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Complotistes, antivax, sectaires… Ces candidats fâchés avec la vérité scientifique


Quelques noms dans une boucle WhatsApp. Une connaissance, chuchotée à l’oreille, dans un couloir entre deux plateaux de télévision. Qui prendre ? Qui refuser ? Qui est trop “limite” ? Entre erreurs de casting, vraies compromissions ou proximité idéologique, les choix pour les investitures des différentes formations politiques font, cette année encore, apparaître des candidatures complotistes ou anti-sciences, dont les thèses vont à l’encontre de faits pourtant établis et consensuels.

Ces candidats propagent toutes sortes de théories, du “club de dirigeants pédophiles” à la possibilité de soigner le cancer par la pensée. Au total, et sans prétendre à l’exhaustivité, plus d’une trentaine de profils fâchés avec la rationalité ont pu être identifiés par L’Express, après une analyse menée conjointement avec Conspiracy Watch, le Groupe d’étude du phénomène sectaire (GéPS) et L’extincteur. S’ils viennent surtout grossir les rangs du Rassemblement national, presque aucun parti n’y échappe.

Certains noms ont pu bénéficier de l’urgence de la dissolution pour passer le filtrage des formations politiques. Mais d’autres, encartés de longue date, sont sciemment soutenus par leur parti qui cautionne donc ces écarts avec les faits. “Même si ces idées ne se retrouvent pas toujours dans les mesures mises en avant, l’empreinte conspirationniste risque donc de progresser à l’Assemblée nationale”, souligne Tristan Mendès-France, maître de conférences associé à l’université Paris Diderot, et membre de Conspiracy Watch.

Un signal inquiétant pour la vie politique française, même si d’autres pays sont plus à plaindre : “Le bon fonctionnement de la démocratie suppose de ne pas être dans la post-vérité, mais au contraire de s’accorder sur l’état du monde, pour pouvoir ensuite débattre des réformes à mener. Bénéficier de la tribune de l’Assemblée nationale donne du poids, crédibilise ces discours alternatifs”, regrette le sociologue Laurent Cordonier, directeur scientifique de la Fondation Descartes. Analyse.

A gauche, au centre, à droite, des candidats abreuvés de références complotistes

Ils remettent tout, ou presque, en question. Parmi les profils ouvertement complotistes, on trouve par exemple celui de Jonathan Rivière, investi par le Rassemblement National (RN) à la Réunion. “On n’a jamais marché sur la lune”, affirmait-il le 10 février dans une publication sur son compte Facebook. Celle-ci est assortie d’une vidéo tierce, dans laquelle il est expliqué : “La CIA est derrière le 11 septembre”. D’autres contenus de ce genre, relayés par ses soins en 2023, affirment que “les vaccins vous tueront complètement” après injection. Ou qu’ils rendent “aimanté”, thèse qu’il reprend à son compte, toujours sur ses réseaux sociaux.

Un profil loin d’être isolé. D’autres candidats du RN soutiennent des thèses similaires. Comme Stéphanie Alarcon, en lice en Haute-Garonne : “Le système de santé est fait pour créer des malades”, peut-on lire dans un message qu’elle diffuse sur Twitter. Elle y promeut Louis Fouché, figure des covido-sceptiques, ou Silvano Trotta, principal théoricien du complot en France. Investie aussi : Monique Griseti, dans les Bouches-du-Rhône. Elle fait siens les messages pour “éveiller les consciences” autour de Sound of Freedom. Le film est un cri de ralliement du mouvement conspirationniste QAnon, persuadé que “les élites boivent le sang des enfants”.

Repéré aussi : Patrick Le Fur (RN). Pour lui, les ministres de Macron forment “un club ultrasecret” lié à des affaires de “pédophilie” (sic). Ou encore Aly Diouara (LFI) pour qui le vaccin est un “outil” tout sauf médical. Que dire du duo Dieudonné M’Bala M’Bala et Francis Lalanne ? Les deux compères se considèrent en “dictature”, sans que cela ne les empêche d’être candidats, en Guadeloupe, d’un mouvement qu’ils ont créé, appelé France Libre. Le premier, humoriste interdit de spectacle, a longtemps défendu que le “Sida a été inventé”. Le deuxième dénonce l’hégémonie des “nazis pédophiles mondialistes” au pouvoir.

Le centre n’est pas épargné. Eric Verhaeghe de l’Alliance centriste a apporté son soutien aux rumeurs sur le changement de sexe de Brigitte Macron. “Epoustouflante enquête”, disait-il, en 2022 dans une note de blog à propos de ces théories, relayées par le site Faits & Documents. Au téléphone, l’intéressé nous assure qu’il n’a rien de complotiste. Il dit penser, au fond, que la femme d’Emmanuel Macron est bien une femme. Mais s’interroge tout de même : “Dire que la Sécurité sociale sert à avachir les gens et les maintenir dans un bain de domination pour éviter qu’ils ne se révoltent, c’est complotiste ?”.

Le climatoscepticisme et le RN, une histoire d’amour loin d’être terminée

En public, le Rassemblement national ne remet plus en cause la réalité scientifique du réchauffement climatique. Mais en privé, certains de ses poulains continuent de véhiculer ces idées erronées. Leur plus illustre représentant ? Hervé de Lépinau, candidat dans le Vaucluse. Lui considère les membres du Giec comme des “propagandistes”. Qu’importe si ces chercheurs sont mandatés pour établir un consensus, et que ce consensus soit signé par la plupart des gouvernements. Même son de cloche pour Guillaume Bigot, éditorialiste à CNews parachuté par l’alliance RN-Ciotti dans le Territoire de Belfort. Oui, la Terre se réchauffe, mais ce n’est pas du fait de l’homme, a-t-il longtemps affirmé, contre l’évidence.

Des antivax assumés surtout à l’extrême droite

Une obsession : les vaccins. De nombreux candidats combattent ces injections, notamment celles contre le covid, pourtant éprouvées. A commencer par Emmanuelle Darles, investie par le RN dans la première circonscription de la Vienne. “Maître de conférences en informatique et simulation numérique”, elle s’est surtout fait connaître pendant la crise sanitaire pour ses positions covido-sceptiques. En mai 2022, elle n’a par exemple pas hésité à comparer la vaccination des enfants avec “un viol”. Cette chercheuse est aussi membre du “conseil scientifique indépendant”, une association créée pendant la crise sanitaire par Xavier Azalbert, le dirigeant du site complotiste France-Soir, et par Réinfo-covid, de l’anesthésiste conspirationniste Louis Fouché.

Également candidate pour le RN (dans la deuxième circonscription du Bas-Rhin), Virginie Joron, tout juste réélue eurodéputée, s’est distinguée par ses positions hostiles à la vaccination anticovid. Si elle réfute la qualification d’antivax, elle a signé l’avant-propos d’un livre rédigé par la statisticienne complotiste Christine Cotton (Tous vaccinés, tous protégés ?), aux côtés notamment de l’ex-députée Martine Wonner, égérie des opposants à la vaccination contre le covid. Elle a également invité au Parlement européen de nombreuses personnalités de la sphère covido-sceptique et antivax, comme l’ex-généticienne Alexandra Henrion-Caude ou l’infectiologue Christian Perronne, tous deux aujourd’hui au ban de la communauté scientifique. Une bien étrange manière de se tenir au courant de la science.

Le Rassemblement national n’est pas le seul à adouber des candidats antivax. Debout la France n’est pas en reste, avec par exemple Eric Mercier, dans la 6e circonscription du Maine-et-Loire. Cet infirmier avait été suspendu pendant la crise sanitaire pour avoir refusé de se vacciner. Il est membre du syndicat liberté santé, créé pour soutenir les soignants suspendus – une organisation qui a alimenté la désinformation sur les textes en discussion au sein de l’Organisation mondiale de la santé pour améliorer la réponse internationale face aux menaces sanitaires (Traité sur les pandémies et révision du règlement sanitaire international). Le parti de Nicolas Dupont-Aignant soutient également la candidature de Véronique Rogez, ex-adhérente de l’UMP (l’ancien nom des Républicains) dans la cinquième circonscription de l’Oise. Logique : cette médecin généraliste, qui avait fermé son cabinet parce qu’elle refusait le vaccin anti-Covid, est aussi… la déléguée nationale à la santé de Debout la France.

Des candidats biberonnés aux thérapies alternatives et aux croyances ésotériques

Un certain nombre de candidats se distinguent par leur intérêt, plus ou moins assumé, pour les médecines alternatives et les pratiques ésotériques. Anecdotique ? Loin de là : “Chacun est bien entendu libre de ses croyances, mais ces thérapies ne reposent pas sur la science et la rationalité. Or ce positionnement, dont les électeurs n’ont peut-être pas conscience au moment de voter, peut ensuite influencer des politiques publiques”, souligne Laurent Cordonier, inquiet notamment pour les mesures destinées à renforcer la lutte contre les dérives sectaires. Parmi ces candidats adeptes de pratiques irrationnelles, on note par exemple pour le Rassemblement national Aurélie Quinquis, naturopathe et réflexologue à Marseille ou Cyline Humblot-Cornille, praticienne en soins énergétiques près de Dijon.

Plus étonnant, dans la cinquième circonscription de Loire-Atlantique, Eric Ciotti, le président LR en délicatesse avec son parti depuis qu’il s’est allié avec le RN, a adoubé un certain Bruno Comby. Cet ingénieur polytechnicien, président de l’Association des écologistes pour le nucléaire, s’est distingué pour ses théories douteuses sur le VIH. Dans son livre Nature contre sida, il prétend que manger des aliments crus permet de vaincre le virus. L’ouvrage date certes de 1989, mais le personnage affiche aussi des liens avec le Pr Joyeux, radié de l’ordre des médecins pour ses positions antivax, qui a préfacé plusieurs de ses livres. Charlie Hebdo avait également révélé sa proximité avec le gourou Guy-Claude Burger, promoteur de l’instincothérapie, une pratique thérapeutique alternative basée sur le crudivorisme.

Occulte en tout genre sur la liste “Ecologie au centre”

Une liste en particulier a également attiré notre attention. Celle d’Écologie au centre, menée par Jean-Marc Governatori, conseiller municipal à Nice. Il est affirmé, dans son programme, qu’un “manque d’harmonie” cause les maladies. “La jalousie, la désespérance, la médisance” et le “désordre” provoqueraient ainsi des pathologies. “Des concepts faux, et qui peuvent induire une forme de culpabilisation du patient”, s’insurge Hugues Gascan, président du GéPS, immunologiste et directeur de recherche CNRS. Ces préceptes sont régulièrement dénoncés par la mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Contacté par téléphone Jean-Marc Governatori affirme : “Ce qu’on a voulu dire, c’est simplement que la dépression nuit à la santé”. Mais il reconnaît : “C’est mal formulé”.

Plus grave, ce parti appelle à “examiner” les travaux du Dr Hamer. Selon l’intéressé, décédé en 2017, le cancer serait un “programme particulier de la nature”. Un message, émis pour alerter sur les conflits internes du malade. Il faudrait l’écouter, et ne pas opérer ni traiter, pour ne rien troubler. En septembre 1997, Ryke Geerd Hamer a été condamné à dix-neuf mois de prison ferme par le tribunal de Cologne, en Allemagne, à la suite de la mort de trois malades. Ses préconisations sont interdites en France, mais continuent de séduire. Au total, il est soupçonné d’avoir causé le décès prématuré d’une centaine de personnes. “Je ne sais pas qu’on parlait de cet individu, que je ne connais pas”, nous rétorque pourtant Jean-Marc Governatori.

Écologie au centre veut aussi “officialiser un Comité d’experts indépendants sur les traces suspectes dans le ciel”. Si évidemment, il existe déjà des instances en France chargées de surveiller ce qu’il se passe dans l’espace aérien, la mesure vise, en sous-texte, à élucider le pseudo-mystère des “chemtrail”, les fumées blanches qui s’échappent des avions. Dans les milieux complotistes, elles sont régulièrement accusées d’être de l’épandage de poisons ou de substances destinées à modifier le comportement des “masses”. Il ne s’agit en réalité “que” d’un mélange de CO2, de particules fines, et d’eau. Ces rejets ne sont pas sans conséquences, mais n’ont rien de “suspect”. “C’est n’importe quoi”, balaye Jean-Marc Governatori. Un “n’importe quoi” pourtant inscrit en toutes lettres dans son programme.





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