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L’inquiétante analyse de David Frum, ex-plume de Bush : “Si Trump l’emporte, ce sera la fin…”

Si un Américain vous dit que Donald Trump est un danger pour la démocratie dans le monde, vous tendrez peut-être l’oreille. Vous tendrez à coup sûr les deux si cet Américain est un célèbre néoconservateur qui a soufflé à George W. Bush cette formule passée à la postérité : “l’axe du mal”. David Frum, désormais éditorialiste au magazine The Atlantic, a du mal à saisir pourquoi la France n’arrive toujours pas à former un gouvernement – “Je ne comprends pas où est la difficulté” -, mais il lit en Donald Trump comme dans un livre ouvert. Du candidat républicain, l’ancienne plume de George W. Bush pendant son mandat estime qu’il n’a plus la même vigueur qu’il y a huit ans. Mais qu’il est néanmoins encore plus dangereux : “En cas de second mandat, il sera toujours aussi paresseux, mais il saura ce qu’il veut faire : se venger. Et il sera entouré de personnes qui voudront l’aider.”

David Frum trace la voie à suivre pour que Kamala Harris, ou celui qui portera les couleurs du Parti démocrate, triomphe en novembre prochain. Une campagne qui s’annonce violente, selon l’auteur de Trumpocalypse (Harper, 2020) : “Trump va déchaîner contre Kamala Harris toutes les forces obscures de la vie américaine.” Mais lorsqu’on regarde dans le détail les résultats du Parti républicain lors des derniers scrutins, la victoire de l’ex-président est loin d’être acquise, pointe l’éditorialiste. Entretien.

L’Express : Deux jours avant l’abandon de Joe Biden, vous écriviez à propos du camp républicain : “Cette équipe est tout à fait battable.” Pourtant, vue d’ici, la puissance de Donald Trump semble difficilement surmontable…

David Frum : S’agissant de Donald Trump, il y a une chose importante que les gens perdent de vue. Malgré sa victoire en 2016, celui-ci a obtenu 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. Il a perdu la Chambre des représentants en 2018. Il a obtenu 7 millions de voix de moins que Joe Biden à la présidentielle de 2020. A cause de ses multiples interventions, les républicains ont par ailleurs perdu la majorité au Sénat en 2021.

Mais ce n’est pas tout. Parce que Donald Trump a insisté pour promouvoir des candidats à son effigie, son parti a obtenu un très mauvais résultat aux élections de 2022. La plupart des observateurs étrangers ont uniquement retenu que les républicains l’avaient remporté de justesse à la Chambre des représentants, mais ils n’ont pas saisi à quel point 2022 a été une mauvaise année pour ce parti. Prenez par exemple les élections législatives au sein de chaque Etat. Ce sont généralement des élections très favorables au parti qui n’est pas celui du président des Etats-Unis en exercice. Or, cette année-là, les démocrates ont repris quatre chambres d’Etat aux républicains. Ces résultats sont le fruit de deux facteurs : d’une part, la colère suscitée par l’abrogation par la Cour suprême du droit constitutionnel à l’avortement (NDLR : qui répondait selon Trump “à la volonté de Dieu”). Ensuite, l’obstination de Donald Trump à envoyer des égéries trumpistes comme candidats dans des circonscriptions où ces derniers n’auraient jamais dû mettre les pieds. Et cela a continué en 2023 lors des élections locales, au niveau des villes, des comtés et des postes de juges. Là encore, les républicains ont obtenu de très mauvais résultats.

Donald Trump est incroyablement paresseux

Or le traitement de la politique américaine par la plupart des médias étrangers déforme quelque peu cette réalité. Je grossis le trait, mais les journalistes étrangers ont pour habitude de se rendre au fin fond de l’Ohio où ils interrogent un grand nombre de personnes qui aiment vraiment Donald Trump. Ce qui laisse penser que celui-ci est à la tête d’un mouvement de masse au soutien écrasant. Alors qu’en réalité, si on se fie aux enquêtes d’opinion, Donald Trump n’a jamais eu le soutien de plus de 46 % de la population américaine. Et encore, parmi ces 46 %, seulement la moitié est réellement enthousiaste à son égard. Les autres sont réticents. Les Américains qui s’opposent à lui sont donc plus nombreux que ceux qui le soutiennent. Avouez qu’on est quand même bien loin de l’image d’un Juan Perón entouré d’une foule de partisans fanatiques…

Pourtant, malgré un bon bilan économique, Joe Biden et les démocrates ne semblent pas susciter un enthousiasme débordant auprès des Américains…

En règle générale, la campagne de réélection du candidat sortant se joue sur son bilan. Lorsque les gens sont satisfaits du parti en place, ils reconduisent le président. C’est comme cela que Ronald Reagan a été réélu en 1984, que George H. W. Bush en 1988 a donné une troisième victoire d’affilée aux républicains, ou encore que Bill Clinton a remporté un second mandat en 1996. Cela aurait pu être le cas avec Joe Biden, mais il y avait en réalité un écart important entre ses résultats dans les sondages et les bonnes performances du Parti démocrate dans les différentes élections. Electoralement, les démocrates s’en sortaient bien jusqu’à ce que les électeurs s’alarment de l’infirmité de Joe Biden. Les Américains ont commencé à craindre qu’en cas de crise le président ne puisse pas faire face à la situation. N’oubliez pas que le président américain doit toujours être un chef de guerre potentiel, qu’il doit toujours être en mesure de répondre non seulement à une crise militaire, mais aussi à une crise militaire nucléaire où le temps se mesure en minutes. Au vu de son bon bilan économique, Joe Biden avait une histoire à raconter aux électeurs américains, mais il n’était pas disposé à le faire. Du moins, il n’en a pas été capable.

Kamala Harris a été une vice-présidente relativement effacée. A-t-elle les qualités requises pour porter la candidature démocrate ? Sur l’immigration, dossier dont l’avait chargée Joe Biden, son bilan a été très critiqué…

Et pourquoi pas lui confier le dossier de l’Otan tant qu’il y était ! Comment aurait-elle pu aider Joe Biden ? Donner à Kamala Harris la question épineuse de l’immigration, un sujet sur lequel le vice-président n’a aucune marge de manœuvre, a été une faute professionnelle de la part de Joe Biden. Il l’a condamnée à l’échec. L’immigration a été le sujet le plus explosif de la première partie du mandat de Joe Biden. De toute évidence, Kamala Harris n’avait pas les moyens de négocier d’accord avec des gouvernements étrangers ou des membres du Congrès. Un président doit déléguer à son numéro 2 des questions qui sont moins importantes, moins prioritaires, pour lesquelles tout le monde autour de la table comprend que ce n’est pas le président qui aura vraiment la main. Un dossier sur lequel le vice-président a les moyens de conclure un accord qui sera respecté de tous. Lorsque vous êtes le président le plus âgé de l’histoire, vous avez la responsabilité d’aider votre vice-présidente à se construire, car elle peut hériter du poste à tout moment. Cela signifie d’abord lui confier des missions dans lesquelles elle peut réussir. Si vous lui donnez le portefeuille le plus important, vous ne l’aidez pas à se construire. Au contraire, vous la sabotez parce qu’elle n’a pas les conditions pour réussir.

Ainsi, pendant les quatre années de l’administration Reagan, Bush était sur la route tous les jours pour collecter des fonds pour les campagnes électorales. Il s’agissait d’un portefeuille où le vice-président pouvait réussir et se faire des amis. C’est ce qui a permis à Bush de remporter facilement sa course à l’investiture. C’est ainsi que l’on construit son vice-président. En lui confiant un dossier important, mais qui ne relève pas du niveau présidentiel. Un dossier qui rend le vice-président plus populaire au sein du parti, et qui lui permet de construire son image. Ronald Reagan voulait vraiment que George H. W. Bush lui succède. Bill Clinton souhaitait vivement qu’Al Gore lui succède. Joe Biden, lui, était plus ambivalent. Il n’a donc pas aidé Kamala Harris comme il aurait dû le faire.

La broche du candidat Ronald Reagan, en 1980, avec son colistier George Bush.

Lors d’un lors d’un meeting de campagne en Caroline du Nord ce 24 juillet, Donald Trump a traité Kamala Harris de “cinglée de la gauche radicale”. Pensez-vous qu’elle sera une cible plus facile que Joe Biden pour le candidat républicain ?

Kamala Harris est une cible plus facile qu’un Biden en pleine forme (rires). Si les démocrates avaient pu trouver un Biden plus jeune, il aurait probablement été le meilleur choix. L’expérience de 2016 avec Hillary Clinton nous a montré que le fait d’être une femme peut vous coûter des points. Etre une femme de couleur peut faire perdre des points à Kamala Harris. Elle n’est donc pas la candidate démocrate la plus forte que l’on puisse imaginer.

Donald Trump va-t-il se servir des origines de Kamala Harris et du fait qu’elle soit une femme comme une arme ? Oui. Va-t-il libérer toutes les forces obscures de la vie américaine contre Kamala Harris ? Bien sûr ! Ils l’attaqueront aussi sur le fait qu’au début de sa carrière politique elle a entretenu une liaison avec un homme politique très puissant (NDLR : Willie Brown, maire de San Francisco de 1996 à 2004), en avançant qu’elle s’est servi de cette relation pour faire avancer sa carrière. Ils s’en prendront aux parents de Kamala Harris, tous deux immigrés (NDLR : sa mère est née en Inde, son père, en Jamaïque). Nous assisterons ainsi au remake des “birthers” contre Barack Obama en 2009 (NDLR : des activistes avaient affirmé que le candidat démocrate n’était pas né aux Etats-Unis mais au Kenya). Le camp Trump va aussi s’attaquer à son statut familial, en arguant qu’elle n’a pas d’enfants à elle (NDLR : Kamala Harris a épousé l’avocat Doug Emhoff en 2014 et est devenue la belle-mère de ses deux enfants). Mais Donald Trump devra être prudent parce que les armes qu’il voudra utiliser contre Kamala Harris, s’il les manie de manière grossière, pourraient se retourner contre lui. Et pas seulement avec les femmes et les personnes de couleur, mais aussi avec beaucoup d’hommes et de Blancs.

Ne croyez-vous pas que le candidat Donald Trump mettra de l’eau dans son vin une fois élu à la Maison-Blanche ?

Vous connaissez beaucoup de gens dont le caractère n’a pas changé entre 10 et 80 ans et qui soudain changeraient passé 80 ans ? Non, une fois Trump à la Maison-Blanche, vous aurez Trump, point barre. Dans son premier mandat, l’action de son administration a été tempérée par plusieurs facteurs. Premièrement, Donald Trump est incroyablement paresseux. Deuxièmement, il ne savait pas comment fonctionnait vraiment le gouvernement des Etats-Unis. Troisièmement, il était entouré de personnes qui ne voulaient pas l’aider à détruire l’Otan. Mais ne vous méprenez pas, en cas de second mandat, il sera toujours aussi paresseux, mais il saura ce qu’il veut faire : se venger. Il saura mieux comment s’y prendre, et il sera entouré de personnes qui voudront l’aider. Cette fois-ci, Trump arrive en sachant qui est son ami et qui ne l’est pas. Il sait que les agences de sécurité nationale accordent de l’importance aux alliances des Etats-Unis avec ses partenaires. Il sait qu’elles ne seront pas satisfaites de ce qu’il veut faire pour détruire ces alliances. Le système de sécurité nationale des Etats-Unis se méfie de ses relations avec Poutine. Pour toutes ces raisons, Trump sera beaucoup plus agressif cette fois-ci dans sa volonté de détruire ces institutions de la sécurité nationale.

Plusieurs anciens proches de Trump à la Maison-Blanche, comme l’ancien vice-président Mike Pence ou son ancien conseiller John Bolton, ont d’ailleurs annoncé ne pas le soutenir en 2024…

C’est un point très intéressant que vous soulevez. En 2016, Trump pensait qu’il serait populaire auprès des militaires parce qu’il les considérait comme une force réactionnaire dans la vie américaine. Mais il a été stupéfait de découvrir qu’en réalité l’armée, surtout en ce qui concerne les hauts gradés, est ce qu’il y a de plus sophistiqué au niveau du gouvernement américain. C’est dans ce corps-là que l’on trouve le plus de personnes susceptibles de parler une deuxième langue. Et il y a une chose dans laquelle l’armée américaine croit fortement, c’est que les alliés des Etats-Unis sont une immense ressource. Les militaires savent à quel point les ressources américaines sont limitées et à quel point une alliance démocratique est plus puissante que l’Amérique seule.

Les démocrates doivent comprendre qu’ils ont en face d’eux une coalition anti-Trump composée de plusieurs éléments

Ainsi, en 2016, Donald Trump a découvert, à sa grande surprise, que tout ce qu’il voulait faire était inacceptable pour les militaires. Non pas qu’ils lui aient jamais désobéi, mais lorsqu’il leur disait de faire quelque chose, les militaires lui expliquaient pourquoi ce n’était pas possible. C’est de notoriété publique, lorsque Donald Trump a rendu visite à Emmanuel Macron en France à l’été 2017, il a adoré le défilé du 14 juillet. Il s’est dit : “Je veux la même chose pour les Etats-Unis.” A son retour à Washington, il a donc ordonné à l’armée d’organiser une grande parade sur Pennsylvania Avenue (NDLR : une grande avenue reliant la Maison-Blanche au Capitole des Etats-Unis). Les militaires lui ont expliqué pourquoi, en réalité, ils ne voulaient pas le faire parce que cela aurait eu une connotation politique. Ils ont donc réalisé une étude montrant que de faire défiler des chars d’assaut sur Pennsylvania Avenue coûterait 80 millions de dollars. Et Trump de répondre : “Non, ça ne coûtera pas 80 millions de dollars. Tout ira bien.” L’armée a alors transmis l’étude d’impact au Washington Post. Les militaires ne lui auraient jamais désobéi, mais ils ont trouvé un moyen de ne pas l’aider.

Comment les démocrates peuvent-ils battre Donald Trump ?

Les partisans de Trump forment un seul bloc constitué de deux parties : une partie qui aime Trump et une partie qui ne l’apprécie guère mais qui le soutient parce qu’elle déteste la gauche. En face, et c’est une difficulté pour les démocrates, vous avez les Américains qui n’aiment pas Trump mais qui le détestent pour des raisons différentes. La coalition anti-Trump est composée de nombreux éléments. Il est plus compliqué d’assembler la coalition anti-Trump que de réunir les deux parties qui forment le bloc pro-Trump. Les démocrates doivent donc comprendre d’abord qu’ils ont en face d’eux une coalition anti-Trump composée de plusieurs éléments. Et trouver diverses façons de s’adresser à elle. Cela ne signifie pas que le candidat démocrate doive s’adresser à toutes les parties, mais il doit les aborder de différentes manières pour atteindre l’objectif commun : vaincre Trump.

Il y a des Américains qui n’aiment pas Donald Trump parce qu’ils sont de gauche. Il y a ceux qui ne l’aiment pas parce qu’ils sont au centre. Et il y a même des Américains qui n’aiment pas Trump parce qu’ils sont de droite ! Car Trump n’est pas un conservateur traditionnel. En 2018, lors des élections de mi-mandat, les démocrates ont réalisé des gains importants dans certains des districts les plus conservateurs du pays. Prenez par exemple celui de Houston. Le président George H. W. Bush y a fait ses premières armes en tant que membre du Congrès lorsqu’il s’est présenté à la Chambre des représentants en 1966. Les républicains ont perdu ce siège en 2018 alors qu’ils avaient réussi à le conserver pendant cinquante-deux ans ! Tout comme la coalition Trump a perdu des bastions républicains dans les banlieues huppées d’Atlanta et de Richmond en Virginie.

La position de J.D Vance sur l’Ukraine va devenir un handicap pour Trump

Mon conseil aux démocrates ? Trouver le moyen de parler à la fois aux femmes noires de la classe ouvrière et aux banlieusards aisés qui considèrent comme inacceptables les attaques de Trump contre les droits humains, les droits des femmes, parce qu’il est une force d’instabilité, parce qu’il est antidémocratique. J’ajouterais que beaucoup d’Américains se soucient de l’Ukraine…

A ce propos, J. D. Vance, le colistier de Trump, est un ferme opposant à l’aide américaine à l’Ukraine…

En choisissant J. D. Vance, Donald Trump s’est montré trop sûr de lui. En effet, un vice-président se choisit sur deux critères : être prêt à faire le travail si quelque chose arrive au président et élargir l’attrait de ce dernier d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi que John F. Kennedy, impopulaire dans le Sud, a choisi Lyndon B. Johnson en 1960 pour l’aider à gagner. Bill Clinton s’était opposé à la première guerre du Golfe, ce qui l’a fait paraître faible en matière de défense. Pour élargir son champ électoral, il a donc choisi Al Gore, qui avait été en faveur de la première guerre du Golfe. John McCain a choisi Sarah Palin comme colistière, la première dans l’histoire des Etats-Unis, parce qu’il voulait gagner des points dans l’électorat féminin. Lorsqu’il s’est présenté en 2016, Donald Trump tenait à s’assurer le soutien des religieux. Il a donc choisi Mike Pence. Or, J. D. Vance ne s’adresse qu’aux personnes qui aiment déjà Trump. Il n’a en rien élargi l’attrait de celui-ci. Qui plus est, J. D. Vance n’a aucune expérience du gouvernement. Contrairement à George W. Bush, qui avait choisi Dick Cheney non pas pour l’aider politiquement, mais pour tirer parti de son expérience en matière de gouvernement. En réalité, le choix de J. D. Vance n’a été motivé que par un petit nombre de personnes très riches de la Silicon Valley, en raison de son hostilité à l’Ukraine. Et ce petit groupe a promis beaucoup d’argent à Trump.

Si la politique est un échiquier, le président est la reine, le vice-président, le cavalier. Le vice-président peut se rendre dans des endroits où le président ne peut pas aller. Mais J. D. Vance ne peut aller que là où Trump est populaire. Vous ne pouvez pas l’envoyer dans une ville comme Los Angeles ! Et la position de J. D. Vance sur l’Ukraine va devenir un handicap pour Donald Trump. Certains membres de l’ancienne coalition Reagan-Bush considèrent l’Ukraine comme une question très importante. En tant que vétéran de l’administration de George W. Bush, je peux vous dire que pour ces gens-là, la confiance des alliés envers les Etats-Unis est une question majeure.

Comment jugez-vous la campagne de l’ancien président jusqu’ici ?

Donald Trump est manifestement moins énergique qu’il y a huit ans. Il est plus ennuyeux. Il passe plus de temps à jouer au golf. Il participe à moins d’événements. Le spectacle observé lors d’un rassemblement de Trump est moins amusant qu’en 2016.

Sa plus grande erreur, jusqu’ici, est de ne pas avoir travaillé plus dur. Dans son esprit, Trump pense toujours qu’il est président. Lorsque Bill Clinton a cherché à obtenir un second mandat en 1996, et Obama en 2012, il s’agissait d’hommes jeunes et vigoureux. Pourtant, ils n’ont pas organisé autant d’événements que quatre ans auparavant. Et tout le monde l’a compris. Vous êtes président. Vous pouvez faire un certain nombre de discours par semaine, mais le président doit faire son travail de chef d’Etat. Or Trump fait campagne comme s’il était président. Il organise très peu d’événements. Avez-vous remarqué que ses meetings ont lieu en plein air ? Si vous organisez un rassemblement à l’extérieur en Arizona pendant l’été, les gens vont s’évanouir et tomber malades. Alors, pourquoi ne loue-t-il pas un stade climatisé ? La réponse est que, lorsqu’il a fait campagne en 2016 et en 2020, il n’a pas payé ses factures. Les stades ne sont donc pas à sa disposition parce qu’il leur doit encore de l’argent. Le fait qu’il ne se préoccupe pas que ses partisans tombent malades lors de ses meetings parce qu’il les tient en été, en plein air, dans des endroits chauds, est par ailleurs un signe de sa sociopathie.

Donald Trump n’a-t-il rien accompli de positif à vos yeux lors de son passage à la Maison-Blanche ?

Bien sûr, de bonnes choses se sont produites pendant sa présidence, même si ce n’était pas toujours lui qui en avait eu l’idée. Tout d’abord, bien que le comportement de Trump pendant le Covid a été bizarre et peu utile, son administration a permis d’accélérer la production des vaccins. C’est probablement sa plus grande réussite. Aux Etats-Unis, nous avons beaucoup d’obstacles au développement de nouveaux médicaments et à leur approbation. L’administration Trump a supprimé ces obstacles. Et nous avons obtenu les vaccins très rapidement.

Je pense que nous avons eu une forte croissance économique pendant les années Trump. L’idée d’imposer des droits de douane sur l’aluminium européen et mexicain était folle. Mais l’idée de se concentrer sur la protection des chaînes d’approvisionnement contre la Chine et s’être battus sur la 5G en aidant le suédois Ericsson contre Huawei étaient une bonne chose. La puissance américaine a été utilisée comme il se doit. Ils n’ont pas été nationalistes à ce sujet. Ils ont dit : nous n’avons pas cette technologie particulière, mais un pays allié la possède et nous devrions l’utiliser plutôt que de se tourner vers la Chine.

L’administration Trump a également fait un travail important pour faire entrer les capacités de l’armée américaine dans le XXIe siècle. Alors, oui, il y a de bonnes choses dans l’administration Trump. Mais celle-ci s’est terminée par un désastre : l’assaut du Capitole. La honte de 2021.

Pourquoi pensez-vous que tant de républicains, pourtant critiques à son égard il y a encore peu de temps, se soient rangés derrière Trump ?

Beaucoup de personnes ont engagé énormément d’argent pour essayer de l’arrêter dans sa volonté de briguer à nouveau la Maison-Blanche. D’abord avec la campagne de Ron DeSantis, puis avec Nikki Haley. Mais vous ne pouvez pas apprendre de vos erreurs tant que vous n’admettez pas que vous avez fait une erreur. Parce que Trump a proposé ce mensonge selon lequel ils avaient secrètement gagné, une grande partie de la base du Parti républicain n’a pas compris qu’il fallait changer. Si nous battons Trump en 2024, nous aurons également sauvé le Parti républicain. Et le potentiel de ce parti est énorme.

L'ancien président des Etats-Unis et candidat républicain à l'élection présidentielle de 2024, Donald Trump, lors d'un meeting de campagne à Grand Rapids (Michigan), aux Etats-Unis, le 20 juillet 2024
L’ancien président des Etats-Unis et candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024, Donald Trump, lors d’un meeting de campagne à Grand Rapids (Michigan), aux Etats-Unis, le 20 juillet 2024

L’une des choses vraiment positives qui se sont produites pendant les années Trump, c’est que nous voyons que la race devient moins importante dans la façon dont les Américains votent. Ainsi, les Blancs ayant fait des études supérieures quittent le Parti républicain pour rejoindre le Parti démocrate. Et nous voyons des Latinos n’ayant pas fait d’études supérieures se tourner vers le Parti républicain. C’est donc le creuset américain qui fonctionne, en construisant des coalitions interethniques et interraciales. Il y a de réelles opportunités qui s’ouvriront pour le Parti républicain une fois que Trump ne sera plus dans la course. Mais les républicains doivent comprendre que Trump était une erreur et réaffirmer leur engagement en faveur d’un transfert pacifique du pouvoir. Comme le démontrent les Britanniques, une société n’est jamais aussi forte que lorsqu’un gouvernement quitte le pouvoir. Chaque jour, à la Chambre des communes, Keir Starmer et Rishi Sunak démontrent la continuité constitutionnelle et l’unité fondamentale de la Grande-Bretagne. Et ils donnent à leurs concitoyens une leçon sur la manière dont la concurrence en politique est censée fonctionner. Les gens ont des idées différentes. Vous contestez vigoureusement, les électeurs choisissent, puis vous avez votre tour, et votre tour est toujours temporaire. Chaque victoire est le prélude à la prochaine défaite. Chaque défaite est le prélude à la prochaine victoire. C’est le jeu.

Vous avez écrit récemment : “Un second mandat de Trump plongerait instantanément le pays dans une crise constitutionnelle plus terrible que tout ce que la guerre de Sécession a pu produire.” Si Trump revient au pouvoir, est-ce que ce sera la fin de la démocratie américaine ?

Je ne sais pas si vous avez déjà vu le film Le Parrain. Il s’ouvre sur cette phrase : “Je crois en l’Amérique.” Moi aussi, je crois en l’Amérique. Je ne crois donc pas qu’elle choisira Trump. Mais si vous me demandez vraiment d’imaginer une victoire de Trump, voici ce que je dirais : ce ne sera pas la fin de la démocratie américaine, car nous continuerons à nous battre pour elle. Mais ce sera la fin du leadership américain et de la démocratie dans le monde.Trump a toujours pensé que c’était un défaut que l’Allemagne ne possède pas une grande armée et que le Japon n’ait pas une grande marine. Or ce n’est pas un défaut. C’était le plan. Depuis 1945, sous le leadership américain s’est développé un monde pacifique et plus stable. Que ce soit pour l’Europe ou pour une partie de l’Asie, sous ce grand parapluie de la puissance financière et militaire américaine, ont vu le jour la paix et des accords commerciaux. Si vous êtes un touriste français à Bangkok et que vous vous faites escroquer dans un magasin, vous appelez Visa et ils règlent le problème. Sous ce parapluie, les peuples de tous les pays démocratiques peuvent vivre dans un monde plus sûr et plus prospère que leurs grands-parents n’auraient jamais pu l’imaginer.

Laissez-moi vous raconter une anecdote personnelle. Deux de mes grands-parents étaient des citoyens polonais qui ont émigré au Canada après la guerre. Mes enfants m’ont récemment demandé de refaire une demande de passeport polonais, auquel j’ai droit. J’ai répondu : “Pourquoi ferais-je cela ?” Ils m’ont rétorqué : “Pour que nous puissions vivre à Paris.” Si je racontais cet échange à mon défunt grand-père, ce serait incompréhensible pour lui, il me dirait : “Tu vis en sécurité en Amérique du Nord et tu veux un passeport polonais pour que tes enfants puissent vivre en France ? Cela n’a aucun sens !” Le monde que nous avons construit est en danger. Et Donald Trump n’a pas à détruire l’Otan pour cela. Il n’a même pas besoin de se retirer de l’Otan. Il lui suffit de dire dans une interview à Breitbart (NDLR : média politique ultraconservateur américain) : “Si la Russie attaque l’Estonie, je ne la défendrai pas.” S’il dit cela, l’Otan sera comme morte. Parce que celle-ci ne repose pas seulement sur la garantie de sécurité américaine, elle repose aussi sur la volonté du président américain d’utiliser les armes pour défendre les pays de l’Alliance. Un président des Etats-Unis qui déclare qu’il n’utilisera pas d’armes nucléaires pour défendre un pays de l’Otan signerait la mort de celle-ci. Une seconde présidence Trump signifiera aussi la fin de l’indépendance de l’Ukraine, la fin du système commercial mondial tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et une attaque contre toutes les sécurités, tous les arrangements économiques et sécuritaires de l’Europe.

Si Kamala Harris gagne en novembre prochain, je ne pense pas que cela résoudra le moindre problème. Le changement climatique, la pacification de l’Ukraine et du Moyen-Orient seront toujours autant de difficultés devant nous. Mais nous serons au moins en mesure de les résoudre. Pourquoi ? Parce que nous n’aurons pas un criminel à la tête des Etats-Unis.




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