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Astronautes coincés dans l’ISS : “Boeing semble avoir des difficultés à gérer des sujets techniques”


Leur séjour dans l’espace sera plus long que prévu. Au début du mois d’août, la Nasa a prévenu que le séjour des deux astronautes Butch Wilmore et Suni Williams sur la Station spatiale internationale (ISS) pourrait se prolonger jusqu’en 2025, alors qu’il ne devait durer qu’une semaine. La faute aux difficultés rencontrées par la capsule Starliner. Développé par Boeing, l’engin a enregistré des fuites d’hélium et des problèmes de propulsion. Un nouveau coup dur pour le fleuron américain, dont les activités dans l’aéronautique sont plombées par de graves problèmes de sécurité et de qualité depuis les deux accidents mortels de 737 MAX en 2018 et 2019.

Si la Nasa fait d’un retour de ses astronautes par Starliner son “option privilégiée”, elle explore désormais aussi l’hypothèse d’un rapatriement par le biais du concurrent SpaceX. De quoi conforter la place incontournable qu’occupe la société d’Elon Musk dans “une grande partie des activités spatiales”, estime Paul Wohrer, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). L’entreprise d’Elon Musk pourrait, selon lui, encore creuser l’écart grâce à son projet Starship, qui doit faire l’objet d’un nouveau test prochainement.

L’Express : Au début du mois d’août, la Nasa a admis que les astronautes conduits à l’ISS par la capsule Starliner de Boeing devraient rallonger leur séjour dans l’espace. Cet événement est le dernier en date d’une longue série noire pour le groupe américain, dont les pratiques en matière de sécurité et de qualité sont sous le feu des critiques dans le domaine de l’aéronautique civile. En est-il de même dans le domaine du spatial ?

Paul Wohrer : Il est délicat de se faire une idée claire de la situation sans savoir précisément ce qu’il se passe au sein de l’entreprise. On sait qu’après le rachat de la société McDonnell Douglas, la culture a changé chez Boeing. Certains experts vont jusqu’à dire qu’elle est passée d’une culture de l’excellence technique à une culture de l’optimisation financière. Je ne saurais dire si on en est arrivé à ce point, mais il semble que ce problème existe, susceptible d’affecter tous ses domaines d’activités. Dans l’aéronautique, les terribles crashs de 2018 et 2019, ainsi que l’incident récent de la porte arrachée en témoignent.

Un rapport d’audit publié par le Bureau de l’inspection générale de la Nasa montrait aussi d’énormes défaillances dans la gestion du projet pharaonique qu’est le “Space Launch System” (SLS), auquel on peut rajouter le retard et les surcoûts dans le développement de la capsule Starliner. Boeing semble avoir des difficultés à gérer certains sujets techniques, qui ont pourtant un impact sur des vies humaines. Or, c’est un enjeu auquel la Nasa est d’autant plus sensible qu’elle a enregistré deux accidents majeurs de navettes spatiales au cours de son histoire, qui ont coûté la vie à 14 personnes.

Comment expliquer alors que l’agence fédérale américaine ait procédé au lancement de Starliner malgré plusieurs fuites d’hélium identifiées au cours des derniers mois ?

Le programme est vieux d’une dizaine d’années : il n’est pas du tout étonnant qu’il se soit poursuivi. La Nasa a estimé qu’elle ne prenait pas de risques à envoyer la capsule. Mais il semble que ces signaux faibles aient caché des problèmes plus profonds dans la gestion du programme, en témoignent les difficultés que rencontrent les moteurs d’altitude de la capsule de Boeing.

La politique de la Nasa consistant à confier la conception des vaisseaux de transport à destination de l’ISS à des acteurs privés a-t-elle pesé sur sa capacité à superviser les travaux du groupe américain ?

Je ne le pense pas. Si elle s’est orientée vers des acteurs privés pour la gestion de l’orbite basse [NDLR : où se trouve l’ISS] à partir de la présidence de Barack Obama pour se concentrer sur l’espace lointain, la Nasa conserve toujours un rôle de superviseur. La logique a surtout consisté à confier aux acteurs privés le développement de vaisseaux, mais à des coûts fixes. En clair, si le développement coûte plus cher que prévu au fournisseur, c’est à lui qu’échoit la responsabilité de régler les coûts supplémentaires. SpaceX y est parvenu alors que Boeing perd de l’argent avec le Starliner.

L’agence fédérale semble explorer la piste d’un rapatriement des deux astronautes coincés sur la station spatiale internationale par le biais de SpaceX. L’entreprise d’Elon Musk a-t-elle définitivement conquis le secteur spatial ? Comment parvient-elle à creuser sans cesse l’écart avec les acteurs historiques ?

SpaceX domine effectivement une grande partie des activités spatiales. Son arrivée il y a un peu plus d’une dizaine d’années a eu un effet gigantesque sur le secteur et beaucoup de concurrents ont disparu. L’entreprise enchaîne les réussites depuis sa création et ses premiers partenariats avec la Nasa, contraignant la concurrence à réviser son organisation. Ses activités dans les satellites avec Starlink commencent ainsi à poser de sérieux problèmes aux opérateurs traditionnels. Et si SpaceX ne domine pas encore les aspects les plus sensibles du spatial, comme les satellites espions pour les militaires et les agences de renseignement, il s’en rapproche vite.

Ce n’est pas tant sur les innovations techniques que SpaceX a su s’illustrer que par sa capacité à proposer des engins réutilisables, qui lui permettent de bénéficier d’un rythme de lancement soutenu, et son niveau d’intégration. Tout cela lui permet d’occuper une position incontournable. Il sera intéressant de voir combien de vols la Nasa achète à ses deux fournisseurs, à savoir Boeing et SpaceX, une fois que la capsule Starliner sera pleinement opérationnelle.

Après une longue traversée du désert dans le domaine des lanceurs, l’Europe a assisté au premier décollage d’Ariane 6 en juillet. A-t-elle aussi les moyens de se doter de capacités dans le domaine des capsules spatiales ?

Il existe de nombreuses initiatives privées en Europe visant à développer ce type de capacités, par exemple des capsules cargos destinées à fournir des services à l’ISS ou aux futures stations qui pourraient naître en orbite basse. Des entreprises telles qu’ArianeGroup et The Exploration Company y travaillent. Thomas Pesquet, ainsi que tous les astronautes de sa génération, ont également suscité un réel engouement dans leurs pays respectifs. Reste à savoir si le financement suivra, quelles seront les missions prévues et surtout quelle sera la volonté politique dans le vol habité.

Il s’agit en effet d’un domaine singulier dans les activités spatiales, dans la mesure où il vise essentiellement à générer du prestige. Or, l’Europe n’a pour l’instant jamais trouvé de raison de développer des capacités autonomes dans ce domaine. Le vol habité procède d’une décision politique qui n’a pas encore été prise, bien que l’engouement du public ait certainement dû faire réfléchir les décideurs. Ce n’est pas du tout une question technique : l’Europe dispose de toutes les compétences nécessaires pour s’y engager.

Faut-il donc s’attendre à ce qu’un éventuel rival à SpaceX émerge plutôt au sein de pays comme la Chine ?

Le vol habité fait partie des attributs des grandes puissances, et les Chinois ont effectivement développé leurs propres capsules pour lancer des taïkonautes à partir de technologies d’origine soviétique. A l’heure où la rivalité sino-américaine est de plus en plus forte, se pose la question d’une nouvelle course à la Lune.

Cela étant, si l’on parle de rival commercial comme on l’entend en Europe, la réponse est clairement non. En revanche, si l’on raisonne en termes de capacités technologiques et non de marché, la Chine pourrait devenir capable de faire la même chose que SpaceX. Le secteur bouge aujourd’hui beaucoup alors qu’il a longtemps été très stable. L’Europe a été au sommet avec Ariane 5, sans concurrence possible. Mais les années 2010 ont tout changé et cela pourrait continuer. Le lanceur lourd de SpaceX, Starship, pourrait aboutir prochainement. La grande question sera de savoir s’il va changer à nouveau la face du spatial, comme le précédent projet de fusée l’a fait. Un nouveau test, planifié ce mois-ci, pourrait apporter un début de réponse.




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