 affirme qu’Emmanuel Macron pourrait “mettre sa démission dans l’équation”. L’Elysée se demande qui a téléguidé l’article, l’Elysée se précipite pour démentir. Si les Français savent que leur vote aux législatives peut leur permettre de renvoyer le président, ils risquent de ne pas hésiter… Surtout tuer dans l’œuf cette idée. Dédramatiser, éviter le rejet. Mercredi dans sa conférence de presse, jeudi en Italie, Emmanuel Macron le répète : il est là jusqu’en 2027.
La menace de la démission est une arme fatale, qui peut se retourner contre son auteur. Certaines choses, celle-là notamment, ne se disent surtout pas. Il sait, qui plus est, que démissionner ne lui permettrait pas de se représenter dans la foulée, l’un de ses proches a appelé cette semaine un constitutionnaliste pour s’en assurer.
Dehors – Dedans – Partout – Les jours qui suivent…
“Est-ce que toi aussi tu penses que c’était une folie ?” Le message dit la panique. Il émane d’un intime du président et son destinataire, quand il le reçoit, se trouve bien embarrassé. Dire la vérité ? Pointer l’impréparation, l’absence de dialogue entamé avec la droite, l’absence de contact noué avec la gauche ?
En début de semaine, un ami d’Emmanuel Macron a échangé avec Raphaël Glucksmann. La tête de liste socialiste se sent pris au piège des partis, contraint de s’allier avec La France insoumise ; il regrette l’absence de main tendue venant de l’Elysée. Son interlocuteur ne croit pas se tromper, c’est bien de la rancœur qu’éprouve l’essayiste à l’encontre du chef de l’Etat. La dissolution est censée donner un avantage décisif à celui qui la déclenche, or le palais n’anticipe pas, il bricole, il n’a plus de projet, le palais n’est pas prêt. De la dissolution, Emmanuel Macron a-t-il prévenu Emmanuel Macron ?
L’heure est grave, François Bayrou a réinstallé sur son ordinateur le logiciel qui l’accompagne depuis des années et qui fait sa fierté. Une matrice qui permettrait de jauger du résultat dans chacune des 577 circonscriptions. Et ses projections donnent des sueurs froides. Celles qu’il découvre le jeudi 13 juin annoncent 300 députés pour le RN, une majorité absolue donc, 185 à 190 pour le Front populaire, et 70 à 90 maigres députés pour la majorité présidentielle. Ne pas crier au loup. 18 jours de campagne et autant de possibilités de rebonds. “Toutes les dynamiques peuvent bouger”, veut-on croire dans l’entourage du chef. D’ailleurs, Marine Le Pen a fait passer le message au Château : “Si j’ai 240 députés, je n’accepterai pas le pouvoir.”
Epilogue
Cinq jours ont passé depuis le séisme. Il faisait tout, le voulait, s’en vantait. Dimanche encore, lundi encore, il avait son programme en tête : moi, moi et moi. Mais voilà qu’on tente, tant bien que mal, de lui faire passer un message. Moins il en ferait, mieux ce serait. Macron au rabais. Il tient quand même une conférence de presse mercredi ? “Il vient de nous bouffer deux heures de temps de parole”, claque un ancien ministre.
Macron condamné au silence, qui cherche un sursis. “Ça ne m’a pas fait plaisir, je l’ai pris pour moi, ça m’a touché”, dit-il jeudi. Macron aux abois. Finies – pour l’heure – les grandes prises de parole, place au symbolique, à l’emblématique. Subliminal, forcément subliminal. Ce n’est plus Jupiter, c’est Jupi-qui-se-terre. Un ancien collaborateur de l’Elysée rédige l’épitaphe : “On peut avoir été le salut un jour et le problème le lendemain, c’est cela, la politique.” Dans le silence du crépuscule, ne résonne qu’un rire, celui d’Emmanuel Macron forcément, quand il lance à un conseiller : “Tu m’as mis un beau bordel depuis dimanche !”
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