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Allemagne : Sahra Wagenknecht, synthèse du nationalisme et du socialisme, par Rainer Zitelmann


Sahra Wagenknecht est l’une des personnalités politiques les plus en vue d’Allemagne. Elle était à l’origine membre du parti communiste (Parti socialiste unifié d’Allemagne, SED) qui, après l’effondrement de l’Allemagne de l’Est, a changé de nom à plusieurs reprises (PDS, puis Die Linke). En janvier, elle a créé son propre parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), qui a rapidement obtenu 6,2 % des voix aux élections européennes, dépassant le parti libéral FDP, pourtant partenaire de coalition dans l’actuel gouvernement fédéral. Les projections suggèrent que la BSW pourrait dépasser les 10 % lors des élections régionales dans l’est de l’Allemagne, cet automne. La CDU, parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel, réfléchit actuellement à la possibilité de considérer la formation de Sahra Wagenknecht comme un potentiel partenaire de coalition.

Qu’est-ce qui rend la BSW si différente des autres partis politiques allemands ? Sahra Wagenknecht associe une critique féroce de la politique migratoire et de la “politique identitaire” de gauche à une politique économique socialiste – un peu comme le PiS en Pologne. En termes de politique étrangère, Wagenknecht est contre le soutien à l’Ukraine. Lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est récemment adressé au Bundestag, les élus de la BSW se sont, de manière manifeste, tenus à l’écart de son discours. Les détracteurs de Wagenknecht l’ont également accusée de minimiser la menace Poutine et d’afficher des sentiments anti-américains. Même si elle condamne la guerre russe, elle rejette principalement la responsabilité du conflit en Ukraine sur l’Otan et les Etats-Unis.

“La Communiste”

Une biographie de Sahra Wagenknecht vient d’être publiée en Allemagne sous le titre Die Kommunistin (“La Communiste”). La phrase la plus importante du livre de Klaus-Rüdiger Mai est la suivante : “Wagenknecht est passée maître dans l’art de délivrer son message d’une manière qui trouve un écho auprès de son public, lui permettant de se concentrer uniquement sur ce qu’il veut entendre et de faire abstraction du reste. Cette compétence unique l’a propulsée sous les feux de la rampe, étendant son influence bien au-delà des limites du camp de gauche”. C’est l’un des secrets de son succès. Elle séduit non seulement les électeurs traditionnels de gauche, mais aussi les électeurs de droite qui partagent ses opinions critiques à l’égard de la politique migratoire et du “politiquement correct”. Elle représente une synthèse du nationalisme et du socialisme.

Mais qui est cette femme ? Elle est originaire de la République démocratique allemande (RDA). Adolescente, elle pouvait critiquer le système, non pas parce qu’elle préférait la démocratie et l’économie de marché, mais plutôt parce qu’elle estimait que la RDA n’adhérait pas assez strictement aux principes communistes. Son idole était Walter Ulbricht, un dirigeant nommé par Staline, qui a tristement réprimé un soulèvement ouvrier en RDA avec l’aide des chars russes en 1953. Un portrait d’Ulbricht ornait sa chambre, symbolisant sa loyauté inébranlable à l’égard de son chef.

Pour Wagenknecht, l’effondrement de la RDA a été une expérience traumatisante. Ce que beaucoup d’Allemands considèrent comme l’un des moments les plus heureux de l’histoire de notre pays a représenté pour elle “la période la plus difficile” de sa vie, comme elle l’a confessé plus tard. Au début de l’été 1989, alors que de plus en plus de gens abandonnaient la RDA et son parti au pouvoir, elle a décidé de rejoindre le parti communiste.

Par la suite, elle s’est plongée dans les œuvres de Marx et de Lénine, se forgeant une perspective historique selon laquelle l’Union soviétique était sur la bonne trajectoire sous la direction de Lénine et de Staline. La trahison des principes du communisme, selon Wagenknecht, a commencé avec le 20e congrès du parti communiste de l’Union soviétique, au cours duquel Khrouchtchev a commencé à régler ses comptes avec Staline. A ses yeux, Staline a fidèlement défendu la politique de Lénine : “Il est indéniable que la politique de Staline, dans son orientation, ses objectifs et probablement même sa méthodologie, peut être considérée comme une continuation de principe de celle de Lénine”.

Rosa Luxemburg réincarnée

Quand le SED s’est rebaptisé PDS, Wagenknecht s’est imposée comme une figure controversée au sein du parti. Ses collègues, dont le réformateur André Brie, lui ont fait des reproches : “Je ne sais pas jusqu’où S. Wagenknecht ira… Dans sa quête de libération de l’humanité, elle ne tient pas compte de la vie des gens qui ont des opinions différentes, ou du moins elle considère la destruction des voix dissidentes comme un moyen nécessaire pour arriver à ses fins”.

Wagenknecht est devenue la personnalité la plus en vue de la “plateforme communiste” au sein du PDS et a mené un conflit permanent avec les dirigeants du parti. Elle s’est de plus en plus considérée comme suivant les traces de Rosa Luxemburg, qui a lutté contre la “trahison” des véritables idéaux marxistes, a quitté le SPD et a fondé le parti communiste allemand en 1919. Wagenknecht a tellement imité son modèle en termes d’habitudes, de coiffure et de vêtements que le chef du parti de l’époque, Lothar Bisky, lui a fait remarquer avec malice que si elle s’était mise à boiter, elle aurait pu être Rosa Luxemburg réincarnée.

Déplorant la chute de la RDA, elle considère la Wende, la période de changement qui a suivi la chute du mur de Berlin, comme une contre-révolution. “Il y a cinq ans, un pays a disparu alors qu’il y avait au moins une tentative de construire une société qui n’était pas guidée par le profit. Aujourd’hui, nous voyons à nouveau la domination du capitalisme. Pour moi, il s’agit d’un net recul. Par rapport à la RFA, la RDA a été l’Allemagne la plus pacifique, la plus sociale, la plus humaine dans toutes les phases de son développement, en dépit des critiques spécifiques que l’on peut formuler à son encontre” explique-t-elle alors.

Pro-Chavez et Castro

Aujourd’hui, Sahra Wagenknecht a cessé de faire l’éloge de Staline, mais elle a exprimé son admiration pour les dictateurs de gauche. C’est le dirigeant vénézuélien Hugo Chavez qui est devenu son nouveau modèle. En 2004, elle publie le livre Alo Presidente : Hugo Chavez und Venezuelas Zukunft (“Alo Presidente : Hugo Chavez et l’avenir du Venezuela”). Près d’une décennie plus tard, en 2013, elle fait l’éloge de Chavez à l’occasion de son décès, écrivant qu’il avait été “un grand président qui a consacré toute sa vie à la lutte pour la justice et la dignité”. Selon elle, Chavez a prouvé qu’un “modèle économique différent est possible” et a affirmé que “ses réélections (…) démontrent à quel point une telle politique peut être populaire”. Elle a insisté pour que son projet “soit préservé et développé au-delà de sa mort. La révolution bolivarienne doit être défendue”. Elle n’avait alors plus 24 ans, mais 44.

En 2016, après la mort du dictateur communiste Fidel Castro, Sahra Wagenknecht et le président du parti Dietmar Bartsch ont publié un article intitulé “Il représentait un monde meilleur”. Les deux ont cité avec approbation Danielle Mitterrand, l’épouse de l’ancien président français, qui a déclaré à propos de Castro : “On fait de cet homme un diable. Pourtant, c’est un démocrate jusqu’au bout des ongles. Il aimait son peuple et son peuple l’aime”. Rappelons que le “démocrate” Castro a instauré un système de parti unique et fait torturer les dissidents. Est-ce vraiment l’idée que Wagenknecht se fait de la démocratie ?

Championne de l’autopromotion

Dans le même temps, elle a souvent fait mouche ces dernières années lorsqu’elle a abordé des sujets tels que l’immigration et la “politique de l’identité”, ce qui lui a valu le soutien de personnes qui ne sont pas de gauche. Aujourd’hui, Sahra Wagenknecht se considère-t-elle toujours comme une communiste ou une marxiste ? Il est surprenant de constater que les journalistes lui posent rarement cette question. Lorsqu’on l’a interrogée à ce sujet en 2015, elle a répondu : “Non, du moins pas dans le sens où un communiste est quelqu’un qui prône le retour de la RDA ou une économie planifiée centralisée.” Cet exemple montre qu’elle évite toujours de faire des déclarations claires, en commençant par dire “non”, mais en nuançant immédiatement son propos par un “du moins pas dans le sens où…”.

Le parcours de Wagenknecht représente un catalogue d’erreurs – de sa glorification de Staline à son admiration pour Hugo Chavez, en passant par son jugement erroné et effroyablement naïf sur Vladimir Poutine. Bien qu’elle fasse parfois preuve de bon sens sur des sujets comme l’immigration et les dérives identitaires à gauche, elle a l’habitude de se tromper sur des questions essentielles.

Sahra Wagenknecht est une championne de l’autopromotion qui a toujours su, mieux que tout autre responsable politique allemand, se transformer en une marque immédiatement reconnaissable. Cependant, elle n’aurait connu un tel succès sans avoir été constamment mise en avant par les principales chaînes de télévision publiques allemandes ARD et ZDF au cours des dernières décennies. On peut affirmer sans risque de se tromper que sans le temps d’antenne dont elle bénéficie chaque semaine, ni Wagenknecht ni son parti, la BSW, ne seraient près d’être là où ils sont aujourd’hui.

*Historien allemand, Rainer Zitelman est notamment l’auteur d’Hitlers National Socialism, The Power of Capitalism et du récent How Nations Escape Poverty.




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