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Israël : la double tragédie des guetteuses de Tsahal


“Regardez-les dans les yeux.” Telle a été l’injonction faite aux dirigeants israéliens par les parents des cinq observatrices de Tsahal, filmées le 7 octobre par les GoPro du Hamas, avant d’autoriser près de huit mois plus tard le partage de ces images choquantes. Pendant trois minutes, ces jeunes filles âgées d’à peine 19 ans apparaissent le visage ensanglanté, ligotées, molestées, entourées de cadavres, le matin de leur enlèvement dans l’avant-poste militaire de Nahal Oz.

Stationnées à la frontière de la bande de Gaza, Liri Albag, Karina Ariev, Agam Berger, Daniela Gilboa et Naama Levy (montrée dans une autre vidéo l’entrejambe de son survêtement gris taché de sang) venaient de prendre leur fonction de guetteuses, tatzpitaniyot en hébreu.

Les “yeux d’Israël” face à la menace vitale du pays

Celles que l’on surnomme les “yeux d’Israël” ont payé un lourd tribut le jour des attaques. Sur les 26 guetteuses de Nahal Oz, 15 ont été assassinées lors de l’assaut, tandis que parmi les sept observatrices kidnappées, seule une a été secourue par l’armée. Une autre a été tuée en captivité. Leur funeste sort a créé une onde de choc d’autant plus forte que ce drame cristallise à lui seul les blessures les plus profondes de la société israélienne et la défaillance sécuritaire de l’Etat hébreu.

“Ce qui s’est passé avec les observatrices, des militaires non combattantes [NDLR : elles ne sont pas armées] et qui se retrouvent pourtant en première ligne, si près de la frontière et sans défense, m’a particulièrement troublé”, confie la cinéaste Talya Lavie, dont le premier film Zéro motivation, une comédie sortie en 2014, racontait l’histoire de deux soldates dont le service militaire se présentait comme un voyage de deux ans au bout de l’ennui.

La réalisatrice travaille actuellement au scénario de son prochain long métrage, Seven Eyes, consacré aux soldates de surveillance de la frontière avec Gaza. “Ces jeunes femmes, enrôlées dans le cadre de la conscription obligatoire, remplissent avec dévouement le rôle qui leur est assigné et une grande partie de la tragédie réside dans le fait qu’elles voient constamment ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, souligne Talya Lavie. Elles rapportent et préviennent de la menace qui se rapproche.”

Ont-elles été suffisamment prises au sérieux par leur hiérarchie, dans les mois ou semaines précédant l’attaque du 7 octobre, lorsqu’elles signalaient des agissements suspects ? Plusieurs témoignages relayés dans les médias israéliens suggèrent que non. Dans une ruelle du sud de Tel-Aviv, un immense graffiti représente trois jeunes observatrices affublées d’épaisses moustaches qui s’efforcent en vain de donner l’alerte, avec ce message central : “the writing was on the wall” (“la messe était dite”).

Les observatrices, indispensables pour l’armée israélienne

Une chose est sûre : née en 1998 pour surveiller la frontière avec le Liban, la fonction d’observatrice, dont le travail consiste à recueillir des informations grâce à différents outils (caméras, capteurs, etc.), les yeux rivés sur leurs écrans entre quatre à six heures d’affilée par session, a fait couler beaucoup d’encre en Israël. Chargées de détecter toute anomalie sur le périmètre placé sous leur responsabilité, les tatzpitaniyot ont pris une importance significative au sein de l’armée israélienne. “En l’espace de vingt-cinq ans, le nombre d’observatrices enrôlées chaque année est passé de 150 à 3 000, nous confie une ancienne guetteuse, qui a accédé à un poste de commandement. Il s’agit de l’une des rares unités de Tsahal entièrement féminine. Leur travail s’avère sisyphéen, complexe, avec une part de stress importante et il requiert des qualités spéciales pour gérer le lien avec les combattants. En 2005, on a d’ailleurs créé une expérience pilote pour faire accéder les hommes à cette fonction, et cela n’a pas fonctionné…”

Cette militaire de carrière précise qu’elle n’adhère pas au narratif selon lequel la tragédie de Nahal Oz s’est produite parce que les avertissements des observatrices n’ont pas été écoutés. “Leurs familles endeuillées s’accrochent à cette thèse, et je respecte leur douleur, mais objectivement, cela ne tient pas la route. Et cela ne rend pas non plus justice à ces soldates qui ont su faire preuve d’héroïsme le jour des attaques dans les circonstances les plus cruelles.”

Scientifique de l’information, issue de l’unité 8200 des renseignements militaires, Karine Nahon estime pour sa part que seule une enquête d’Etat permettra de faire la lumière sur les dysfonctionnements du système de sécurité. L’armée a annoncé qu’elle commencerait à rendre publics les résultats de son enquête interne sur les événements du 7 octobre au début du mois prochain.

Mais ceux qui réclament la création d’une commission nationale d’enquête jugent insuffisante cette procédure militaire. “Les observatrices ne représentent qu’un échelon au sein d’une constellation de différents signaux que l’on a ignorés”, relève Karine Nahon, sans exclure l’existence d’un “biais sexiste”. Au moment des attaques du Hamas, cette chercheuse s’était illustrée en mettant sur pied une plate-forme utilisant des technologies avancées et mobilisant plus de 1 500 bénévoles pour l’identification des disparus.

Figure de proue du combat pour la vérité mené par les parents des observatrices de Nahal Oz, Eyal Eshel a dû attendre trente-quatre jours avant que le corps de sa fille Roni, un temps supposée otage, ne soit identifié. Début avril, il s’est rendu dans le grand centre de recrutement militaire de Tel-Hashomer, en banlieue de Tel-Aviv, pour se remémorer ce rite de passage accompli huit mois plus tôt. Dans la file d’attente, plusieurs familles reconnaissent l’homme au regard d’acier qui assure que les guetteuses de l’armée israélienne ont été laissées “sans défense” lors de l’assaut du Hamas. Ce jour-là, des dizaines de nouvelles recrues, traumatisées, refuseront leur affectation de tatzpitaniyot. D’autres se déclareront à l’inverse honorées de poursuivre leur travail.

De son côté, le porte-parole de l’armée israélienne et lieutenant-général Daniel Hagari n’a pas manqué de signaler leur précieuse contribution, le 6 juin dernier, lors d’une tentative d’infiltration, survenue à environ deux cents mètres de la frontière avec Gaza. “Des terroristes sont sortis d’un tunnel, ils étaient armés et ont été repérés à quatre heures du matin, dans le brouillard, par des observatrices”, a-t-il déclaré dans une intervention télévisée. Cinq minutes après l’incident, trois terroristes ont été tués et le quatrième s’est enfui vers Rafah. “Les observatrices et les combattants ont agi avec détermination et ont empêché une attaque plus importante.”

Dans la foulée du raid mené parTsahal, le 8 juin, qui a permis de libérer vivants quatre otages détenus à Gaza par le Hamas dans le camp de Nousseirat, Avi Marciano n’a pu quant à lui fermer les yeux sur une autre réalité. Le père de Noa, l’observatrice kidnappée à Nahal Oz et assassinée à l’hôpital Al-Shifa, et dont l’armée a pu récupérer le corps l’hiver dernier, s’est déclaré très ému pour les familles qui ont eu la chance de pouvoir retrouver et embrasser leurs proches. “Je suis aussi envieux, a-t-il confessé. Cela souligne à quel point notre histoire s’est mal terminée.” Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, s’est immédiatement rendu à la rencontre des quatre captifs, tous enlevés sur le site du festival de musique Nova, dans l’hôpital qui les a accueillis. “Quand cela se finit mal, il ne se présente pas, souffle Avi Marciano. Il ne prend pas non plus le temps de téléphoner.”




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