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Tentative d’assassinat contre Trump : “George Washington avait prévenu les Américains…”

Des tirs. Du sang. Un poing levé. La stupeur. Le meeting de Donald Trump à Butler, en Pennsylvanie, ce samedi 13 juillet, devait être un meeting de campagne comme un autre. Il a frôlé la tragédie. Dans une campagne présidentielle américaine qui ne ressemble décidément à aucune autre, le candidat républicain a été visé par une tentative d’assassinat, qui pousse l’Amérique un peu plus près du précipice démocratique. Y aura-t-il un avant et un après 13 juillet ? Comment expliquer ce climat d’extrême tension dans un pays qui, habitué à voir ses présidents et ses candidats pris pour cible, n’avait pas vu pareil événement depuis 1981 et l’attentat raté contre Ronald Reagan ?

Marie-Christine Bonzom, ancienne correspondante de la BBC à Washington, a couvert sept campagnes présidentielles aux Etats-Unis. Cette spécialiste de la politique américaine, qui a entrevu la victoire de Donald Trump en 2016 -“pour s’en rendre compte, il fallait sortir de Washington, des grandes villes, parler à des électeurs directement et surtout sortir des a priori” – livre son éclairage sur la portée politique des événements de ce week-end, ce que cela signifie pour la suite de la campagne et pourquoi le bipartisme américain est aujourd’hui “sclérosé”.

L’Express : Ce n’est pas la première fois dans l’histoire des Etats-Unis qu’un candidat ou un président se fait tirer dessus. Quelle est la portée politique de cette tentative d’assassinat contre Donald Trump ?

Marie-Christine Bonzom : Il s’agit d’un événement majeur, évidemment. Historique, bien sûr, puisque même si la société américaine est violente, et même si la vie politique américaine a donné lieu depuis le XIXe siècle à des assassinats et tentatives d’assassinat de présidents, de candidats à la présidence et d’autres figures politiques, cela fait un moment qu’on n’avait pas assisté à pareil événement. C’est donc un tournant majeur dans la campagne présidentielle, qui en a déjà connu un il y a deux semaines avec la prestation catastrophique de Joe Biden lors du débat face à Donald Trump. Pour avoir couvert sept présidentielles américaines en tant que journaliste et deux autres comme politologue, je peux vous assurer la campagne en cours est sans précédent.

Pour quelles raisons ?

D’abord, c’est la première fois depuis 1892 qu’un président en exercice fait face à un ancien président. Voilà deux candidats, Biden et Trump, qui ont exercé chacun un mandat de quatre ans et qui peuvent s’appuyer sur un bilan. Autre aspect historique : jamais nous n’avons vu des candidats aussi âgés briguer la Maison-Blanche. Troisièmement, et c’est probablement le plus important, ces deux candidats ne soulèvent pas d’enthousiasme véritable au-delà de l’ultra-base de leur parti. Les primaires qui se sont achevées en juin ont été marquées par des taux de participation très faibles. Elles se sont terminées dans l’indifférence générale. Biden et Trump ont des taux d’opinions défavorables comparables et élevés. Les Américains ne les aiment pas beaucoup. Tout cela dans un contexte inédit puisque l’Institut de sondage Gallup, qui étudie la question chaque année indique que la majorité des électeurs américains se considèrent désormais comme indépendants et non plus comme républicains ou démocrates.

Dans quelle mesure les événements de Butler peuvent-ils influer sur le reste de la campagne ? Donald Trump va-t-il tenter de les exploiter à son avantage ?

Dans une campagne présidentielle américaine, un candidat serait considéré comme étant en faute ou négligent s’il n’exploitait pas tous les événements, y compris les crises. Si c’était Joe Biden qui avait été visé par une tentative d’assassinat, son équipe serait activement au travail pour essayer d’en tirer parti au moment où je vous parle.

Cela dit, la tentative d’assassinat contre Trump peut être interprétée dans différentes directions par l’électorat. D’abord, cela va renforcer encore la base de Trump. Elle en avait peu besoin. Elle était déjà extrêmement mobilisée, bien plus que la base démocrate. En revanche, ce qui est en jeu, ce sont d’une part les électeurs républicains modérés, ceux qui ont voté pour Nikki Haley pendant les primaires et d’autre part, les électeurs indépendants, c’est-à-dire ceux qui ne se reconnaissent ni dans le parti républicain ni dans le parti démocrate. Ce sont eux qui font la victoire ou la défaite dans une présidentielle. Les indépendants, en 2020, avaient voté en majorité pour Biden. Cette année, et avant même les deux événements majeurs dont on vient de parler, la majorité des électeurs indépendants comptait voter pour Trump.

Cependant, les électeurs indépendants ne sont pas un bloc monolithique. Il y a parmi eux des gens qui hésitaient encore et pour qui la tentative d’assassinat contre Trump va sceller un vote pour ce dernier. Ce sont notamment des indépendants qui se diront que, décidément, tout est fait pour empêcher l’ancien président de faire campagne et d’accéder à la Maison-Blanche. Et puis, il y a des indépendants qui, depuis longtemps, en ont ras le bol de ce système bipartisan. Les événements de ce week-end peuvent les conforter dans l’idée que les partis démocrate et républicain sont nuisibles au pays et dans un vote en faveur d’un candidat d’un parti tiers, comme Chase Oliver du parti libertarien, ou d’un candidat indépendant tel que Robert Kennedy Jr. Une chose est sûre : aucun électeur indépendant n’aura le réflexe de voter pour Biden sur la base de cet attentat contre Trump !

Les événements de ce week-end peuvent-ils finir par convaincre le candidat démocrate de jeter l’éponge, comme son propre camp le pousse à le faire ?

Il n’y avait déjà pas vraiment d’autre option possible avant la tentative d’assassinat contre Trump, alors aujourd’hui…

La prestation catastrophique de Biden s’est traduite par une amélioration sensible de la position déjà dominante de Trump dans les sondages, tant au niveau national que dans les Etats clés. Trump n’a pas pris un ascendant spectaculairement plus important, mais il a grappillé des points. Il est probable, comme je vous le disais tout à l’heure, qu’après cette tentative d’assassinat, des électeurs indépendants et des républicains modérés se décident à voter pour Trump. Les chances de réélection de Biden sont encore plus compromises aujourd’hui qu’il y a deux semaines lors du débat raté.

Le sort politique du président-candidat va aussi dépendre en partie, dans les semaines qui viennent, de ce que les enquêtes (du FBI et du Congrès) vont pouvoir dévoiler sur ce qui s’est passé samedi en Pennsylvanie, des motivations éventuelles du tireur mais surtout des possibles failles du Secret Service (NDLR : l’agence fédérale chargée de la protection de certaines personnalités politiques) et donc de l’administration Biden, dans l’organisation de cet événement de campagne, étant donné que Trump avait récemment reçu de nouvelles menaces de mort.

L’image de Trump le poing levé, le visage en partie ensanglanté, le drapeau américain derrière lui a été beaucoup commentée…

Cette photo a un caractère emblématique. Avec tous ces éléments : Trump qui lève le poing malgré l’adversité et sur fond de ciel bleu et de drapeau américain, c’est littéralement “picture-perfect” comme on dit en anglais, “l’image parfaite”. Une campagne présidentielle américaine se joue avec des discours mais aussi avec des images. Celle-ci restera scellée dans l’esprit des Américains et des électeurs au moment du vote.

Donald Trump le poing brandi et le visage ensanglanté: juste après les tirs qui l’ont visé à Butler, le 13 juillet 2024

Selon un sondage du Project on Security & Threats de l’Université de Chicago réalisé en juin 2024, 10 % des Américains se disent favorables à la violence pour empêcher la réélection de Donald Trump. Faut-il craindre une escalade de la violence si ce dernier l’emporte en novembre ?

Les Etats-Unis pratiquent la violence politique depuis au moins la guerre de Sécession. Quatre présidents américains ont été assez assassinés, et il y a eu de nombreuses tentatives d’assassinats, de présidents, de candidats à la Maison-Blanche, mais aussi d’élus du Congrès et d’autres figures politiques. L’incident de ce type le plus récent, avant la tentative contre Trump, c’est cet attentat en 2017 lors d’un entraînement de baseball d’élus républicains à Alexandria en Virginie. Parmi les victimes, le député Steve Scalise, qui a dû subir une dizaine d’opérations pour se remettre de ses blessures. L’auteur des tirs était un supporter de Bernie Sanders, l’ancien candidat démocrate à la Maison-Blanche. Il y a quelque chose dans la société américaine qui fait que la violence est l’un des moyens de résoudre des conflits.

Par ailleurs, ce système à deux partis est complètement sclérosé et rejeté aujourd’hui par la majorité des Américains qui veulent désespérément autre chose : une offre plus élargie, plus de candidats, plus de choix. Le bipartisme américain ne repose plus aujourd’hui que sur l’hyperpolarisation. La campagne actuelle avec le “duel” Biden-Trump, illustre cette hyperpolarisation qu’ont attisée les deux partis et leurs candidats. Ils ne sont plus capables de convaincre uniquement sur la base de leurs bilans ou de leurs idées. Et donc ils attisent l’acrimonie, les sentiments hyperpartisans. Le premier président des Etats-Unis, George Washington, qui est le seul à avoir été élu sans étiquette, c’est-à-dire en tant qu’indépendant, avait prévenu ses concitoyens, dans sa lettre d’adieu (NDLR : en 1796), à quel point l’esprit hyperpartisan était un poison. Nous sommes en plein dedans aujourd’hui. Ce contre quoi avait mis en garde George Washington, les Américains le vivent aujourd’hui. Ajoutez à cela près de 400 000 millions d’armes à feu qui circulent dans un pays très permissif en la matière, vous obtenez un cocktail explosif.




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