“Tout le plaisir de l’amour est dans le changement”, disait Molière. Mais en va-t-il de même pour le travail ? Affirmatif, répondent les chiffres. Les Français – mais il n’y a pas d’exception culturelle ici – changent de plus en plus souvent de poste, d’entreprise, voire de métier. L’ancienneté moyenne dans la même société au cours des dix dernières années est passée de six à trois ans (Insee, 2022). Le turnover, lui, a presque quintuplé en 30 ans. 36 % des cadres ont quant à eux l’intention de changer d’employeur cette année (Apec 2023). Sans parler du boom du nombre de free-lances (+ 92 % depuis 2009, source Eurostat).
Peut-être faites-vous aussi partie de ces cadres gagnés par la tentation de la grande bougeotte. Sans toutefois oser franchir le pas. Une frilosité qui s’explique. “Parce qu’on a un emprunt sur le dos, un salaire qui tombe régulièrement ou qu’on a mis du temps à décrocher un poste, on se place dans une logique peu proactive”, analyse Thomas Simon, professeur en ressources humaines à l’école MBS de Montpellier. Une envie de changement contrariée, donc, par un besoin de sécurité : “C’est un peu la fable du chien et du loup : le loup est libre mais affamé et le chien en laisse mais il a toujours à manger”, résume le chercheur.
Gare toutefois à ne pas rester trop longtemps dans cette zone tampon, en espérant que les choses se tassent et qu’elles s’améliorent. Prêtez attention à ces petits signes annonciateurs qui peuvent un jour devenir symptomatiques d’une plus grande difficulté. Jusqu’à se retrouver au pied du mur. Le magazine d’affaires américain Fast Company en a listé quelques-uns : “la frénésie de mails reçus en dehors des heures de travail, le micromanagement, les délais et les objectifs irréalistes, et un mépris total de l’équilibre travail-vie personnelle”. Une liste de l’enfer à laquelle Thomas Simon (qui a conduit une étude auprès de 35 jeunes diplômés ayant claqué la porte de leur entreprise) ajoute “des process qu’il faut sans cesse suivre mais qui ne sont jamais questionnés”. Ou l’évènement de trop qui fait déborder le vase. Ce que le professeur de management appelle le “choc de l’absurde”.
Il y a aussi lieu de se poser des questions lorsque “les relations au quotidien avec son manager ou ses collègues sont en permanence conflictuelles, et que l’espace de discussion n’est pas possible”, explique la chercheuse Domitille Bonneton. “Des missions en complet décalage avec nos compétences ou nos appétences sont également des signes d’alerte beaucoup plus forts”, ajoute cette professeure à l’ESC Clermont Business School. Et puis il y a des signes plus anodins, mais qui ne trompent pas. Camille Cherkaoui, enseignante-chercheure à l’école de commerce EDC, prend un exemple tout bête : “quand vous commencez à vous plaindre du temps de trajet domicile-travail alors qu’il n’a pas changé depuis votre prise de poste des années auparavant, cela peut cacher quelque chose de plus profond”.
Ne pas réagir sous le coup de l’émotion
Sauf en cas d’ambiance de travail particulièrement toxique, plusieurs options s’offrent à vous avant de décider de mettre les voiles. “Ce qui compte, ce sont les personnes avec lesquelles vous collaborez, le travail que vous faites et les possibilités d’évolution. Si celles-ci n’existent pas dans votre poste actuel, cherchez à comprendre si vous pourriez trouver quelque chose en interne avant de choisir une autre entreprise”, souligne l’experte en gestion de carrière Catherine Fisher. La mobilité interne – qu’elle soit géographique, horizontale ou verticale – est une piste à envisager. Bien qu’elle soit encore marginale en France, cette mobilité a progressé de plus de 10 % entre 2010 et 2020.
La coach britannique Alice Stappleton invite, elle, à s’interroger sur les raisons pour lesquelles nous envisageons un changement : “S’agit-il d’une réaction spontanée à quelque chose de particulier qui s’est produit au travail ? Peut-être vous sentez-vous insuffisamment reconnu et voulez-vous simplement prouver que vous avez raison ?”. Dans ce cas, “attendez quelques semaines avant de prendre votre décision”, recommande l’experte. En somme, ne pas réagir sous le coup de l’émotion et aborder les choses d’un point de vue rationnel.
Dernier cas de figure, le plus cornélien de tous : une tentative de débauchage de la concurrence alors que vous étiez plutôt épanoui dans votre travail jusque-là. Au bout de l’hameçon, une rémunération qui donne une sérieuse envie de mordre. Que faire ? Le salaire reste, soulignons-le, la première motivation des cadres pour changer d’entreprise… Et la mobilité, un levier financier (en 2022, 74 % des cadres ayant changé d’entreprise, sans passer par la case chômage, et 72 % des cadres ayant changé de poste au sein de leur entreprise ont été augmentés, contre seulement 55 % de ceux n’ayant pas évolué en interne, Baromètre Apec 2023). Là encore, prendre le temps de la réflexion avant de franchir le Rubicon. “Lorsqu’on commence dans une nouvelle entreprise, il faut faire ses preuves. Cela implique beaucoup plus de travail dans les premiers mois, le temps de mettre son nouvel employeur en confiance”, rappelle Camille Cherkaoui.
Par ailleurs, accepter une offre alléchante uniquement pour des questions d’argent n’est pas toujours un bon calcul. “La plupart des études sur la motivation et le salaire ont montré que l’aspect financier est une motivation qui fonctionne à très court terme”, pointe Domitille Bonneton, laquelle invite à prendre en compte d’autres critères au-delà du salaire de base, tels que : “la relation de confiance, la souplesse et l’équilibre vie pro-vie perso”. Et si l’envie de profiter de cette tentative de débauchage pour négocier une revalorisation salariale en interne monte en vous, prenez garde : “Les employeurs n’aiment pas en général entrer dans ce jeu de la surenchère, partant du principe que si le salarié était déjà prêt à accepter une proposition de la concurrence, on ne le retiendra qu’à très court terme avec de l’argent”.
Enfin, si vous avez des envies d’ailleurs parce que vous avez le sentiment d’avoir perdu la flamme, peut-être est-ce aussi l’occasion de remettre en question vos priorités et de prendre du recul, explique dans le New York Times le professeur de psychologie Stewart Shankman. “Essayez de prendre le temps d’explorer les choses qui ont un sens pour vous en ce moment. Il se peut qu’un autre aspect de votre vie remplace le rôle que le travail jouait auparavant […]. Votre travail ne doit pas nécessairement être ce qui vous définit”.
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