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Paris 2024 : le rêve inachevé des judokas français sous le képi du maréchal Joffre


Le carré kazhake exulte, le reste du Grand Palais éphémère pousse un soupir général de déception. Le judoka Luka Mkheidze est passé près de la première médaille d’or française de ces Jeux olympiques. Mais il a cédé sur un mouvement de son adversaire Yeldos Smetov, validé par la vidéo des arbitres. Tombé sur un os.

“Allez Shirine, les supporters sont là”, et ainsi de suite en cadence. Un peu plus tôt, il est 16 heures et 1 minute, en dix secondes, le Grand Palais éphémère s’est transformé en volcan. Il suffisait d’une judokate française pour faire exploser les 8 900 spectateurs que ni la mascotte Phryge, invitée à se dandiner dans les travées, ni l’excellent danseur contorsionniste Twist Keita, sorte de “première partie” des finales du judo, n’étaient parvenus à sortir de leur retenue. C’est que cet après-midi, les gens sont venus pour le sport. Ce samedi 27 juillet marque le premier jour des épreuves de judo, dans cette salle de la Champ de Mars Arena, un complexe de préfabriqués construits sous les regards tout proches de la majestueuse tour Eiffel et de l’école Militaire. Les installations ont été durement critiquées par les athlètes, un problème de rebond sur les tatamis, mais tout a été réglé, nous assure-t-on.

Waza-ari ! Shirine Boukli, la Française engagée en repêchages des moins de 48 kilos – elle a perdu en quarts de finale le matin –, vient de faire tomber son adversaire italienne sur l’épaule. Elle marque un point, selon le règlement de ce sport dont la langue principale reste le japonais, son pays de naissance. Les judokas du pays du soleil levant sont considérablement applaudis, signe d’une cohorte de supporters fournie. En tribune de presse, c’est d’ailleurs un peu l’Assemblée générale de l’ONU, avec des confrères kazakhs, mongols, taïwanais, suédois ou paraguayens. Chacun est venu suivre son champion national, prétendant à une médaille. Le judo est un sport particulièrement internationalisé. Les quatre minutes du combat sont écoulées, Shirine Boukli a gagné le droit de combattre pour une médaille de bronze, elle tombe dans les bras de sa concurrente, fair-play.

L’Académicien, les yuko et les waza-ari

Controverse lors de la demi-finale féminine, Tara Babulfath, la candidate suédoise, a été disqualifiée pour trois avertissements sévères. Les journalistes suédois se lèvent d’un bond et quittent la salle. Dans le public, pas le temps de gloser, les combats s’enchaînent sans le moindre temps mort, façon commande au fast-food. Personne ne s’en plaint. Luka Mkheidze, l’homme que tout le monde attend, est bientôt annoncé sous d’assourdissants vivats. Le Français a remporté la médaille de bronze lors des précédents JO de Tokyo (Japon), en moins de 60 kilos. Il tente cette fois de faire mieux, sa demi-finale l’oppose au coriace Turc Salih Yildiz, sous le képi et la moustache du maréchal Joffre : la statue équestre du glorieux général, sculptée par Maxime Real del Sarte et édifiée en 1939 devant l’Ecole Militaire, a été intégrée à la salle du Grand Palais éphémère, au-dessus de la tribune ouest. Qu’aurait pensé l’Académicien de ces yuko et de ces waza-ari ? Le mélange produit un décalage baroque que Thomas Jolly, le metteur en scène de la cérémonie d’ouverture, n’aurait peut-être pas récusé.

Avec son tatami rectangulaire rouge, jaune en son centre, là où combattent les sportifs, la salle ressemble à un cratère en éruption. Les deux judokas se tournent autour comme des guêpes, et quand le Français esquive, tout le monde exulte, c’est la corrida. Les deux combattants présentent des niveaux proches au corps à corps, mais le Turc donne plusieurs l’impression de chercher à sortir du tatami jaune. Il écope de deux shidos, des avertissements. Le troisième équivaut à un point de pénalité. A une minute du terme, une clameur folle s’empare du Grand Palais, comme une bouffée d’euphorie. Luka Mkheidze a besoin de soutien, il fatigue. L’arbitre ne s’en laisse pas conter, un shido pour lui, malgré les huées, on passe au golden score, la mort subite façon judo, le premier qui marque a gagné.

Le Français semble plus que jamais sur la défensive, un deuxième shido pour lui, le prochain est synonyme d’élimination. Mais le voilà qui lance un mouvement de jambes, pas le plus délié du combat, et en deux temps, le Turc cède à l’épaule. Bras tendu de l’arbitre sur le côté, waza-ari, et c’est la folie douce dans les tribunes. On va donc voir un combat pour la médaille d’or, peut-être la première victoire française de ces Jeux olympiques. Mkheidze affrontera le redoutable kazakh Yeldos Smetov, facile tombeur de l’Espagnol Francisco Garrigos par ippon – projection au sol sur le dos, le coup suprême du judo.

Les danseuses d’un ballet

Shirine Boukli, elle, veut sa médaille de bronze. Elle commence son combat d’arrache-pied contre l’Espagnole Laura Martinez Abelenda, qui écope rapidement d’un shido. Puis de deux. Les deux judokates tournoient l’une sur l’autre comme les danseuses d’un ballet. La Française a l’avantage de l’attaque mais ne trouve aucune ouverture. Lorsque Martinez Abelenda enroule sa jambe autour de celle de son adversaire, la Marseillaise lancée quelques secondes plus tôt s’interrompt. Mais elle tient, Boukli, et c’est la mort subite qui s’enclenche. Quand elle lance une attaque et que l’Espagnole paraît tomber bizarrement, l’arbitre demande l’appel à la vidéo. Et c’est une voix standardisée venue des coulisses qui annonce que Shirine Boukli a bel et bien marqué un waza-ari.

Soudain, tout s’arrête. La Française perce l’armure, jubile. L’étreinte avec son entraîneur laisse entrevoir les sacrifices acceptés pour arriver à cette médaille. La première breloque pour la France. Les spectateurs, venus exactement pour ce plaisir, acclament, enchaînant les chants à la gloire de la judokate. La Française a le temps d’entamer un mini-tour triomphal de la salle avant de se faire prier de laisser le programme se poursuivre. La médaille d’or, elle, est remportée quelques instants plus tard par la Japonaise Natsumi Tsunoda, celle-là même qui terrassa Boukli en fin de matinée.

Luka Mkheidze et ses mouvements de guêpe se presse bientôt pour la finale des hommes, avec David Guetta en fond sonore. Yeldos Smetov a lui aussi remporté le bronze à Tokyo et il a traversé la journée en patron, enchaînant plusieurs victoires faciles. Il a déjà été champion du monde, à l’inverse du Français. Surprise, c’est le Tricolore qui se montre le plus entreprenant, plusieurs attaques pleines de panache, on n’est pas à l’escrime, mais il y a du Cyrano dans ces lancers de jambes vifs et brutaux. On croit plusieurs fois à l’exploit. Jusqu’à cette riposte pas claire du Kazakh. Le Français a-t-il cédé ? Quelques secondes de rumeur, et la décision, terrible pour le camp français. Il reste une minute mais Luka Mkheidze ne s’en relèvera pas. La médaille d’or lui échappe, son rêve s’achève sans sa conclusion heureuse. Reste l’argent, et le souvenir d’une grande journée. Il en reste quinze dans ces JO de Paris.




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