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Présidence de l’Assemblée : derrière la bataille du perchoir, l’ombre de Matignon


En politique, perception et réalité ont une fâcheuse tendance à se confondre. Jean-Luc Mélenchon l’a bien compris. Le 7 juillet, le leader insoumis prend tout le monde de court dès l’annonce des résultats aux législatives. Il revendique la victoire et lance un ultimatum à Emmanuel Macron. “Le président a le pouvoir, le président a le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner. Celui-ci y est prêt.” Qu’importe si le NFP n’obtient que 182 sièges, loin de la majorité absolue. Tant pis si l’ancienne majorité présidentielle le talonne, avec 168 élus. Une graine est semée. S’instille l’idée d’une victoire de la gauche, appelée à exercer le pouvoir. Ses tractations sur la désignation d’un Premier ministre potentiel rythment l’actualité. On guette la fumée blanche, signe annonciateur de la formation d’un nouveau gouvernement.

“Nous devons bâtir un autre récit”

Le camp présidentiel est réduit au rang de spectateur. Emmanuel Macron refuse d’entrer en cohabitation avec la gauche ? Un mauvais perdant, au mieux. Un ennemi de la démocratie, au pire. La gauche a remporté la bataille du récit. Place à la revanche, jeudi, à l’occasion de l’élection du président de l’Assemblée nationale. Le camp présidentiel veut reprendre la plume et infliger au NFP une défaite symbolique. La priver du poste, pour mettre en lumière son illégitimité à réclamer Matignon. “Si le perchoir revient à un élu du NFP, c’est un coup de plus dans le narratif de cette hypothèse de la gauche au pouvoir. Nous devons bâtir un autre récit”, assume un député Ensemble pour la République (EPR). La gauche s’est infligé des blessures mortelles par ses divisions internes, place au coup de grâce. “Ce vote préfigurera du prochain exécutif, ajoute le député de Val-de-Marne Mathieu Lefèvre. Si le NFP l’emporte, on aura un gouvernement NFP.”

Emmanuel Macron tire, lui, aussi cette corde. Le chef de l’Etat établit un lien de corrélation direct entre l’identité du nouveau président de l’Assemblée nationale et la couleur du futur gouvernement. Favorable à une coalition des “forces républicaines”, le président attend la “structuration” de la chambre basse pour envisager la nomination d’un Premier ministre. “L’élection va déterminer le barycentre de la vie politique française”, confie un proche. La stratégie est en deux temps. D’abord, bâtir une alliance avec des voix modérées – Liot, LR – pour faire barrage à la gauche. Personne ne doute de cette issue au troisième tour de scrutin, à la majorité relative et non plus absolue, tant La France Insoumise agit comme un épouvantail. Puis, ériger cet alliage en acte fondateur d’un contrat de gouvernement plus large.

La manoeuvre n’est pas dénuée de raccourcis intellectuels – aucun accord programmatique n’est ici noué – mais elle sert les intérêts du camp présidentiel. Il serait libre de disserter sur cette alternative au NFP, quitte à instrumentaliser la portée du scrutin. Un front anti-NFP ne porte en soi aucune offre politique. Dans l’entourage de Laurent Wauquiez, hostile à toute coalition, on a bien noté la rhétorique insidieuse. “Nous distinguons les deux sujets. Il y a le temps de l’élection aux postes de l’Assemblée, qui implique des ententes, puis un sujet politique de nature différente.” Un pilier du gouvernement s’agace : “C’est un calcul petit-bourgeois de faire de la journée de jeudi un test coalition”, quand un député EPR reconnait la valeur “symbolique” d’une élection dont “il ne faut pas exagérer le poids.” Mais un récit vaut bien quelques arrangements avec le réel. Quelles autres cartes a dans sa main l’ancienne majorité, devancée par le NFP ?

Le cas Braun-Pivet

Place aux travaux pratiques. Le camp présidentiel est en quête du candidat idéal. L’ex-présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet sera la candidate EPR. Seule en lice, elle n’aura pas à se soumettre à un vote interne. Le nouveau président du groupe EPR Gabriel Attal souhaitait initialement que le bloc central désigne un prétendant unique au terme d’une primaire ouverte. En vain. Il a essuyé le refus du groupe Horizons, qui devrait porter la candidature de Naïma Moutchou, et des réserves similaires du MoDem.

A bas bruit, une interrogation taraude l’ex-majorité : l’acte premier d’une hypothétique coalition peut-il être la reconduction de Yaël Braun-Pivet ? Ne faut-il pas écrire un nouveau récit, après la déroute dans les urnes du camp présidentiel ? Sous couvert d’anonymat, plusieurs députés jugent le profil de l’élue des Yvelines incompatible avec l’histoire écrite ce jeudi. Son élection traduirait un déni du résultat des législatives, susceptible de nourrir l’eternel procès en arrogance de la macronie. “Les visages de la politique ne peuvent pas ressembler à ceux d’avant les élections”, juge un interlocuteur d’Emmanuel Macron.” Un député complète : “On doit montrer qu’on a compris notre défaite.”

Certains poussent la réflexion plus loin. Ne faut-il pas passer la main pour intérioriser la défaite ? Offrir le poste à une personnalité étrangère au macronisme comme preuve d’humilité ? “Ce ne serait pas un bon signe que Renaissance conserve le perchoir, juge un ministre. Cela donnerait l’impression que l’on s’accroche aux postes alors que nous travaillons sur une coalition.” Des noms circulent. Selon Le Figaro, l’élue du groupe Liot Valérie Létard est envisagée en candidate de “recours” en cas d’échec de Yaël Braun-Pivet. Les partisans d’une alliance avec LR ne verraient pas d’un mauvais œil la promotion d’Annie Genevard, élue respectée et ancienne vice-présidente de l’Assemblée. Laurent Wauquiez a échangé avec les trois présidents de groupe du bloc central. Le député de Haute-Loire n’a pas le sentiment que l’ex-majorité est prête à lâcher le perchoir en signe d’ouverture. Un cadre LR sourit : “Wauquiez refuse toute coalition. Je pense que voir Genevard à l’Assemblée le ferait tiquer.” A chacun ses récits.




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