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Les progrès fulgurants de l’IA en traduction, une révolution à venir pour les entreprises


Une nouvelle langue pour assurer la paix dans le monde. C’est le projet iconoclaste qu’a porté Louis-Lazare Zamenhof, père de l’espéranto. Ce Polonais, né en 1859, était persuadé que les barrières linguistiques déchiraient l’humanité. Et qu’une langue universelle préviendrait bien des conflits. Aussi candide qu’inventive, l’initiative n’a pas réussi à se démocratiser massivement. Pas plus que d’autres entreprises similaires, de “l’interlingua” au “solrésol” en passant par le “volapük”. Mais en 2024, l’intelligence artificielle s’apprête à réussir là où ces projets doux dingues se sont cassé les dents. Cela fait bien vingt ans que les géants de la tech transpirent pour créer un traducteur universel. Force est de reconnaître qu’ils ont fait d’immenses progrès.

Fini les traductions frustes, où le “mot à mot” vide les phrases de leur sens. Au fil des ans, des groupes tels que Google ont sophistiqué leurs techniques afin de prendre en compte le contexte dans lequel un élément apparaît. Ils parviennent même désormais à traduire une langue dans une autre, sans exemple aucun de correspondances – ce qui était le principal caillou dans leur chaussure.

Aujourd’hui, les traductions textuelles ciselées de DeepL attirent chaque jour des cohortes d’étudiants et d’actifs. Et la licorne allemande planche sur un outil de traduction vocale en temps réel. “La voix est un défi plus grand. Il y a davantage de variables à gérer : l’accent, le bruit ambiant, la qualité du micro… C’est une base plus complexe qu’un texte, mais nous avons de très bons résultats”, confie David Parry-Jones, responsable du chiffre d’affaires de l’entreprise.

OpenAI, Google, Meta et consorts transforment eux aussi leurs outils en tout-terrain capables de jongler de l’écrit à l’oral, avec une multitude de langues. Nous rapprochant à toute allure de ces fascinants “traducteurs universels” qui peuplent les œuvres de science-fiction.

Le boom de la traduction par IA

Le géant américain de la formation en ligne Coursera est un bon exemple de l’ampleur du changement induit. “Nous avons utilisé l’IA pour traduire 4 000 cours en 17 langues différentes. Auparavant, cela coûtait 13 000 dollars d’en faire traduire un dans une langue. Aujourd’hui, un abonnement d’une vingtaine de dollars suffit”, nous révélait son PDG, Jeff Maggioncalda, en novembre dernier.

Le marché de la traduction par IA est en plein boom. Selon Statista, il devrait se situer autour de 7 milliards de dollars en 2024 et pourrait dépasser les 27 milliards d’ici à 2030. Cela transformera évidemment les métiers de la traduction. Mais il serait sot de penser que ce secteur sera le seul bouleversé.

Avec ces outils, une foule d’entreprises pourront s’attaquer à de nouveaux marchés étrangers. Revers de la médaille – c’est le jeu -, elles verront bientôt débouler dans leur pré carré de nouveaux concurrents venus d’ailleurs.

Demain, tous les sites marchands pourront lancer des déclinaisons en anglais, en mandarin, en espagnol ou en hindi. La nouvelle génération d’IA leur permet de traduire bien plus vite, à coût quasi nul, de vastes catalogues de fiches produits. Mais surtout de traduire en temps réel tous les modules qui donnent réellement vie à ces plateformes : les avis des consommateurs, ou encore les “chats” permettant de questionner les vendeurs. Sans oublier le stratégique service client, qui doit impérativement comprendre les plaintes des usagers pour leur apporter les solutions adéquates.

“Toutes les multinationales ont besoin de traduction pour fonctionner”, pointe David Parry-Jones, de DeepL. Pour les pros du tourisme, aussi, c’est un vieux rêve qui se réalise : communiquer avec ces touristes enthousiastes mais un peu paumés. Dans les transports nippons, les guichets commencent à s’équiper d’écrans de traduction live. Les experts rêvent déjà de l’aide que ce type d’outils pourraient apporter aux chauffeurs de taxis japonais dont moins d’1 % parlent bien anglais.

L’industrie musicale n’est pas en reste. Universal Music Group a récemment topé avec SoundLab pour fournir aux artistes plusieurs outils adossés à de l’IA, dont un transpose avec réalisme leur voix et leurs paroles dans de multiples langues. Même tendance chez les influenceurs. Avec HeyGen ou Synthesia, ils peuvent décliner leurs vidéos en plusieurs langues, en adaptant automatiquement le mouvement des lèvres pour plus de réalisme.

Sur les réseaux sociaux, la traduction par IA risque hélas de faire quelques dégâts en aidant les désinformateurs à parler à bien plus de monde. Heureusement, elle se “rachètera” en permettant aux internautes d’accéder à plus d’informations – la moitié du Web est indéchiffrable pour ceux qui ne parlent pas anglais – et en aidant les scientifiques du monde entier à partager questionnements ou trouvailles.

“L’IA intéresse également beaucoup le secteur manufacturier”, observe David Parry-Jones, de DeepL. Ce n’est pas surprenant. Automobile, électroménager… Tous les constructeurs qui vendent dans le monde entier ont beaucoup de documents techniques à décliner.

L’anglais “détrôné” par l’intelligence artificielle ?

“Avec la traduction dopée à l’IA, les frontières géographiques du recrutement vont voler en éclats, souligne par ailleurs Jeff Maggioncalda, de Coursera. De plus en plus, les travailleurs de demain naissent en Afrique et en Asie du Sud. A cela s’ajoutent une offre de formation en ligne qui s’étoffe et l’essor du télétravail. L’intelligence artificielle a fait tomber le dernier frein aux recrutements internationaux : les barrières linguistiques.” L’anglais ne sera peut-être pas éternellement la lingua franca du monde des affaires.

Malgré leurs impressionnants progrès, les IA de traduction doivent être maniées avec précaution. D’abord, car toutes n’offrent pas le même niveau de sécurité et de confidentialité. Bien souvent, les outils gratuits conservent les textes soumis par les internautes afin de s’améliorer. Chez DeepL, la version “pro” offre un niveau de protection adéquat pour des documents d’entreprise. “Notre produit payant ne conserve aucune donnée, il supprime toutes les traductions, et tous les échanges sont chiffrés”, indique David Parry-Jones, soulignant que même le gouvernement suisse s’est laissé tenter.

“Comparées à des traducteurs humains expérimentés, les limites de l’IA sont évidentes, rappelle aussi un billet de Xiao Weiqing, responsable du département de traduction et d’interprétation de l’université de Shanghai. Les nuances idéologiques, les expressions culturelles, le langage familier les déroutent […] elles n’ont pas la sensibilité linguistique adéquate pour opérer des distinctions subtiles, ni la créativité requise pour les textes artistiques. Elles produisent des résultats génériques, qui n’ont pas de personnalité ni d’éclat.”

Et en ce qui concerne les textes sensibles, même DeepL se montre sans appel : “Dès lors qu’un document engage votre responsabilité juridique, il faut une vérification humaine. Mais le fait que l’IA ait préparé la version de base fait gagner beaucoup de temps”, assure David Parry-Jones.

Dans cet étrange nouveau monde, la clé sera finalement d’apprendre le bon usage de ces nouveaux compagnons numériques. Si un échange prend un tour inattendu désagréable, vérifier systématiquement qui, de l’homme ou de la machine, en est à l’origine. Pour la paix dans le monde, il y a en effet pire menace que l’incapacité à se comprendre : croire à tort que quelqu’un vous cherche des noises.




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