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Maghreb : “Le Maroc est aujourd’hui plus apprécié que l’Algérie par les pays du Sahel”


C’était une décision attendue, mais qui n’en rebat pas moins les cartes de la diplomatie française au Maghreb. Dans une lettre adressée au roi Mohammed VI le 30 juillet, Emmanuel Macron indique que le plan marocain d’autonomie du Sahara occidental “constitue désormais la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée”. La réaction du pouvoir algérien ne s’est pas fait attendre. Après sa décision de retirer “avec effet immédiat” son ambassadeur à Paris, l’Algérie, par la voix de son chef de la diplomatie, a annoncé ce 31 juillet d’autres mesures à venir contre la France. Un tournant dans ce dossier qui empoisonne les relations entre Rabat et Alger depuis près de cinquante ans, estime Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb. Et un coup dur pour le président AbdelmadjidTebboune, au moment où “la politique africaine de l’Algérie perd du terrain”, notamment au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Et ce au profit du Maroc.

En revanche, cette lettre du chef de l’Etat français augure d’une relation plus apaisée entre Paris et Rabat : cela va d’abord “donner la possibilité aux entreprises françaises d’investir au Sahara”, analyse cette chercheuse associée au laboratoire Sorbonne Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (Sirice). Entretien.

L’Express : Comment expliquez-vous ce revirement de la France sur la question du Sahara occidental ?

Khadija MohsenFinan : Ce n’est pas tout à fait un revirement pour la France, qui a toujours soutenu le Maroc, d’autant que cela avait déjà été annoncé par la voix du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, lors de son voyage au Maroc en février dernier. La France a toujours appuyé la position marocaine, y compris au Conseil de sécurité des Nations unies, en bloquant des résolutions et en appuyant aussi le plan d’autonomie qui est proposé par le Maroc depuis 2007. La France reste donc sur cette ligne sans sortir du cadre des Nations unies, qui considèrent toujours le Sahara occidental comme un territoire non autonome, et qui reste à décoloniser, mais l’autonomie de ce même territoire, sous souveraineté marocaine, peut être une option, après consultation des populations concernées, c’est-à-dire les Sahraouis.

La position d’Emmanuel Macron se distingue ainsi de celle de Donald Trump, qui a reconnu la marocanité du Sahara occidental en décembre 2020, en contrepartie de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. [NDLR : l’ancien président américain avait reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental]. Mais, et c’est là une première, la France parle de souverainetésur le Sahara occidental. Donc là, il y a un virage, effectivement.

Pourquoi une telle annonce maintenant ?

Cela s’est fait de manière progressive. Emmanuel Macron avait prévu de l’annoncer lui-même lors d’une visite d’Etat au Maroc. La politique intérieure française en a décidé autrement. Ce voyage ne s’est pas fait. Il a donc profité de la fête du Trône le 30 juillet (qui correspond au 25ᵉ anniversaire du règne du roi Mohammed VI) pour envoyer cette missive. Les choses sont plus claires, elles sont écrites. Il en a averti les Algériens quelques jours avant. Avec une petite différence de langage : l’autonomie n’est plus une base de négociation, c’est désormais la seule base possible, écartant de ce fait le référendum d’autodétermination qui est préconisé par le Front Polisario [NDLR : les indépendantistes sahraouis] et l’Algérie. Pour Alger, cela n’est pas acceptable, car le plan marocain d’autonomie n’a fait l’objet d’aucune négociation.

Emmanuel Macron a pendant longtemps espéré avoir une relation équilibrée et apaisée avec à la fois Alger et Rabat. Visiblement, ce n’est pas encore possible. Chacun de ces deux grands Etats du Maghreb répugne à voir la France se rapprocher du voisin, qui est également un ennemi de longue date. Il y a une relation triangulaire entre la France, l’Algérie et le Maroc, dont la France ne parvient pas à s’extraire. Pour les classes politiques algérienne et marocaine, la France doit choisir un partenaire privilégié entre Alger et Rabat.

Le président Tebboune paye-t-il le surplace des relations franco-algériennes ?

En 2022, Paris et Alger ont parlé d’une “dynamique irréversible” concernant la relation entre les deux pays. Un accord a été mis en place entre la France et l’Algérie qui reposait sur deux axes principaux : un axe mémoriel avec des historiens qui allaient plancher de part et d’autre de la Méditerranée pour revenir sur cette histoire partagée entre les deux pays et un axe stratégique qui a été pensé à Zeralda, lors d’une réunion entre responsables militaires et du renseignement des deux pays. Ces relations n’ont pas été couronnées de succès, notamment sur le plan mémoriel. Et le voyage en France que devait effectuer le président Tebboune n’a pas eu lieu. Depuis 2000 et le voyage d’Abdelaziz Bouteflika, aucun autre président algérien ne s’est rendu en France pour une visite d’Etat. C’est dire que la crise est récurrente entre les deux pays, qui n’arrivent pas à dépasser cette question mémorielle et à apaiser la relation bilatérale.

L’annonce de la décision française est-elle une claque pour Alger ?

Elle peut être perçue comme un camouflet par Alger. Mais en même temps, nous étions jusqu’ici dans une espèce de paralysie. Les négociations étaient impossibles et chacun des protagonistes campait sur sa position : autodétermination et seulement autodétermination du côté Front Polisario et de l’Algérie, qui pensaient surtout à une indépendance du Sahara, et uniquement autonomie aux conditions marocaines du côté de Rabat. De quoi rendre la négociation et l’action des Nations unies impossibles. Nous étions réellement dans une impasse. Les Marocains attendaient ce virage de la part des Français beaucoup plus tôt, emboîtant le pas à la décision américaine en 2020.

Sommes-nous face à un tournant dans ce dossier vieux de presque cinquante ans ?

Oui, car la France est un acteur très important dans ce dossier. Elle n’est pas extérieure à la décolonisation du Sahara occidental, quoi qu’elle en dise. La France a dessiné les frontières des pays de la région, donnant un Sahara cinq fois plus important à l’Algérie, qui prolongeait son territoire. En 1958, elle participe avec l’Espagne à l’opération Ecouvillondans le nord du Sahara occidental contre l’Armée de libération nationale du Maroc, soutenue par des tribus berbérophones sahraouies. Il s’agissait de mater la résistance sahraouie pour faciliter le contrôle de l’Espagne sur ce territoire.

En 1978, des Jaguar de l’armée française interviennent au nord de Zouerate [NDLR : ville de Mauritanie] contre une colonne du Front Polisario, à la demande de Hassan II.

En tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, Paris a toujours agi en faveur du Maroc sur la question du Sahara occidental, notamment en bloquant des résolutions. En l’occurrence, la neutralité dont se prévalait la France dans ce conflit n’est pas réelle, la France a toujours appuyé le Maroc.

L’Algérie et le Maroc sont deux Etats qui s’arment de manière démesurée

Maintenant que France s’est rangée derrière le Maroc, quelle sera la prochaine étape pour le Sahara occidental ?

Cette annonce d’Emmanuel Macron va d’abord donner la possibilité aux entreprises françaises d’investir au Sahara, le ministre Séjourné l’a dit en février dernier : “La France accompagnera le Maroc dans la poursuite du développement économique et social de la région.” Ce qui revenait déjà à reconnaître implicitement la marocanité du Sahara occidental, même s’il ajoutait prudemment “au bénéfice des populations locales”, sachant pertinemment que les Sahraouis ne seront pas consultés.

La France a déjà donné son approbation à des financements publics dans le Sahara, notamment par une filiale de l’AFD (Proparco). Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a évoqué lors de son dernier voyage au Maroc le financement par la France de réseaux électriques pour transporter de l’énergie produite à Dakhla et qui bénéficierait aux habitants de Casablanca. Des groupes français comme Engie sont déjà installés au Sahara. Et la construction d’un port en eaux profondes à Dakhla est régulièrement évoquée. La prochaine étape sera la mise en œuvre de ces multiples projets à caractère économique, notamment.

Peut-on parler de triomphe pour Mohammed VI ?

Mohammed VI attendait cette reconnaissance par la France du caractère marocain du Sahara. Elle a tardé à venir compte tenu de plusieurs différends : l’affaire Pegasus (du nom de ce logiciel espion utilisé par les Marocains pour espionner les téléphones portables de ministres français et d’Emmanuel Macron lui-même) ou encore l’affaire de la réduction des visas accordés aux Marocains… La crise s’est installée entre les deux Etats, et lorsque la France a proposé son aide lors du séisme qui a frappé le Maroc en septembre 2023, Rabat l’a refusée.

Le Maroc a tourné le dos à la France, et Emmanuel Macron s’est montré soucieux de se rapprocher de Mohammed VI, tout en souhaitant ménager la relation entretenue avec Alger. Dans ce contexte et compte tenu de la brouille qui date de 2020, la missive reçue par le roi pour le 25e anniversaire de son règne est naturellement considérée comme une victoire pour le Maroc.

Que sait-on du rôle précis joué par Mohammed VI dans ce dossier ?

Le Sahara occidental est une question centrale dans la diplomatie marocaine. De tout temps, elle a été gérée par le Palais. Le roi est entouré de conseillers, mais ce n’est pas du tout une gestion gouvernementale. Ce dossier a directement été géré par la monarchie marocaine. Ce n’est pas pour rien que la missive d’Emmanuel Macron a été envoyée au roi en personne. Elle ne concerne ni l’Etat ni le peuple. Elle concerne le roi.

La rivalité entre le Maroc et l’Algérie “fait craindre une déflagration militaire” dans la région, écriviez-vous il y a un an…

Je ne dis pas que cela va dégénérer maintenant, mais tout est possible. L’Algérie et le Maroc sont deux Etats qui s’arment de manière démesurée, selon le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).

La politique africaine de l’Algérie a été très active par le passé, elle perd du terrain aujourd’hui

Le Maroc vient d’acheter du matériel de surveillance des frontières et du matériel d’espionnage qui est très lourd. Tout cela fait peur à l’Algérie. Le rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv lui fait peur aussi, c’est un axe stratégique. Le fait que le Maroc vienne en aide à Israël pour que ce dernier devienne un membre observateur au sein de l’Union africaine est un autre sujet possible de tensions. Le conflit peut également se déplacer sur le terrain africain. Il peut se faire sur les questions liées au Sahel. Jusqu’à présent, l’Algérie mettait en avant sa capacité à discuter et à dialoguer avec les Touaregs. Or aujourd’hui, le Maroc est plus apprécié que l’Algérie par les pays du Sahel, et notamment les Etats putschistes. L’Algérie se méfie de l’ascendant que peut avoir le Maroc sur les pays du Sahel, ne serait-ce que parce qu’elle a une frontière commune avec ce pays. Le conflit sur le terrain n’est donc pas à exclure, mais aujourd’hui, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Y a-t-il une lutte d’influence en Afrique entre les deux pays ?

Le Maroc et l’Algérie essaient chacun d’être présents en Libye et de tirer à eux la Mauritanie. Mais cette dernière essaie de rester en dehors du contentieux algéro-marocain qui ne la concerne pas. En revanche, il y a une rivalité en Afrique de l’Ouest et au Sahel. La politique africaine de l’Algérie a été très active par le passé, elle perd du terrain aujourd’hui, notamment au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Cela se fait au profit du Maroc, qui a beaucoup investi dans le secteur bancaire mais aussi dans l’immobilier, dans la téléphonie mobile en Afrique de l’Ouest.

Dans ce dossier du Sahara occidental, on n’entend pas ou peu les pays voisins comme la Mauritanie ou la Tunisie…

On ne les entend pas délibérément. La Tunisie est sortie une fois de sa réserve le 26 août 2022, lorsque le président Kaïs Saïed a reçu à Tunis le chef du Polisario Brahim Ghali dans le cadre de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad). Mais traditionnellement, elle ne veut pas avoir à se prononcer sur ce conflit qu’elle considère être un conflit entre le Maroc et l’Algérie. Quant à la Mauritanie, elle en a été partie prenante et a revendiqué une partie du territoire du Sahara occidental. Elle a fait la guerre au Front Polisario jusqu’en 1979 avant de se retirer du conflit. Elle ne veut absolument plus se prononcer. Alors que c’est très probablement la Mauritanie qui abrite le plus grand nombre de Sahraouis. Il n’y a aucune différence sur le plan ethnique entre Sahraouis et Mauritaniens. Mais sur le plan politique, elle se garde bien de prendre position pour l’un ou l’autre, ou de se réjouir de cette reconnaissance française.




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