Donald Trump de retour aux manettes ? Il n’y a pas que dans les ambassades occidentales qu’un tel scénario commence à donner des sueurs froides. L’Iran a, elle aussi, gardé un très mauvais souvenir de son passage à la Maison-Blanche. A l’actif de l’ancien président des Etats-Unis : dénonciation de l’accord sur le programme nucléaire iranien, rétablissement d’un large éventail de sanctions et surtout son feu vert à l’assassinat du général Qassem Soleimani en janvier 2020. Assez pour vouloir le tuer à quatre mois d’une potentielle victoire à la présidentielle ? Selon plusieurs médias américains, Donald Trump, miraculeusement rescapé d’une attaque le 13 juillet, fait en effet l’objet de menaces venues de Téhéran cette fois-ci. La chaîne CNN et d’autres médias ont rapporté mardi 16 juillet que les autorités américaines avaient reçu des renseignements d’une “source humaine” concernant un plan fomenté par le régime iranien contre l’actuel candidat républicain, poussant le Secret Service, chargé de la protection des personnalités politiques américaines, à relever son niveau de protection.
Selon Gabriel Noronha, ancien Conseiller spécial sur l’Iran au département d’État des États-Unis (entre 2019 et 2020), la République islamique a la dent dure s’agissant de Donald Trump. Membre de l’Institut juif américain pour la sécurité nationale (Jinsa), le Républicain estime que de telles menaces apparaissent crédibles au regard du bilan du régime iranien en matière d’assassinat d’opposants ces quarante-cinq dernières années. Si viser Trump lui semble un objectif peut-être trop ambitieux pour l’Iran, “cela fait longtemps qu’ils ont ce genre d’action en tête”, assure cet ancien collaborateur du sénateur John McCain.
L’Express : L’Iran a rejeté les accusations l’impliquant dans un complot visant à tuer Donald Trump. Cette menace vous semble-t-elle crédible ?
Gabriel Noronha : Oui et pour plusieurs raisons. D’abord, si vous regardez les quarante-cinq dernières années d’existence de ce régime, le pouvoir iranien a commis près de 1000 assassinats ciblés et meurtres d’opposants à travers le monde. Je veux parler notamment du meurtre de trois opposants kurdes iraniens et de leur interprète en 1992 à Berlin, mais aussi de l’attentat de l’Amia en Argentine deux ans plus tard. Ou plus récemment en France, l’attentat à la bombe déjoué qui visait un rassemblement de l’opposition iranienne. Je dirais donc qu’il y a dans ces révélations de la presse une forme de cohérence au vu des activités passées du régime iranien. D’autant que ceux qui sont derrière les attaques que je viens de citer sont les mêmes que ceux actuellement au pouvoir en Iran aujourd’hui.
Il faut se remémorer ensuite les déclarations de plusieurs responsables iraniens depuis 2020 (NDLR : année de la mort du général Qassem Soleimani, une figure du régime tuée par les Etats-Unis). Tous ont indiqué qu’ils voulaient éliminer Donald Trump et d’autres hauts fonctionnaires de l’administration américaine impliqués dans l’assassinat de Soleimani. Je pense par exemple aux propos de l’ancien président iranien Ebrahim Raïssi qui avait déclaré en 2022 : “Si Trump et Pompeo ne sont pas jugés […] les musulmans prendront leur revanche de martyrs”.
En 2022, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale avait fait une déclaration dans laquelle il mettait en garde l’Iran contre toute action à l’encontre de fonctionnaires américains. Malgré cela, le régime iranien a continué ses menaces contre Trump et d’autres hauts responsables. C’est le cas notamment du général Ali Hajizadeh, le chef des forces aérospatiales des Gardiens de la révolution (lequel aurait affirmé en 2023 : “Si Dieu le veut, nous tuerons Trump, Pompeo, McKenzie et les commandants militaires qui ont ordonné [l’assassinat de Soleimani], NDLR).
Le régime iranien s’en prend généralement aux opposants et aux journalistes. Cibler une personnalité politique du calibre de Donald Trump serait un tournant…
Ce serait spectaculaire, mais cela fait longtemps qu’ils ont ce genre d’action en tête. S’ils ne l’ont pas encore fait, ce n’est pas qu’ils ne le veulent pas, cela veut dire simplement qu’ils n’ont pas encore réussi.
Leur crainte, c’est que si Trump revient au pouvoir, il leur mettra à nouveau une pression maximale
Tant que Trump n’est qu’un candidat, ils estiment qu’ils ont plus de latitude pour essayer de le tuer. Que ce serait moins antagoniste. Ils aimeraient donc l’éliminer avant qu’il ne redevienne président, soit dans les quatre prochains mois s’ils en ont la possibilité. Passé ce délai, les choses deviendraient plus difficiles. Je pense en effet que cibler le président des Etats-Unis serait un objectif ambitieux car il bénéficie d’un important dispositif de sécurité. Je m’inquiète davantage pour les hauts fonctionnaires qui travaillent sous ses ordres. Ce sont ces personnes-là qui, à mon avis, courraient alors le plus grand risque d’être assassinées.
Est-il réaliste de penser que le régime de Téhéran a les ressources logistiques et humaines nécessaires pour viser une personnalité comme Donald Trump ?
Il ne semble pas, d’après les documents déclassifiés, que le régime iranien dispose d’agents infiltrés aux États-Unis, mais plutôt qu’il essaie de recruter des personnes pour effectuer le travail à sa place. Le ministère de la Justice des Etats-Unis a lui-même déclaré publiquement que les Iraniens tentaient de recruter des Américains et des Canadiens d’origine iranienne, ainsi que des membres du cartel et des membres des Hells Angels, un gang de motards violents, pour commettre des assassinats. Souvenez-vous qu’en 2022, un membre des Gardiens de la révolution iraniens avait ainsi fomenté un complot et offert 300 000 dollars pour tuer John Bolton (ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, NDLR) et un million de dollars pour tuer le secrétaire d’Etat Mike Pompeo.
Vous étiez conseiller à la Maison-Blanche juste après la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Comment avez-vous vécu les choses de l’intérieur ?
J’en ai retenu plusieurs choses. D’abord, les Iraniens étaient extrêmement inquiets de nos pressions et de nos sanctions. Ils étaient déterminés à mener des actions terroristes tant qu’ils avaient de l’argent pour le faire. J’ai aussi vu à quel point, dès qu’ils avaient de l’argent, ils s’arrangeaient pour le réaffecter au terrorisme plutôt qu’à leur peuple. C’est la principale chose que j’ai apprise : leur priorité est leur politique étrangère révolutionnaire qu’ils l’élèvent au-dessus de tout le reste. Le Guide suprême le dira lui-même, son objectif est de convertir et de détruire les forces du capitalisme, du communisme et du sionisme, et ils veulent les remplacer par un califat islamique. C’est leur objectif final. Ils veulent y parvenir en sapant tous leurs rivaux régionaux, en détruisant Israël, puis en continuant à partir de là, et ils veulent établir un califat chiite avec l’Iran au centre.
Si d’autres pays se comportaient comme l’Iran, ils auraient déjà été confrontés à des conséquences massives
Le régime iranien a-t-il vraiment peur d’un retour de Trump à la Maison-Blanche ?
Ils sont très inquiets car ils savent que sa politique leur a été très préjudiciable par le passé. Elle a porté un coup à la capacité du régime de collecter des fonds pour financer le terrorisme. Leur crainte, c’est que si Trump revient au pouvoir, il leur mettra à nouveau une pression maximale. Qu’il sera beaucoup plus disposé à prendre des mesures agressives à leur encontre, là où l’administration Biden a fait preuve d’une incroyable frilosité, refusant de prendre des mesures appropriées contre les menaces nucléaire et terroriste. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur d’une escalade à travers le monde, ce qui les rend déférents envers le régime. De la même manière qu’ils n’ont pas voulu au départ fournir des certaines armes à l’Ukraine par crainte de ce que Poutine pourrait faire en retour. Ils ne veulent pas prendre de mesures qui, selon eux, provoqueraient les Iraniens. Et ce faisant, ils incitent le régime à prendre des mesures agressives à leur encontre parce que celui-ci est convaincu qu’il n’y aura pas de conséquences.
L’Occident minimise-t-il trop la menace iranienne ?
Absolument. Je pense que si d’autres pays se comportaient comme l’Iran, ils auraient déjà été confrontés à des conséquences massives. Mais l’une des raisons pour lesquelles les dirigeants occidentaux n’ont rien fait au sujet de l’Iran est que les lobbys iraniens les ont très efficacement convaincus de ne pas agir. Ils les ont compromis intellectuellement en leur faisant croire qu’une confrontation avec eux causerait davantage de problèmes. Je pense que c’est là l’exemple même de la dissuasion : empêcher leurs adversaires de prendre des mesures contre eux en leur faisant craindre que les conséquences seraient encore pires s’ils les punissaient.
Les Chinois et les Russes représentent toujours la plus grande menace pour la sécurité dans le monde, mais si vous regardez le programme nucléaire iranien, je pense que nous devrions être extrêmement inquiets à l’idée qu’ils vont bientôt s’approcher de la bombe nucléaire. J’ignore précisément quand, mais c’est pour bientôt. Sans être par ailleurs véritablement inquiétés. Prenez la France. Les Iraniens ont une banque d’État en activité à Paris (la banque Melli, NDLR), dont les actifs se chiffrent en milliards de dollars. Toutes ces banques sont accusées de soutenir le terrorisme et de faciliter l’acquisition par le régime d’éléments de son programme nucléaire et de son programme de missiles balistiques. Il y a donc tous ces actifs en circulation sur lesquels le gouvernement français, par exemple, refuse de prendre des mesures. Pour la simple et bonne raison qu’il a peur que l’Iran s’en prenne aux intérêts français. Tous les pays occidentaux ont cette même crainte. Et c’est pourquoi l’Iran continue de s’en sortir.
Faut-il accentuer la pression internationale sur le régime iranien ?
Tout d’abord, Il faut supprimer les revenus tirés de l’exportation du pétrole et imposer des sanctions sur les importations et les marchandises. Ensuite, l’Europe doit se rallier pleinement à la cause en adoptant des sanctions bancaires audacieuses, des sanctions pétrolières et énergétiques totales à l’encontre de l’Iran. C’est la première étape, car si vous empêchez l’Iran de se financer, il ne pourra pas mettre en œuvre ses plans de guerre. Mais il faut aussi exercer une pression diplomatique et militaire massive sur le régime pour lui faire comprendre que s’il s’emporte, il en subira de graves conséquences.
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