Un curieux attelage. Le 18 janvier 2023, le nouveau patron des Républicains (LR) Éric Ciotti présente son organigramme. L’heure est à la synthèse. Deux vice-présidents sont nommés pour épauler le Niçois : Aurélien Pradié, chantre d’une droite sociale, et François-Xavier Bellamy, tenant d’une ligne libéral-conservatrice. De cette alliance des contraires, il ne reste plus rien. Ou si peu. Éric Ciotti est un chef en sursis, traqué par son camp après son alliance avec le Rassemblement national.
Aurélien Pradié, démis de ses fonctions lors de la réforme des retraites, a décidé de quitter le parti. “LR est dans une situation inextricable. Le gaullisme n’est pas mort, il est plus vivant que jamais, mais LR est mort”, annonce-t-il à La Dépêche du Midi. L’homme a longtemps oscillé entre refonte interne et appel du grand large. Peur de perdre sa circonscription du Lot, ancrée à gauche ? Verrouillage du parti ? La deuxième option l’a emporté. “La structure est impossible à bouger. Trop de lourdeurs”, déplore un proche.
Le candidat aux législatives partira sous la bannière de son micro-parti “Du courage”, comme 30 autres prétendants. François-Xavier Bellamy, lui, reste à la maison. Mais l’eurodéputé a mesuré lors des européennes le poids néfaste de l’étiquette LR. “Une barrière difficile à contourner”, admettait-il récemment. Quand il obtient 7 % des suffrages le 9 juin, la droite le remercie d’avoir limité la catastrophe promise au parti. Cette marque, les candidats LR aux législatives n’en veulent pas. Tous misent sur leur ancrage local pour survivre à la dissolution et dissimulent le funeste logo.
“Nous ne sommes plus la droite depuis longtemps”
L’histoire s’accélère. L’UMP a vécu douze ans avant d’être condamnée à mort par l’affaire Bygmalion. LR n’a pas attendu son dixième anniversaire pour être transféré en soins palliatifs. Le parti offre à la France le spectacle de la division et des scènes proches du vaudeville. Il lui expose surtout sa crise existentielle, entamée au lendemain de l’élection présidentielle de 2017 et jamais enrayée depuis.
L’héritier du RPR s’est longtemps accroché à deux branches pour se convaincre de son avenir. Le parti s’arroge le monopole de la droite, courant d’opinion jugé majoritaire dans le pays. Puisque nous sommes LA droite, le peuple finira bien par revenir au bercail, lassé de l’aventure macroniste ou frontiste. “Mais nous ne sommes plus la droite depuis longtemps”, se désole l’ancien ministre Jean-François Copé. Ses électeurs se sont solidement arrimés au bloc central ou au Rassemblement national. L’homogénéité sociologique du premier et l’aggiornamento du second en ont fait des terres d’accueil durables. Sauter de sa chaise comme un cabri en disant “droite !” ne suffit pas.
Et puis, LR tient à son doudou. Celui de “parti de gouvernement”. Qu’importe l’ambiguïté de la formule : LR convoque cette qualité, survivance d’un passé glorieux, pour justifier son existence. Le parti a entretenu cette illusion, remède à l’absence de refondation doctrinale. Elle se mesure à des micro-détails. Ces courriers d’Éric Ciotti au chef de l’Etat, écrits sur le modèle calligraphique des lettres de l’Elysée. Ce contre-gouvernement opposé à l’équipe d’Élisabeth Borne. Ou ce candidat putatif à l’Elysée Laurent Wauquiez, réfugié dans le silence tel de Gaulle à Colombey. Le parti refuse la moindre alliance et campe sur une ligne d’indépendance, clef de son retour aux affaires. “Les LR qui ont été dans le sillage de l’exercice du pouvoir pensent que c’est dans leurs gènes, qu’ils ont vocation à l’exercer”, sourit un stratège macroniste. La droite, fondatrice de la Ve République, gouvernant de droit divin ?
“Je ne veux pas briller à Paris, mais chez moi”
Quand on a de telles ambitions, il faut être lisible. La majorité relative a braqué en 2022 les projecteurs sur l’Assemblée nationale. Les députés LR sont devenus le visage du parti. Ce rôle pivot a été un cadeau empoisonné. Il a offert au parti un rôle démesuré. Les Républicains avaient besoin de sérénité pour se reconstruire, leurs contradictions se sont affirmées dans le chaudron de l’hémicycle.
Comme lors de l’examen de la réforme des retraites, summum de confusion idéologique entre la direction du mouvement et les députés de base. 61 élus à la sociologie restreinte. Exit les zones urbaines et des grandes agglomérations : ces élus, issus majoritairement de territoires populaires et ruraux, n’étaient qu’une représentation incomplète du peuple de droite. “Je ne veux pas briller à Paris, mais chez moi”, lance un jour le député de Côte-d’Or Hubert Brigand en réunion de groupe. La phrase est aussi cruelle que juste. Elle dévoile un groupe à la cohérence idéologique relative. Ses membres, animés d’un fort sentiment d’indépendance, reflétant des sociologies électorales diverses. “Ceux qui vont survivre aux élections vont se prendre pour des génies des Carpates et seront intenables, raille un cadre. Cela ne pourra être que cacophonique.”
Cette cacophonie dépasse le Palais-Bourbon. Une schizophrénie stratégique gagne le parti. Éric Ciotti jurait en privé vouloir séduire l’électorat de droite macroniste, mais a développé une offre proche de celle du RN en matière régalienne. Le 23 mars, la droite se retrouve à Aubervilliers pour le lancement de campagne des européennes. On y lance de vibrants appels aux Français un temps séduits par le chef de l’Etat. Soudain, la tuile. Céline Imart, deuxième de liste, s’enorgueillit de ne pas avoir voté contre Marine Le Pen en 2017 et 2022. Prière de suivre.
La droite s’assigne un objectif, mais ses mots disent le contraire. Ceux qui peuvent les prononcer ne sont plus là. De “la droite et du centre” – martingale historique – il ne reste que la première. “Les Juppé, Bussereau sont partis, note un conseiller LR. Le spectre s’est resserré après les défaites ou les affaires.” Et que dire des réactions à l’alliance entre Eric Ciotti et le RN ? François-Xavier Bellamy et l’ex-eurodéputé Geoffroy Didier ont publiquement réprouvé leur président. Le premier affirme toutefois qu’il voterait – “bien sûr” – RN face à la gauche au second tour des législatives. Le second, candidat aux législatives dans les Hauts-de-Seine, s’affiche fièrement sur X avec un ancien prétendant “Reconquête”, la formation d’Eric Zemmour. Prière de comprendre.
Quelle singularité ?
“La justification d’un parti est son utilité”, a coutume de dire l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux. Quelle est la singularité des Républicains ? Le parti n’a pas entamé une profonde refondation idéologique, malgré le lancement d’Etats Généraux à la portée incertaine. Son diptyque – libéralisme économique et fermeté régalienne – est trop commun pour lui offrir de l’oxygène. D’autant que le Rassemblement national, à coups de renoncements programmatiques, se rapproche de l’ex-UMP. La droite a cessé d’opposer un discours de valeurs au RN, lui opposant une simple contradiction économique. Elle s’est ainsi exposée aux assauts d’un parti à la plasticité intellectuelle absolue, qui a poli en deux semaines son discours économique.
Brouillard idéologique d’un côté. Défaut de singularité de l’autre. Ce flou est aussi le produit de l’absence de figure présidentielle dans un parti épris de verticalité. Laurent Wauquiez, en retrait médiatique, n’est pas encore le chef incontestable attendu par Les Républicains. Ce vide nourrit un sentiment de liberté interne, propre à la confusion. L’ancien ministre a choisi de revenir dans l’arène, à trois ans de l’élection présidentielle. Son ambition présidentielle est intacte. Mais rien ne dit qu’elle aura pour véhicule un parti à l’agonie.
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