Certains se souviennent peut-être de ses “interviews baignoire” de candidats de téléréalité – un mélange de mousse, de silicone et de canards en plastiques très apprécié de la génération Z dans les années 2010. D’autres ont peut-être en tête son bref passage en tant que chroniqueur dans l’émission Les Terriens du dimanche ! (C8), avant que n’éclate le scandale du “Jeremstargate” – une affaire dans laquelle ce dernier a été mis hors de cause. En 2024, Jeremstar, de son vrai nom Jérémy Gisclon, a refait parler de lui. Le 20 juin, le trentenaire annonçait sur ses réseaux avoir été approché par un parti politique en vue d’influencer le vote de ses abonnés (2,5 millions sur Instagram, 1,6 million sur YouTube et 2,1 millions sur TikTok) contre rémunération en vue des élections législatives. Dans un entretien accordé à L’Express, Jeremstar explique les raisons de son refus, motivé notamment par son aversion pour le monde de la politique qu’il compare à celui… de la téléréalité.
Celui qui enseigne aujourd’hui le marketing à l’Inseec Business School se dit également “mitigé” quant à la stratégie de certains candidats s’affichant aux côtés d’anciennes stars de téléréalité, à l’instar de Sébastien Delogu (Nouveau Front populaire) avec Maëva Ghennam. Et Jeremstar d’expliquer pourquoi, selon lui, il devient nécessaire de faire passer une loi pour “endiguer le risque que les influenceurs deviennent des relais de propagande”. Entretien.
L’Express : On continue de vous qualifier d’”influenceur”. Ça vous agace ?
Jeremstar : En effet, j’ai un peu de mal avec ce terme. Bien sûr, à travers les contenus que je partage, mes reportages et mes voyages, j’influence de fait ceux qui me suivent. Mais aujourd’hui, le qualificatif d’influenceur est porteur d’une connotation péjorative, d’un vernis de scandale. C’est réducteur pour beaucoup de créateurs de contenus. L’essentiel de mon travail ne consiste pas à faire des placements de produits ou à “être” un influenceur. J’ai créé mon one man show, écrit des livres, je milite contre le harcèlement en ligne et aujourd’hui, j’enseigne le marketing à l’Inseec. Mais je suis surtout chef d’une entreprise, avec ma propre société de production audiovisuelle : mon métier consiste à proposer des contenus divertissants, les monétiser, les diffuser et les vendre à différentes plateformes. Le terme d’”influenceur” a tendance à mettre dans le même sac les arnaqueurs et les bosseurs, or je n’arnaque pas ma communauté.
Le 18 juin, vous avez affirmé avoir été approché par un parti politique (que vous ne citez pas) pour influencer le vote de vos abonnés, en contrepartie d’une rémunération. Avez-vous été surpris ?
En réalité, ça n’est pas la première fois. En 2022, lors de la dernière élection présidentielle, j’avais déjà été alpagué par plusieurs partis politiques pour donner des consignes de vote. J’ai également été sollicité par des députés, parfois des ministres, pour assurer la promotion de projets de loi. Donc non, ça n’était pas une surprise. Le fait d’être contacté dans le contexte actuel m’étonne d’autant moins que mes abonnés ne sont plus des très jeunes (rire), mais des trentenaires en âge de voter. Si l’on se place du point de vue des partis, l’abstention atteignant des taux importants, le fait de miser sur une personne qui a de l’influence sur les réseaux sociaux est cohérent. Mais j’ai toujours refusé ce type de proposition, parce que j’ai conscience de la part d’instrumentalisation qu’il peut y avoir dans ce genre de sollicitations.
D’autant que la politique m’angoisse profondément. Je préfère gagner mon argent en passant des nuits blanches à travailler sur mes productions que toucher de l’argent sale. Pour moi, accepter les 15 000 euros que ce parti m’a proposé reviendrait à voler les citoyens. Car n’oublions pas qu’une partie de l’argent public sert à financer les campagnes ! Être payé pour influencer les votes me dérange particulièrement. En acceptant, j’aurais eu du mal à dormir sur mes deux oreilles.
D’où vous vient votre aversion pour la politique ?
J’ai toujours comparé le milieu de la politique à celui de la téléréalité. Tout se passe comme si les politiques se trouvaient dans une grande villa des Marseillais, et qu’ils se battaient jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Trahison, abus de pouvoir, coups fourrés… Ils sont prêts à tout ! Je plaisante à peine. Au-delà des mises en examen dont on entend parler toute l’année, les affaires de détournements de fonds et parfois même les condamnations, il suffit d’observer ce à quoi l’on assiste en ce moment en France : l’un prend en otage les locaux de son parti, tandis que les autres tentent d’ouvrir la porte. Aujourd’hui, la vie politique est une émission de téléréalité, du divertissement 2.0. De mon point de vue de citoyen, je crois que nous sommes bel et bien arrivés au stade d’une société du spectacle. La “peoplisation” de la politique est devenue une réalité. Tout cela est absolument lunaire, et pour être franc, j’ai le sentiment que notre pays perd de ce fait toute crédibilité. Les politiques sont devenus des bêtes de cirque. C’est un show permanent. Au fond, ça ne me surprend pas que certains candidats de téléréalité s’affichent avec des politiques : ce sont les mêmes.
Pourquoi refusez-vous de dévoiler le nom du parti qui vous a sollicité ?
Je ne veux pas me positionner et encore moins donner des consignes de vote parce que je pense qu’il faudrait que l’on commence à comprendre qu’en France, chacun est libre de ses opinions et doit conserver son libre-arbitre. Je n’ai pas envie de devenir un outil de propagande. Vous savez, les gens sont suffisamment intelligents pour deviner de quel parti il s’agit. Beaucoup l’ont d’ailleurs déjà trouvé… Dans tous les cas, pour moi, l’information à retenir n’est pas le nom du parti en question, mais le fait que le monde de la politique mise de plus en plus sur les influenceurs pour relayer des programmes. Si je donne le nom du parti, certains vont faire des amalgames et m’y associer, je n’ai pas envie d’être relié à un parti politique.
Dans l’une de vos vidéos, vous évoquiez concernant la proposition qui vous a été faite une “stratégie de communication assez hallucinante”, et l’impression d’avoir affaire à une marque proposant un placement de produit…
Absolument. On me proposait de prendre une photo et filmer le bulletin que je glisserais dans l’enveloppe pour inciter ma communauté à voter de la même façon. Pour moi, c’est révélateur du fait que les politiques deviennent avant tout des professionnels de la communication. La plupart maîtrisent parfaitement les codes de TikTok, sont conseillés par des agences de communication qui leur préparent des briefings entiers pour savoir quoi dire, à qui, en passant par quel type d’influenceur. Je sais de source sûre que je suis loin d’être le seul créateur de contenu à avoir été sollicité par un parti. Mais sur le principe, je ne suis pas radicalement opposé à l’idée que des influenceurs partagent leurs convictions à leur communauté. Ce qui me gêne, c’est lorsque l’on tombe dans autre chose qu’une démarche authentique et sincère.
Que voulez-vous dire ?
On ne voit jamais la mention “collaboration commerciale rémunérée” sous les publications de certains des influenceurs qui appellent à voter pour tel ou tel parti… Il serait pourtant utile de le faire. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) se fonde uniquement sur la vente de produits pour sanctionner les influenceurs qui ne mettent pas cette mention. Il y a un vrai vide concernant ceux qui font la promotion d’un parti en échange d’argent, de faveurs ou de services rendus. De mon point de vue, il devient nécessaire de faire passer une loi pour mieux encadrer ce phénomène, et donc endiguer le risque que les influenceurs deviennent des relais de propagande.
Aujourd’hui, les candidats de téléréalité ont des millions d’abonnés, quand des députés peinent à en rassembler dix mille
L’ancienne candidate de téléréalité Maeva Ghennam a publié sur ses réseaux sociaux une vidéo aux côtés du député Insoumis sortant Sébastien Delogu, et annoncé qu’elle voterait pour le Nouveau Front populaire. Est-ce une bonne stratégie, pour un parti, que de s’afficher avec une ancienne candidate de téléréalité ?
Je suis mitigé. D’un côté, il est évident – et les politiques l’ont bien compris – que faire parler des influenceurs ou s’associer à eux va permettre de capter un nouveau public. Sans compter que cela permet aux partis de quantifier leur impact, grâce au nombre de vues, de clics, de like… Cela étant, faire appel à des influenceurs dont certains ne brillent pas franchement par leur érudition me semble aussi un peu discréditant. Bien sûr, certains sont sensés, je ne dis pas le contraire. Mais dans le cas de Maeva Ghennam, c’est compliqué… Et puis il ne faut pas sous-estimer les effets pervers de ce type de stratégie : je l’ai vu lors de ma “non prise de position” concernant la proposition que l’on m’a faite. De nombreux internautes m’ont en fait remercié de ne pas donner de consignes de vote ! Je crois que beaucoup de Français en ont ras-le-bol que tout le monde leur dise pour quel parti ils doivent voter…
Que répondez-vous à ceux qui pensent que les influenceurs sont les idiots utiles des marques et, en l’occurrence, des partis politiques ?
Que c’est vrai, pour certains. C’est malheureux, mais les faits sont là : aujourd’hui, les candidats de téléréalité ont des millions d’abonnés, quand des députés peinent à en rassembler 10 000. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac : chacun est libre d’exposer son point de vue et certains le font de leur propre chef. Mais il ne faut pas se leurrer non plus. Le fait que j’ai été contacté par un parti politique alors même que mes opinions politiques ne sont pas connues montre bien que nous ne sommes pas face à des personnes qui cherchent à partager leurs idées dans une démarche d’authenticité, en collaborant avec des personnes réellement intéressées par leurs idées. Ce qu’ils veulent, c’est une vitrine et un nombre d’abonnés.
Sur Instagram, vous dénonciez une “pression permanente obligeant les influenceurs/créateurs de contenu à prendre position, même ce qu’ils ne maîtrisent pas toujours, [qui] est insupportable”. Pensez-vous que l’on accorde trop d’importance aux influenceurs ?
Les influenceurs sont des citoyens. Il n’y a pas à leur donner la parole plus ou moins que les autres. Ce qui me gêne, c’est cette tendance à mettre une pression sur les personnalités publiques, dont font partie les créateurs de contenus et les influenceurs, pour qu’ils prennent position sur tout – quitte à appeler à les boycotter ! A titre personnel, je considère que mon rôle n’est pas de traiter l’intégralité de ce qui se passe dans le monde. Je ne suis pas une revue de presse. J’ai une ligne éditoriale, je m’en tiens aux sujets que je maîtrise. On a d’ailleurs pu constater, ces derniers temps, que certains influenceurs prenant la parole sur les conflits internationaux ont parfois fait d’énormes bourdes en racontant n’importe quoi… L’influenceur n’a pas à réagir systématiquement à tous les sujets qui font l’actualité. Ça ne veut pas dire qu’il s’en désintéresse. J’ai ma conscience, j’ai évidemment une opinion sur ce que j’observe de la vie politique, sur la façon dont notre monde évolue, et j’en suis très attristé. Pour autant, je ne veux pas me faire le commentateur de cette société qui, bien souvent, me dépasse.
On parle beaucoup, concernant la France insoumise, d’une stratégie de communication basée sur la conflictualisation. Pendant des années, vous avez vous-même adopté ce mode opératoire. Avec le recul, pensez-vous que c’est-ce une stratégie efficace ?
Ça ne concerne pas que La France insoumise (rire). Tous les partis politiques activent le levier de la conflictualisation. Il ne faut pas avoir fait Math Sup pour comprendre que pour cartonner, dans notre société, il faut miser sur le conflit, le clash, le drame, le scandale… C’est triste, mais pour avoir effectivement commencé ma carrière de cette façon, j’observe clairement que lorsque je propose des contenus positifs et valorisants, ils sont beaucoup moins regardés que lorsque je mise sur des polémiques. Ça n’est pas un hasard si la politique est aujourd’hui le milieu où il y a le plus de scandales et de “problèmes”…
Vous avez officié un temps aux Terriens du dimanche, êtes aujourd’hui enseignant à l’Inseec… Quand on vient du monde de la téléréalité, peut-on un jour se défaire de l’image que cela charrie ?
Je serai toujours “Jeremstar”, qui a commencé sa carrière avec des interviews baignoire. J’assume ! Je suis fier du chemin que j’ai parcouru. Si c’était à refaire, je donnerais peut-être moins dans le scandale, le sulfureux, le trash, mais cela fait partie de mon parcours. Même si certains restent figés sur ce que j’ai été, ce sont mes erreurs qui m’ont permis d’évoluer. Vous savez, sur X (NDLR : anciennement Twitter), j’ai récemment vu un utilisateur écrire “je n’aurais jamais pensé qu’en 2024, je vivrais dans un monde où Jeremstar serait la personne la plus sensée du paysage politique”. Ça m’a fait sourire. Je n’aurais jamais pensé lire ça un jour.
Vous avez été associé à une entreprise de détournement de mineurs, mais la plainte pour complicité de “viol sur mineur” déposée à votre encontre a été classée sans suite. Le sujet est-il clos, ou cela a-t-il encore un impact sur votre vie ?
Les accusations à mon égard étaient inventées de toutes pièces. La plainte était une fausse plainte, diligentée par un paparazzi. La personne qui a déposé plainte a avoué avoir menti et a été condamnée. Ce qui m’est arrivé s’inscrit dans l’ère actuelle, qui consiste à dire n’importe quoi sur n’importe qui sur les réseaux sociaux pour se faire un nom. Je pense que le fait de m’être exprimé sur la prostitution dans la téléréalité et sur les liens qu’il pouvait y avoir avec la politique m’a attiré des problèmes. D’ailleurs, j’ai été écarté de la télévision après ces révélations. Je suis condamné à vie à ce que l’on me pose cette question, bien que j’aie gagné tous mes procès et fait condamner les personnes qui ont propagé cette rumeur. J’ai subi des années de harcèlement, j’aurais pu me foutre en l’air. Je n’ai pas peur de dire que je suis un survivant des réseaux sociaux.
Vous avez fait de la lutte contre le harcèlement en ligne votre cheval de bataille. Avec votre plateforme Harcèlement online, quel regard portez-vous sur l’évolution de cette problématique du harcèlement ces dernières années ?
C’est de pire en pire. Avec ma plateforme, j’ai vu passer des cas d’enfants de 13 ou 14 ans tabassés à mort par leurs camarades. D’autres harcelés en raison de leur homosexualité, ou parce qu’en surpoids. Je vois aussi beaucoup de jeunes filles harcelées parce qu’accusées d’avoir une réputation de “salope” dans leur lycée après avoir eu une aventure avec un garçon. A titre personnel, j’ai été harcelé parce que trop “efféminé” étant plus jeune, mais quand j’étais adolescent, on ne voyait pas ce type de cas, ou en tout cas pas avec une telle intensité. Aujourd’hui, cela prend des proportions que l’on ne peut pas imaginer. L’époque est extrêmement violente, et si les réseaux sociaux permettent de faire des choses formidables, ils contribuent aussi à amplifier ce type de comportements.
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