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JO de Paris 2024 : tous Français, et fiers de l’être, par Abnousse Shalmani


“Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse”, écrivait Alfred de Musset dans une dédicace à un ami, en exergue du poème dramatique La Coupe et les lèvres. Devenu proverbe, la citation achève un court passage qui exhorte à aimer l’Amour : “Doutez, si vous voulez, de l’être qui vous aime, / D’une femme ou d’un chien, mais non de l’amour même. / L’amour est tout, – l’amour, et la vie au soleil. / Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ?”

Durant la cérémonie d’ouverture des JO, c’est ce poème de Musset qui résonnait à mes oreilles, tandis que je me demandais si ce déluge de disgrâce allait m’achever. J’exagère. J’ai adoré le pont d’Austerlitz, j’ai été émue aux larmes devant Axelle Saint-Cirel, sublime, époustouflante, royale, chantant La Marseillaise sur le toit du Grand Palais, j’ai aimé la chevauchée sur la Seine et j’ai éclaté d’un rire de joie enfantine devant Aya Nakamura et la Garde républicaine.

Mais l’inesthétisme crasse des costumes, le parti pris adolescent “on va faire la nique à l’extrême droite parce que nous on est des progressistes conformistes lalalère” et surtout la brutale volonté d’effacer les corps féminins m’ont davantage attristé que mise en colère. Depuis quand faut-il cacher ce sein que je ne saurais voir ? Depuis quand la Liberté guidant le peuple a perdu son téton ? Pourquoi les seuls corps de femmes étaient celles des statues émergeant de la Seine, des femmes du passé, des femmes mortes, des femmes sans corps, où étaient les femmes qui vibrent, qui vivent, qui se meuvent, qui jouissent ? Marie-Antoinette est apparue dans sa dernière parure, tronquée, tête coupée, discontinuité du corps féminin, refus absolu du corps féminin redevenu le lieu de la honte. Dans ce délire de refuser “d’objectiver” les femmes, il n’y plus de corps de femmes du tout.

L’ivresse étant Paris, l’éternelle

Mais je répondrai à quiconque me posera encore la question dans quelques mois, dans quelques années, si j’ai aimé la cérémonie d’ouverture des JO Paris, je dirai “oui”. Comme la majorité des Français. Et pourquoi donc ? Parce qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, le flacon étant ce qu’il pouvait avoir d’affligeant de laideur et d’idéologie inutile et l’ivresse étant Paris, l’éternelle. Ce que cette cérémonie a réactivé est une fierté française qui ne s’exprime jamais aussi fortement que dans la célébration de Paris, capitale du monde.

Ce que la majorité des Français ont aimé, ce qui les a fait vibrer, c’est le décor, c’est de retrouver la Seine et ses monuments au centre de leur Histoire qui est leur présent. L’esprit français, fait d’ironie et d’un indécrottable sentiment de supériorité, était là, malgré le désir pathétique et aigri des “scénaristes” de la cérémonie, en premier lieu Patrick Boucheron, démolisseur en chef de la République, tout en haine sanglante, de massacrer l’Histoire, de faire oublier le bicentenaire de la Révolution et surtout François Furet, de ne plus conjuguer la France qu’au présent de son amertume.

Ce sentiment de fierté marié à l’enthousiasme joyeusement débridé, cette communion collective tenant la main à l’exploit sportif individuel, s’est confirmé durant les compétitions. Cette France-là, c’est la mienne, c’est la nôtre. A la sortie d’une année difficile, d’une dissolution qui a confiné à l’hystérie, d’une France fracturée, où les marchands identitaires ont vendu au rabais de la division sordide, où s’est douloureusement effacée l’universalité française, où les antagonismes artificiels ont fait oublier la beauté et la spécificité si particulière de la France, j’ai vibré, j’ai crié, j’ai applaudi toutes les médailles, j’ai chanté à pleins poumons à chaque Marseillaise, et j’ai pleuré toutes les médailles ratées.

Comme pour tous les Français, il n’y avait plus de noirs, de blancs, de souches, d’origines, de rouges, de verts. Il n’y avait plus que des Français, des Français qui, consciemment ou non, se rappelaient ce qu’est la France. Ce pays merveilleux où, malgré toutes les tentatives de piétiner le citoyen, de le réduire à son sexe, sa couleur, son ethnie, sa religion, de l’enfermer dans l’immonde prison identitaire, quelque chose qui vient du tréfonds de son histoire et de sa Révolution, se révolte encore, pour dire non. Nous sommes tous Français, et fiers de l’être. Merci à nos extraordinaires athlètes de nous le rappeler. Au moment opportun.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste.




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