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Les Français votent tête baissée pour des partis leur promettant la misère, par Pierre Bentata

Suite au caprice d’un président ayant décidé de renverser la table après avoir perdu les européennes, un vent de panique secoue notre paysage politique. Face à l’imminence des législatives, coups bas et coups tordus se multiplient, alliances se font et se défont. C’est l’heure des stratèges sans foi ni loi, des calculateurs sans honneur, et des petits règlements de compte. Pas une heure ne passe sans qu’on ait droit à un retournement de situation, une volte-face ou une secousse qui menace de rebattre les cartes de la répartition des circonscriptions. Bref, on clarifie la situation…

Au milieu de ce chaos, un fait est passé presque inaperçu. Les deux favoris à la course aux sièges ont publié les grandes lignes de leurs programmes. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont aussi absurdes l’un que l’autre. Côté RN, on veut freiner l’immigration économique alors que les entreprises peinent à trouver de la main-d’œuvre ; on propose de baisser la TVA – seul impôt à peu près efficace – alors que le déficit atteint des records ; on promet de ramener l’âge de la retraite à 60 ans alors que le Conseil d’orientation des retraites (COR) vient d’annoncer qu’en l’état le système est intenable. Et tout ça, sans hausse d’impôt. C’est gratuit.

A l’autre bout du spectre, c’est-à-dire à côté en réalité, le Nouveau Front insoumis – car c’est bien de cela qu’il s’agit – va encore plus loin dans le délire. Augmentation du Smic à 1600 euros et passage aux 32 heures, quand la compétitivité et la productivité françaises déclinent ; interdiction d’expulser les locataires ne payant pas leurs loyers, sauf à leur retrouver un logement – plus personne ne paiera ; retraite à 60 ans bien sûr ; indexation des salaires sur l’inflation, histoire d’entraîner une boucle prix-salaire digne des plus grandes catastrophes inflationnistes. Mais contrairement au RN, ici, on ne rase pas gratis ! Pour financer ces centaines de milliards et la crise économique qu’on prépare, on a pensé à tout : rétablissement de l’ISF, abolition de la flat tax, progressivité de la CSG, bref, on ira chercher l’argent où il se trouve ; sauf qu’il sera parti depuis longtemps.

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Renverser la table

Sur le fond, les programmes sont identiques puisqu’ils sont irréalistes. Sur la forme aussi, puisqu’ils n’essayent même pas de le cacher. Nul besoin d’avoir étudié les sciences économiques pour comprendre que travailler moins, donner plus à tout le monde, augmenter les coûts pour les entreprises et refuser de payer les dettes forment un cocktail parfait pour conduire à la banqueroute. Or, personne n’a paru surpris par l’annonce de ces mesures. Mieux encore, elles n’ont pas eu le moindre impact sur les intentions de vote. Et c’est cela qui aurait dû faire la Une dans les médias. Certains diront que le cœur des projets de ces formations est ailleurs, que l’électeur ne vote pas pour de l’économique mais du politique. Argument irrecevable lorsque la colère à l’égard du président se cristallise sur le pouvoir d’achat et l’emploi. Les citoyens se disent révoltés par la situation économique et votent tête baissée pour des programmes qui leur promettent pauvreté et misère. Alors même que le bilan de celui qu’ils détestent est objectivement positif.

Que personne ne s’interroge sur ce paradoxe en dit long sur notre état mental et encore davantage sur nos attentes véritables. Pourquoi voter pour des programmes dont l’échec est assuré (et qui ne seront jamais mis en œuvre puisque dès l’arrivée au pouvoir d’un de ces partis, les taux obligataires exploseraient, réduisant d’autant les moyens du gouvernement) ? La réponse est tristement simple. Les électeurs se moquent bien des programmes. Et ils se moquent aussi de savoir si ceux qui les ont rédigés sont juste incompétents ou totalement cyniques. Car, la bêtise de ces programmes ne peut être l’œuvre que d’un idiot ou d’un escroc. Qu’importe pour les électeurs ; ce qu’ils désirent c’est renverser la table eux aussi, exprimer leur colère et être enfin partie-prenante d’un système qu’ils accusent par ailleurs de tous les maux.

Passion de l’égalité et haine de soi

Attitude suicidaire en apparence, mais parfaitement rationnelle si l’on accepte d’en identifier les motivations profondes. Ceux qui se tournent vers des partis qui promettent tout et n’importe quoi ne sont pas dupes. Ils savent bien que leur situation ne s’améliorera pas. Mais au moins, ils ont la conviction que les lendemains seront plus durs pour ceux qui semblent satisfaits de leur condition actuelle ; ceux qui ont été au pouvoir, ceux qui ont les moyens, ceux qui aiment la société dans laquelle ils vivent ou du moins s’en contentent. Ces élites, ces riches, ces démocrates, tous ceux qui ont su s’épanouir dans des institutions qui ne promettent rien d’autre que la liberté, l’égalité et la fraternité. “Eh bien, se disent-ils, excités par les discours de ces tristes figures qui représentent les partis antisystèmes, puisque je n’ai pas réussi à être qui je voulais, vous serez tous punis. Après moi le déluge.”

Voilà l’origine du succès de ces partis et la raison pour laquelle, qu’importent leurs programmes et qu’importent leurs représentants, ils poursuivent leur inéluctable ascension. Parce qu’ils excitent la passion de l’égalité et la haine de soi, les deux moteurs de l’envie, il leur suffit de promettre le chaos pour conserver leurs partisans. Face à cela, il est vain de s’attaquer aux programmes, comme il est vain de tenter de dissuader leurs électeurs. Les premiers sont vides, les seconds remplis de ressentiment. Pour éviter le pire, reste aux autres à s’unir.

*Pierre Bentata est maître de conférences en économie à la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille.




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