L’événement est scruté de près. Jusqu’à jeudi 18 juillet, le Parti communiste chinois organise à huis clos son troisième plénum, une réunion au sommet organisée tous les cinq ans et de laquelle pourraient déboucher de grandes orientations, notamment sur le plan économique. Et ce, alors que la croissance de la Chine ralentit, sur fond de crise immobilière, d’une consommation en berne et d’un taux de chômage élevé, notamment chez les jeunes. Si la Chine devrait réaffirmer son engagement à poursuivre ses réformes, il est peu probable qu’elle dévoile des mesures précises à cette occasion, estime Philippe Aguignier, chercheur à l’Institut Montaigne.
L’Express : Une réunion au sommet se tient jusqu’à ce jeudi en Chine. De ce troisième plénum doivent découler les grandes orientations économiques pour les années à venir. La rencontre est d’autant plus attendue que le pays enregistre une croissance plus faible qu’attendu. Peut-elle aboutir à des inflexions majeures dans la politique chinoise ?
Philippe Aguignier : Le plénum traite des grandes orientations. Il ne couvre pas la gestion économique au jour le jour. Ce n’est pas non plus le plan quinquennal, qui fixe des objectifs précis. Il pourrait y avoir des surprises, compte tenu de la situation économique qui n’est pas fameuse, mais le plus probable, c’est qu’il conduise à la réaffirmation d’un certain nombre de principes formulés de manière assez vague. Ce que tout le monde guette en particulier, c’est une réaffirmation de la volonté de poursuivre et d’approfondir les réformes. On peut aussi s’attendre à ce qu’il soit l’occasion d’aborder le fameux thème des “nouvelles forces productives”, qui est désormais très présent dans les déclarations de Xi Jinping.
Qu’entend la Chine par cette expression ?
L’immobilier a été le moteur de la croissance chinoise jusqu’à présent. Certains s’attendent à ce qu’un plan de relance soit mis en œuvre pour ce secteur, mais ce serait très surprenant. La Chine a conscience que la construction et l’immobilier ne seront plus aussi importants qu’avant et cherche à les remplacer par ces “nouvelles forces productives” comme nouveaux relais de croissance. Les batteries, les voitures électriques et les panneaux photovoltaïques figurent très haut dans cette liste. On peut y ajouter tout ce qui tourne autour de l’intelligence artificielle et des semi-conducteurs, ainsi que l’aéronautique et l’aérospatial. Il s’agit au fond de toutes les nouvelles technologies. Il est difficile de trouver un secteur dans lequel la Chine ne fait pas un effort particulier pour occuper une place de leader ! Comme c’est souvent le cas avec les dirigeants chinois, ce concept a été lâché sans être précisément défini et va être précisé, affiné au fil du temps. Il sera justement intéressant de suivre quelle place lui sera donnée dans le plénum en cours, tout comme l’accent qui sera mis sur la qualité de la croissance, et donc l’attention portée aux problèmes sociaux.
La Chine semble comme coupée en deux, entre un tissu d’entreprises dynamiques à l’export et une population dont la consommation est atone, sur fond de crise immobilière et de fort chômage de jeunes. Ce plénum sera-t-il enfin l’occasion d’aborder ces difficultés sociales qui mine le pays ?
Effectivement, il y existe une forme de dichotomie entre des exports qui progressent et une économie assez médiocre. La consommation domestique reste faible, ce qui traduit une inquiétude et un manque de confiance sur les perspectives économiques. Le spectre de la déflation persiste en Chine, sachant qu’elle est installée dans l’immobilier. Tout cela se double de l’enjeu de la préparation au vieillissement de la population, qui sera un phénomène massif en Chine et va requérir un effort considérable, notamment sur le plan du système des retraites. Tous ces problèmes ne peuvent être complètement ignorés. Mais encore une fois, il ne faut pas attendre des mesures forcément très précises dans le cadre d’un plénum.
Dans le même temps, beaucoup d’économistes conseillent au Parti communiste de changer de modèle de croissance en procédant à un rééquilibrage entre la consommation et l’investissement. Le débat dure depuis des années, mais il existe une forte résistance au sommet de l’appareil en partie pour des raisons idéologiques, puisque ce serait faire un pas dans la voie qui a conduit les pays européens là où ils en sont et dont le modèle sert de repoussoir aux dirigeants chinois. Certains observateurs attendent une inflexion sur le sujet, mais je reste sceptique. A l’avant-dernier plénum, qui s’était déroulé peu après son arrivée au pouvoir en 2013, Xi Jinping s’était présenté comme un réformateur et avait défendu l’idée d’un “rôle dominant pour les forces de marché dans l’allocation des ressources”. C’était bien trouvé et chacun y a vu ce qu’il souhaitait y voir. Mais avec le recul, force est de constater que les forces de marché ont un peu été renvoyées à la niche en Chine.
La faible demande intérieure et les surcapacités ont plus que jamais renforcé le poids des exportations en tant que moteur de la croissance chinoise. Or, la déferlante de produits made in China suscite de vives crispations du côté de ses partenaires, à l’image de l’UE qui a remonté ses droits de douane sur les véhicules électriques produits en Chine. Ces mesures de rétorsion peuvent-elles infléchir la politique à l’œuvre et pousser Pékin à se soucier de son marché intérieur ?
Là encore, il n’est pas certain que cette réflexion soit évoquée dans le cadre des documents du plénum, qui s’adresse principalement à un public domestique. D’autant que les dirigeants chinois estiment que le moment n’est pas venu d’entamer des discussions sérieuses avec leurs partenaires qui pourraient les amener à faire des concessions. Pour cause, l’élection présidentielle américaine fait peser des incertitudes sur la position qu’adopteront les Etats-Unis vis-à-vis de la Chine, tandis qu’en Europe, la tactique chinoise consiste à jouer sur les divisions entre États membres. Sur les voitures électriques, la Chine considère qu’elle n’a aucun intérêt à faire des concessions aujourd’hui dans la mesure où les constructeurs chinois vont être amenés à fournir de nouvelles données qui pourraient amener l’UE à réviser les droits de douane. Sans compter qu’à la fin, le texte va devoir être adopté au niveau politique et pourra être bloqué si un nombre suffisant de pays s’y opposent. Or, le sujet est très sensible dans certains pays comme l’Allemagne, compte tenu du poids de ses propres constructeurs automobiles sur le marché chinois.
Les investissements directs étrangers ont reculé l’an dernier en Chine. Faut-il s’attendre à ce que Pékin multiplie les gestes en faveur des investisseurs ? Dispose-t-elle d’arguments pour les faire revenir, après l’isolement dans lequel elle s’est enfermée pendant le Covid ?
L’environnement industriel chinois reste d’une efficacité remarquable. Quel que soit le secteur, il existe un tissu de sous-traitants performant. Mais il y a aussi l’aggravation des tracasseries dont sont victimes les entreprises étrangères au jour le jour, en contradiction avec les discours officiels. Enfin, avec le retour fracassant de la question géopolitique dans les décisions d’investissement des grandes entreprises, je n’anticipe pas de renversement à court terme au profit de la Chine. Le pays est lui-même engagé dans une stratégie de réduction de sa dépendance au monde extérieur et de l’investissement étranger, même s’il continue à chercher à attirer des investisseurs dans les hautes technologies et aura probablement de très bonnes paroles à leur égard.
La Chine a déjà réorienté avec succès ses efforts ces dernières années sur les industries et technologies à haute valeur ajoutée. Faut-il s’attendre à ce qu’elle pousse encore ses efforts en la matière ? A-t-elle les moyens de dépasser la concurrence mondiale dans les domaines qu’elle cible ?
Une partie de la réponse tient dans l’impressionnant chemin déjà parcouru par la Chine. Il ne faut pas sous-estimer les capacités chinoises, même si des retards perdurent dans certains domaines. C’est le cas dans les semi-conducteurs, où la Chine peine à se positionner dans les puces de dernière génération. Leur montée en puissance dans l’intelligence artificielle est aussi une question ouverte. Quant à l’aéronautique, le C919 de Comac n’est pas si chinois que cela tant le pays dépend d’acteurs étrangers pour ses composants critiques. La question de fond pour la Chine est celle de la compatibilité entre des orientations politiques autoritaires et l’innovation, d’où les difficultés que rencontre le régime dans ses relations avec le privé. Le premier cherche à bénéficier de la créativité du second tout en l’encadrant de manière très stricte et en le poussant à aligner ses intérêts avec le Parti communiste. C’est aborder le sujet lesté de boulets aux pieds.
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