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Le sexe (et le genre) influencent le fonctionnement des réseaux cérébraux


“Le cerveau a-t-il un sexe ?” Cette question est, depuis des décennies, le cœur de très nombreuses recherches… et l’objet de controverses scientifiques. En cause, une compréhension encore très imparfaite de notre cerveau, alors même que les recherches sur les interactions entre le sexe, la neurobiologie et le comportement ont explosé ces vingt dernières années. De nombreux travaux font état de résultats contradictoires ou ne parviennent pas à être reproduits. Il est néanmoins admis que, si les cerveaux des hommes et des femmes sont globalement similaires, il existe quelques différences. La plus notable étant que le cerveau des hommes est en moyenne plus gros que celui des femmes, de l’ordre de + 6 %, même à taille égale. Une étude publiée en juillet 2021 dans Humain Brain Mapping montre également que quelques centaines de régions cérébrales présentent de légères différences statistiques en termes de taille.

Mais les neurosciences – et la recherche biomédicale en général – restent démunies pour expliquer les causes et conséquences de ces différences. Sont-elles liées à des facteurs génétiques, des différences hormonales, environnementales, à l’éducation ou aux cultures des sociétés ? Personne ne le sait avec précision. Il n’y a guère plus de réponses concernant les conséquences. Tout juste sait-on que même s’il existe une corrélation entre le volume du cerveau et le quotient intellectuel, les hommes ne sont pas plus “intelligents” que les femmes. Les scores de QI des deux sexes sont d’ailleurs très proches. Pour ne rien gâcher, il faut également prendre en compte la plasticité cérébrale, soit le fait que nos expériences personnelles modifient la structure de notre cerveau. Il est par exemple connu que chez des pianistes, les zones du cortex qui contrôlent les doigts et l’audition sont plus épaisses que chez la moyenne des êtres humains.

Des réseaux cérébraux différents en fonction du sexe, mais aussi du genre

Comme si cela ne suffisait pas, des chercheurs ont décidé de se demander si nos encéphales ont… Un genre ! Des neuroscientifiques américains viennent, en effet, de publier une étude dans Science advance, ce vendredi 12 juillet. “La littérature croissante sur les différences entre les sexes et l’absence de reproductibilité d’un grand nombre des différences signalées suggèrent de potentiels biais et/ou un malentendu dans la façon dont nous étudions, interprétons et rapportons les résultats liés au sexe”, écrivent les auteurs en introduction. Ces derniers ont donc tenté d’apporter leur pierre à l’édifice en analysant les données d’imageries cérébrales de milliers d’enfants américains. Selon les chercheurs, leurs résultats indiquent qu’il existe des différences entre les réseaux cérébraux en fonction du sexe des enfants, mais aussi, parfois, de leur genre. Dans ces travaux, les chercheurs précisent que le “sexe” des enfants de l’étude correspond à l’attribution du trait biologique qui a été déterminé à leur naissance (en moyenne, il aboutit dans 99,95 % des cas à la désignation homme ou femme) ; et que le “genre”, lui, correspond “aux rapports d’auto-évaluation des enfants et aux déclarations des parents” et qu’il n’a pas été considéré comme binaire ou comme une catégorie spécifique.

Pour tenter de démêler les effets du sexe de ceux du genre sur l’activité des réseaux cérébraux (qui indiquent comment les différentes parties du cerveau sont actives et connectées), les chercheurs ont analysé les données d’IRM de 2 315 filles et 2 442 garçons âgés de 9 à 10 ans de la cohorte Adolescent Brain Cognitive Development study, une étude longitudinale en cours aux Etats-Unis qui vise à comprendre le développement du cerveau de l’enfant. “Nous avons utilisé ces données afin de voir comment les différentes régions du cerveau communiquent et forment des réseaux”, détaille Elvisha Dhamala, neuroscientifique au Northwell Health Feinstein Institutes for Medical Research, à New York (Etats-Unis) et principale auteure de l’étude. Son équipe et elle ont ensuite analysé les liens entre ces réseaux et le sexe assigné à la naissance, puis avec le genre déclaré par les enfants et les parents. “Nos résultats montrent que le sexe et le genre influencent chacun des réseaux cérébraux différents”, assure la chercheuse.

Afin de le déterminer, son équipe et elle ont notamment cartographié différentes régions du cerveau liées, ou non, au sexe biologique. Ils ont également utilisé des algorithmes d’apprentissage automatique afin de déterminer si les schémas de connectivité des réseaux cérébraux permettaient d’identifier le sexe biologique et le genre de chaque participant. En analysant certains réseaux cérébraux, les algorithmes ont par exemple pu prédire le sexe biologique des enfants avec une très grande précision. Et en analysant des réseaux cérébraux distincts, ils ont parfois aussi prédit avec succès le genre. Les chercheurs ont, ensuite, comparé et analysé leurs différents résultats notamment grâce à des tests statistiques et ont déterminé que le sexe et les réseaux cérébraux sont bien liés au sexe, mais aussi au genre.

“Sur le principe cette étude fait exactement ce qu’il faut faire : étudier conjointement sexe et genre afin de déterminer ce qui revient à l’un et à l’autre”, indique de son côté Franck Ramus, directeur de recherches au CNRSen sciences cognitives à l’Ecole normale supérieure de Paris, spécialiste du développement cognitif de l’enfant, qui n’a pas participé à l’étude mais a pu la consulter pour L’Express. Ce spécialiste du développement cognitif de l’enfant, souligne que, dans cette étude, la seule mesure de genre prédite par les activations cérébrales est celle renseignée par les parents (qui ont répondu si les comportements de l’enfant étaient typiques de son sexe) et pas celle renseignée par les enfants (qui ont répondu à quatre questions sur leur identité de genre). “Donc stricto sensu, les auteurs n’ont pas trouvé de corrélation cérébrale de l’identité de genre indépendante du sexe. Mais cela peut bien sûr être dû au jeune âge des enfants et au faible nombre de trans déclarés à cet âge”, précise-t-il.

Le genre, cause ou conséquence de ces différences ?

Cette découverte est d’autant plus intéressante que si certaines études ont commencé à se concentrer sur l’influence du sexe sur le cerveau et le comportement humain, “les contributions du genre sont inconnues”, soulignent les auteurs. Pourtant, de telles connaissances pourraient aider les futures recherches sur la diversité neurobiologique du développement cérébral, mais aussi de son influence sur le comportement et la cognition, et donc ses implications dans la définition socioculturelle du genre lui-même. Elles pourraient également orienter d’autres recherches sur divers troubles cérébraux, dont beaucoup présentent des différences entre les sexes en termes de prévalence, d’apparition et de présentation clinique. “La compréhension des fondements neurobiologiques du sexe et du genre est cruciale pour l’identification ultérieure de la manière dont le sexe et le genre influencent la santé et la maladie et pour le développement d’outils de diagnostic et de pronostic spécifiques au sexe et orientés vers le genre”, confirme Elvisha Dhamala.

Compte tenu des potentielles applications de ces résultats, mais aussi des fenêtres qu’elles ouvrent sur des débats parfois polémiques, les chercheurs tiennent néanmoins à faire preuve de prudence. Ils soulignent ainsi que leurs analyses se bornent à démontrer que le sexe et le genre influencent les réseaux cérébraux. “Nous n’avons pas étudié les relations de cause à effet entre le fonctionnement des réseaux cérébraux et le sexe ou le genre, nous ne pouvons donc pas dire si ces réseaux sont une cause ou une conséquence”, précise la principale auteure de l’étude. Son équipe et elle soulignent également certaines limites importantes de leurs travaux, notamment le fait qu’elle repose sur “un instantané” d’une étape de la vie de ces enfants qui, par ailleurs, vivent tous aux Etats-Unis et sont donc baignés dans une culture, des codes et des traditions particulières.

Ils appellent, enfin, la communauté scientifique à reproduire leurs résultats et à pousser les recherches afin de mieux comprendre comment les associations du réseau cérébral avec le sexe et le genre peuvent évoluer au cours de la vie et si les effets peuvent varier dans des environnements socioculturels différents. “Mais si nos résultats sont confirmés, il sera clair que les neurosciences doivent tenir compte des différences de sexe et de genre ans les futures études sur le cerveau, notamment lors de la collecte, de l’analyse et de l’interprétation des données”, expliquent les auteurs.




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