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Interdire les “emplois sensibles” aux binationaux ? La réalité derrière la proposition du RN


Ce texte est loin de passer inaperçu : le Rassemblement national souhaite “empêcher” les personnes avec une double nationalité d’occuper “des emplois extrêmement sensibles” dont la liste sera définie “par décret”, a annoncé, lundi 24 juin, le député Sébastien Chenu, Jordan Bardella évoquant “les postes les plus stratégiques de l’Etat”.

Qu’est-ce que propose exactement le RN ?

La mesure d’interdiction portera sur “des emplois extrêmement sensibles, par exemple des gens qui soient binationaux russes pour occuper des postes de direction stratégique dans la défense”, a précisé le député sur TF1, sans donner davantage de détails sur le type d’emplois concernés. Objectif pour le RN : “protéger” la France d’un risque “d’ingérence”.

“Oui, je vous confirme que les postes les plus stratégiques de l’Etat seront réservés aux citoyens français et aux nationaux français”, a confirmé dans la foulée Jordan Bardella. Avant de poursuivre : “Nous n’entendons pas remettre en cause la double nationalité […]. En revanche, nous entendons effectivement réserver un certain nombre d’emplois stratégiques dans les secteurs notamment liés à la sécurité et à la défense exclusivement à des citoyens français.

Face à l’emballement médiatique, le RN a tenté de présenter cette mesure comme “anecdotique”. L’eurodéputé s’est empressé d’ajouter que cette mesure concernait “très, très peu de personnes”. Puis, c’est à la finaliste de la présidentielle, Marine Le Pen, de venir à sa rescousse soulignant sur le réseau social X que “les doubles nationaux” pourraient “occuper TOUS les emplois dans la fonction publique, bien sûr”. “La restriction ne concernerait que quelques dizaines d’emplois très sensibles dans des postes stratégiques en matière de défense, de nucléaire ou de renseignements par exemple. Cette courte liste serait revue très régulièrement en fonction de l’actualité géopolitique et de ses conséquences pour notre pays”, a-t-elle écrit.

Combien y a-t-il de binationaux ?

En France, environ 3,3 millions de personnes disposeraient une double nationalité, selon l’Institut national d’études démographiques (Ined). Mais les chiffres datent 2008. Si il ne s’agit que d’une estimation, elle n’est pas anecdotique. Parmi les indications données par le recensement, plus de 40 % des immigrés vivant en France possèdent la nationalité française.

À l’heure actuelle, la binationalité n’empêche pas l’accès aux emplois de la fonction publique. Certains métiers, dits “de souveraineté”, car liés aux fonctions régaliennes de l’Etat (défense, budget, sécurité, diplomatie), sont réservés aux Français, qu’ils soient en théorie détenteurs ou non d’une seconde nationalité. Un Français binational a tous les droits et obligations attachés à la nationalité française. La décision de classer un poste parmi les emplois “de souveraineté” est laissée à l’appréciation de l’employeur, le plus souvent un ministère.

Pour le reste, les ressortissants européens peuvent passer des concours et devenir fonctionnaires. Les étrangers non européens peuvent aussi être recrutés dans la fonction publique, mais uniquement en qualité de contractuels, un statut moins protecteur que celui de fonctionnaire. Dans le privé, il n’existe pas de restriction pour les binationaux, selon des experts en droit du travail interrogés par l’AFP. Ceci “en vertu du principe d’interdiction de toute discrimination à l’embauche posé par l’article L1132-1 du code du travail”, explique Me Eric Rocheblave, avocat spécialiste du droit du travail. Mais, dit-il, “ce que le législateur d’hier a fait, celui de demain peut le défaire ou restreindre”. Pour rappel, Marine Le Pen a longtemps été en faveur de l’abrogation de la double nationalité, avant d’y renoncer en 2022, au cours de sa troisième campagne présidentielle.

Est-ce faisable d’un point de vue constitutionnel ?

La mesure passera par “une loi organique et un décret pour empêcher les ingérences” car il s’agit de “se protéger”, dans les “secteurs sensibles”, a insisté Sébastien Chenu. Or, ce texte devrait se heurter a minima, à la Constitution qui s’était déjà exprimée sur le sujet. Sa réponse : non, il n’y a pas de distinction entre les nationaux et les binationaux. Ainsi, l’interdiction de certains emplois aux binationaux poserait un “problème au principe d’égalité”, a rappelé Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l’université de Rouen (Seine-Maritime) chez nos confrères de L’Obs. Une révision de la Constitution serait donc nécessaire.

À noter que la mise en place de restrictions pour les personnes naturalisées remonte aux années 30. À cette époque, les Français nés à l’étranger, qui ont obtenu la nationalité plus tard, sont interdits jusqu’à dix ans après leur naturalisation d’accéder à certains métiers comme médecin ou avocat. Après la libération, ces lois avaient disparu. Mais jusqu’à quand ?





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