“Vivre nu en communauté pour communier avec la nature serait-il le secret du bonheur et de la santé ?” C’est la question posée par le Mucem, à Marseille, en préambule de sa présentation de Paradis naturistes, première exposition d’ampleur sur le sujet dans l’Hexagone et visible jusqu’au 9 décembre. Répartis sur 500 mètres carrés, des centaines de photographies, films, œuvres d’art, objets et documents d’archives se déploient dans un décor de palissades et de cannisses. Une ode au soleil qui semble répondre par l’affirmative à l’interrogation ouvrant ce parcours très documenté où il y a beaucoup à lire – autant dire qu’on n’en fait pas le tour en une petite heure.
C’est que le thème, notamment la question de ses origines, se nourrit de diversité, à l’instar de l’éclectique quatuor des commissaires, formé par le philosophe Bernard Andrieu, le directeur de la Villa Noailles Jean-Pierre Blanc – tous deux fervents adeptes et défenseurs de la pratique –, la conservatrice Amélie Lavin et l’universitaire David Lorenté.
Une médecine de l’hygiène
En Allemagne, en Suisse puis en France, les premiers naturistes sont des disciples d’Hippocrate qui rejettent l’industrialisation galopante de l’Europe au XIXe siècle et invitent les corps à se fortifier au contact de la nature : se baigner, respirer un air pur, s’exposer aux rayons du soleil. La nudité n’est alors qu’un élément parmi d’autres dans cette fusion avec les éléments, qui associe hygiène de vie et végétarisme – on ne consomme ni alcool ni viande et on fait du sport en plein air pour mieux se ressourcer. Un évangile du bien-être porté, entre autres, par les Dr Durville, deux frères auteurs de Fais ton corps (1933).
Peu à peu, la dimension médicale laisse place à des pratiques plus hédonistes. Les vêtements tombent, le plaisir et la liberté de se dénuder s’expérimentent dans de petites enclaves de nature protégées.
La quête de l’Eden
Dès ses débuts, la pratique s’inscrit dans le champ des beaux-arts. Les médecins pionniers du naturisme exhalent les vertus de l’exercice physique par le biais d’images idéalisées de corps minces et athlétiques, sur le modèle de la statuaire antique. Très tôt, le mot paradis devient un terme largement répandu chez les naturistes, certains se référant à l’iconographie d’Adam et Eve nus au cœur d’une nature luxuriante, reprise sur la toile par nombre d’artistes au cours des siècles, pour illustrer leur recherche d’un paradis perdu.
Au début du XXe siècle, les peintres orientalistes se font l’écho du fantasme européen qui voit cette quête paradisiaque se fondre dans une vision colonialiste, où les contrées extra-occidentales sont perçues comme des “Eden sauvages”. Plus tard, d’éminents créateurs – photographes, chorégraphes ou intellectuels – accompagneront l’émergence des communautés naturistes françaises, contribuant largement à leur rayonnement international.
Le paradoxe du naturisme tricolore
Si la Freikörperkultur (“culture du corps libre”) s’est installée dans les mœurs allemandes dès la fin du XIXe siècle, en France, il faut attendre l’entre-deux-guerres pour amorcer l’histoire de ces micro-sociétés. Le corps nu restant marqué par la honte et la censure, elles essaiment à l’abri des regards, dans des lieux clos, châteaux privés ou îles. Le climat tempéré et la présence de trois mers favorisent leur éclosion et leur développement un peu partout sous nos latitudes, sans équivalent dans les autres pays européens, la Suisse exceptée.
Si l’Hexagone est aujourd’hui la première destination touristique naturiste au monde avec 4 millions de visiteurs chaque année, son rapport à la nudité reste ambigu. En 1994, le délit d’atteinte à la pudeur a bien été supprimé mais pour être remplacé par celui d’”exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui” : se déshabiller dans les espaces publics, ou sur son balcon à la vue de tous, relève donc de l’infraction, sauf à se désaper dans les quelques lieux “autorisés”, comme les campings ou les plages “dédiés”. A l’inverse, l’Allemagne, la Suisse, la Grande-Bretagne ou les pays scandinaves ont de longue date dépénalisé les “culs nus”, les affranchissant de toute connotation sexuelle.
La “gymnité” au Sparta-Club
Parmi les plus emblématiques communautés naturistes figure le Sparta-Club, implanté en 1928 dans le parc du château de Garambouville (Eure) par Marcel Kienné de Mongeot, professeur d’éducation physique, militant acharné de la nudité intégrale – ou “gymnité” – et cofondateur avec le Dr Viard de la revue hygiéniste Vivre. Déplacé au manoir Jan à Fontenay-Saint-Père, dans les Yvelines, le Sparta-Club trouve enfin un ancrage durable au château d’Aigremont de Chambourcy.
Là encore, c’est une pratique salutaire pour l’organisme qui y est défendue, écartant toute intrusion érotique : “Si nous avions l’habitude de voir nos contemporains dans le plus simple appareil, l’attrait de la curiosité disparaîtrait, emportant avec lui le désir que seul l’amour ferait naître”, martèle Kienné de Mongeot dès 1924.
Du Levant à Agde, une culture pérenne
En 1929, l’aventure de Physiopolis, sur l’île de Platais, près de Paris, est lancée par les frères Durville. L’année suivante, ils acquièrent 65 hectares du Levant, au large d’Hyères, dans le Var, pour y aménager Héliopolis, “une simple cité rustique où les amateurs d’air et de soleil viendront, dans le calme d’une nature splendide, se reposer des fatigues de la civilisation artificielle des villes, avec le seul luxe d’un idéal élevé et le seul souci d’une santé robuste”. En 1950, la première Fondation française de naturisme voit le jour sous la houlette des époux Lecocq qui créent la même année le Centre héliomarin de Montalivet, en Gironde.
Une poignée d’étés plus tard, frappés par les touristes allemands qui viennent ici planter leur tente et ne s’embarrassent pas d’un maillot de bain pour faire trempette, Paul et René Oltra, viticulteurs au Cap d’Agde, improvisent un campement familial inspiré de ce mode de vie d’outre-Rhin. Succès immédiat. Au fil des ans et des investissements immobiliers, Agde se mue en référence du naturisme, même si l’incursion des “libertins”, à partir des années 1980, brouille quelque peu l’image de la station balnéaire. Mais la culture naturiste perdure, nous rappelle le Mucem, qui joue le jeu jusqu’au bout du nombril : un mardi par mois, des “visites nues” de l’exposition sont proposées aux adeptes. Et le carnet de rendez-vous ne désemplit pas.
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