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Législatives : pourquoi les jeunes et les femmes votent plus pour le RN, par Arnaud Lacheret


Plusieurs caractéristiques sociologiques marquent les électeurs de la liste conduite par Jordan Bardella aux européennes, que l’on retrouve dans les enquêtes d’opinion pour les législatives. Elles ont été examinées d’urgence par des politologues affolés d’avoir raté, ou pour le moins négligé, ce changement profond dans l’électorat nationaliste, alors que des signaux faibles auraient pu permettre de les détecter.

Le premier, le plus marquant, est que l’électorat jeune se mobilise en faveur de la personne de Jordan Bardella bien plus qu’il ne le faisait pour Marine Le Pen. Tout professeur en lycée ou dans le supérieur le constate aisément : la jeunesse parle de Bardella, échange sur Bardella, notamment à travers les réseaux sociaux. Plusieurs enseignants avec qui j’ai échangé sont surpris du succès du jeune député européen et pensent le comprendre à travers son usage de réseaux sociaux que les plus âgés ne consultent jamais. On pense évidemment à TikTok, plateforme sur laquelle Bardella rassemble 1,7 million de followers avec un taux d’engagement particulièrement important. On est également surpris de la puissance de l’algorithme qui enferme celui qui aura voulu regarder par curiosité une vidéo de leader du RN, il en sera submergé par la suite.

Bardella comme Boyard

Cet usage des réseaux sociaux n’explique pas tout. La façon dont Bardella s’exprime est réellement celle d’un jeune homme de 28 ans. Il ne cherche pas à imiter des hommes politiques plus âgés comme ont pu le faire Gabriel Attal, Marion Maréchal ou d’autres élus qui ont démarré dans la politique très tôt. Lorsque l’on fréquente des jeunes entre 18 et 25 ans, des expressions particulières reviennent souvent, un rythme de parole plutôt rapide, une façon de couper la parole aussi, qui correspondent au fond lexical et stylistique que l’on entend souvent chez les jeunes. C’est quelque chose que Bardella partage avec Louis Boyard, pourtant politiquement très opposé, qui utilise son sens de la réplique, de l’exagération et de l’outrance pour s’adresser à un public jeune qui semble comprendre davantage cette façon de faire.

Bardella, lorsque l’on écoute ses “réels” (vidéos très courtes sur les réseaux sociaux), parle d’immigration et de délinquance comme pourrait le faire Marine le Pen, mais il le fait par le biais d’un outil où il est très à l’aise, se sentant même capable de clasher des youtubeurs très connus sans passer pour quelqu’un de complètement ringard, à l’image d’un Emmanuel Macron qui avait, lui aussi, bien tenté d’inviter McFly et Carlito à l’Elysée sans générer un mouvement de sympathie. Ainsi, les jeunes, qui en temps ordinaire s’éloignaient du RN, semblent s’en rapprocher de plus en plus puisque les 18-35 ans votent autant pour le parti d’extrême droite que le reste des électeurs français.

FN beaucoup plus viriliste

L’autre progression spectaculaire en faveur du RN est le vote des femmes. Alors que le Rassemblement national était un parti délibérément masculin, on s’aperçoit que le vote des femmes a bondi de 13 points par rapport à la dernière élection européenne et dépasse désormais celui des hommes qui n’a, lui, quasiment pas évolué.

Si l’on remonte plus loin encore, Jean-Marie Le Pen avait recueilli en 2002, 26 % des suffrages masculins contre 11 % des suffrages féminins, cette tendance est, pour l’Ifop, désormais de 32 % de votes des femmes contre 31 % de votes des hommes. Le vote masculin n’a, en vingt-deux ans, progressé que de 5 points quand celui des femmes a été multiplié par 3. Là aussi, les raisons sont multiples et tiennent à un effet combiné des façons qu’ont Marine Le Pen et Jordan Bardella de s’adresser aux femmes, là où le FN était beaucoup plus viriliste dans sa façon de s’exprimer politiquement.

Quelles que soient les explications que l’on puisse fournir, les chiffres sont cruels : l’électorat qui a bougé est celui des jeunes et des femmes et celui des hommes de plus de 40 ans n’a quasiment pas évolué.

Force est de constater que sociologiquement, ceux qui dirigent économiquement et politiquement le pays ne sont désormais plus ceux sur qui les partis comptent pour faire bouger les lignes. Les surprises électorales les plus spectaculaires viennent des catégories qui, si elles ne pèsent pas autant qu’elles le devraient dans la société française, entendent bien le faire de tout leur poids dans le choix du futur gouvernement.

*Arnaud Lacheret est professeur à Skema Business School. Il a notamment publié Les intégrés et La femme est l’avenir du Golfe aux éditions Bord de l’eau.




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