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Une “erreur fatale” ? Après l’échange de prisonniers, les critiques s’élèvent en Allemagne et en Pologne


La libération des otages américains, allemands mais aussi russes, semble avoir un goût amer outre-Rhin, où le gouvernement affronte de premières attaques après avoir accepté de libérer Vadim Krassikov. Ce dernier a été condamné en 2021 à la réclusion à perpétuité pour le meurtre, deux ans plus tôt, en plein Berlin, d’un ex-commandant séparatiste tchétchène sur ordre de Moscou. Cet agent d’élite du FSB fait partie des huit ressortissants russes remis en liberté en échange de la libération de 26 personnes des cellules russes et biélorusses – dont le journaliste américain Evan Gershkovich.

Mais est-ce que cela valait le coup ? Une partie de la presse allemande y voit une victoire diplomatique pour la Russie. Pour le quotidien très réputé Frankfurter Allgemeine Zeitung, repris par Courrier International, “Poutine voulait à tout prix récupérer son assassin”. Le média a parlé d’une “erreur fatale” de nature à encourager le chef de l’Etat russe à continuer sur la même voie. Dans la même veine, Bild, le quotidien le plus lu d’Allemagne, fait état, lui, d’un “retour de la Guerre Froide” et d’un “message pervers” envoyé au peuple russe.

Certains chroniqueurs de journaux se sont également prononcés contre cette décision. Avec cet accord, écrit Silke Bigalke dans le journal libéral Süddeutsche Zeitung, Vladimir Poutine a pu souligner “ce que sa propagande inculque aux Russes depuis des années : que l’Europe s’est soumise à la volonté de Washington. Si les Américains exercent suffisamment de pression, les Allemands libéreront même des prisonniers comme Krasikov.”

“Il faut parfois faire un pacte avec le diable”

Même des opposants russes remis en liberté ont critiqué le processus. Ils disent n’avoir jamais demandé à être renvoyés de leur pays et jugé que le compromis pourrait encourager le chef du Kremlin à prendre de nouveaux “otages”. L’opposant russe Vladimir Kara-Mourza a estimé qu’il s’agissait d'”une goutte d’eau dans l’océan” et a affirmé avoir été expulsé illégalement de son pays, car sans son aval. “Personne ne nous a demandé notre consentement. Nous avons été sortis de prison, mis dans un car, embarqués dans un avion et envoyés à Ankara”, a-t-il déploré.

De son côté, le chancelier Olaf Scholz a martelé qu’il s’agissait d’une “décision difficile”, qui n’a “pas été prise à la légère” mais qu’il considère “juste”. C’est lui qui a accueilli à huis clos les cinq citoyens allemand et russo-allemands faisant partie de l’échange, à leur arrivée sur l’aéroport de Cologne. “Beaucoup ont craint pour leur santé et aussi pour leur vie, il faut que ce soit dit”, a-t-il ajouté. “Il faut parfois faire un pacte avec le diable”, a convenu le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés allemands, Michael Roth, membre du parti d’Olaf Scholz.

En parallèle, le président américain Joe Biden a publiquement exprimé sa “grande reconnaissance” envers Olaf Scholz pour les “concessions importantes” faites dans le cadre du compromis diplomatique. Il a révélé que Berlin avait “initialement” rejeté la remise en liberté de l’agent présumé russe condamné, avant finalement de donner son feu vert. À noter que cette libération déroge à la pratique allemande selon laquelle les hommes politiques ne se mêlent pas des décisions de justice.

Le parquet général allemand contre cette libération

La libération de Vadim Krassikov a ainsi créé des remous au sein du gouvernement allemand, entre la chancellerie et le ministère de la Justice, qui a dû ordonner la mesure au parquet, affirme la chaîne de télévision allemande NTV. Le procureur général en charge du dossier avait avancé des “arguments très significatifs” en faveur de l’exécution jusqu’à son terme de la peine de Vadim Krassikov, a indiqué à l’AFP une porte-parole du ministère de la Justice, Marie-Christine Fuchs.

Le quotidien FAZ parle également d’un sentiment de “désillusion” régnant au sein du parquet fédéral allemand, où domine l’impression que Vladimir Poutine a fait céder le pouvoir. Alors que la libération de Vadim Krassikov était au cœur des exigences du Kremlin dans les négociations, la branche allemande d’Amnesty International a jugé que les concessions faites par Berlin laissaient “un goût amer” et constituaient “un pas vers l’extension de l’impunité judiciaire” de Moscou.

La famille de l’ancien combattant tchétchène assassiné en 2019 à Berlin a évoqué une décision “accablante” du gouvernement allemand. “Nous sommes très déçus de voir que dans le monde, il ne semble pas y avoir de loi”, a-t-elle réagi. “Cet homme a tué quelqu’un ici, puis il est retourné en Russie pour une cérémonie de bienvenue avec cet immense tapis rouge. C’était injuste”, a déclaré son frère, Zourab Khangoshvili, dans les colonnes du quotidien américain The New York Times.

Les Polonais se demandent ce qu’ils ont gagné

Cet échange a aussi été raillé en Pologne. Le parti d’opposition Droit et Justice (PiS) reproche au gouvernement de ne pas avoir inclus Andrzej Poczobut, un journaliste polonais incarcéré en Biélorussie, rapporte le site américain Politico. Dans le cadre de cet échange, Varsovie a libéré Pavel Rubtsov, également connu sous le nom de Pablo Gonzales, un journaliste hispano-russe. Il avait été arrêté en février 2022 près de la frontière avec l’Ukraine et accusé d’être un agent des renseignements russes.

En contrepartie, aucun Polonais n’a été libéré. Mariusz Kamiński, ancien coordinateur des services spéciaux sous l’administration précédente du PiS, a écrit sur X que le gouvernement du Premier ministre polonais Donald Tusk “a cédé son agent le plus précieux aux Russes sans rien obtenir en retour”. Mais ce geste s’explique par le fait que les États-Unis sont l’un des alliés politiques et militaires les plus proches de la Pologne. De quoi faire tout de même grincer des dents…




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