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Cuba et les JO de Paris : derrière l’exploit de Mijaín López, les raisons d’une dégringolade

Il l’a fait. Le 6 août, le lutteur cubain Mijaín López remportait sa cinquième médaille d’or olympique consécutive contre le Chilien Yasmani Acosta en finale des 130 kg. Une performance inédite dans l’histoire des JO et un moment inoubliable pour Herradura, petite ville de l’ouest de Cuba dont le colosse est originaire. Ce soir-là, alors que le combat s’achève, le public s’embrase dans les gradins de l’Arena Champ-de-Mars. López, lui, met un genou à terre. Il délace ses chaussures, les embrasse, les porte au-dessus de sa tête puis les repose. Il n’en aura plus besoin. A bientôt 42 ans, le champion prend sa retraite. Ce moment restera sans doute dans les annales olympiques. Mais pour La Havane, il est probable que le souvenir de ces Jeux de Paris 2024 charrie tout de même une pointe d’amertume.

Avec ses six médailles, dont deux en or, l’île des Caraïbes devrait parvenir à remplir son objectif de faire partie des vingt-cinq premiers pays du classement olympique. Mais Cuba, historique nation de sport, a vu large. Depuis son incroyable percée aux Jeux de Barcelone, en 1992, qui lui avait valu d’entrer dans le Top 5, celle-ci n’a jamais réussi à réitérer l’exploit. Au contraire, malgré de belles victoires, l’île n’a cessé de dégringoler dans le classement, JO après JO, passant de 11e en 2004 (Athènes) à 19e quatre ans plus tard à Pékin. Elle a par la suite oscillé entre 16e, 18e puis 14e en 2021. Plus étonnant : cette année, dans certaines de ses disciplines porte-bonheur tel le judo, le pays n’a décroché aucun titre.

Autre cruel symbole : Yasmani Acosta, l’adversaire chilien de Mijaín López lors du combat final, est en fait né à Cuba et s’est entraîné avec lui pendant des années avant de faire défection en 2015, faute d’opportunités, pour rejoindre le Chili dont il a obtenu la nationalité. Sur l’île communiste, les fuites de sportifs sont courantes. On en comptait sept rien qu’aux Jeux de Londres, en 2012, et une dizaine lors des Jeux panaméricains d’octobre 2023. Cette année encore, la judokate cubaine Dayle Ojeda, qui faisait partie de l’équipe de préparation de l’athlète Idalys Ortiz, s’est volatilisée peu avant la cérémonie d’ouverture. Au total, pas moins de 21 Cubains ont ainsi concouru lors de ces Jeux sous d’autres drapeaux (en comptant l’équipe olympique des réfugiés). Un sérieux camouflet pour l’île, qui n’a envoyé que 62 athlètes, soit sa plus petite délégation olympique depuis… 1964, à Tokyo.

Crise économique

“C’est non seulement révélateur de l’état du sport à Cuba, mais surtout de la gravité de la crise socio-économique que traverse l’île”, explique Robert Huish, professeur agrégé en études du développement international à l’Université Dalhousie (Canada) et fin connaisseur du cas cubain. Depuis des années, l’île est aux prises avec une crise économique mêlant, entre autres choses, durcissement de l’embargo de 1962 sous l’ère Trump (il avait été assoupli sous Barack Obama), tarissement des importations russes en raison des sanctions dont le pays fait l’objet depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, et enfin impact de la pandémie de Covid-19. Cuba, fidèle à la doctrine “internationaliste” héritée des années Castro, s’était “beaucoup investi pour venir en aide à ses alliés du sud. Mais ils ont eu du mal à lui rendre la pareille en termes de soutien financier en raison de la crise”, résume Robert Huish.

Depuis 2021, près de 500 000 Cubains auraient quitté l’île (soit 5 % de la population), dont bon nombre de sportifs. “Tout ce dont un athlète a besoin pour progresser manque de plus en plus à Cuba, explique Camille Morata, historien du sport et enseignant vacataire à l’université de Montpellier. Qui dit crise dit pénuries, et qui dit pénuries dit malnutrition. Or un sportif de haut niveau ne peut pas se permettre d’avoir des carences. Sans compter toutes les coupes budgétaires dans le secteur, qui rendent les conditions d’entraînement très difficiles”. En 2023, plusieurs championnats et compétitions sportives ont été suspendus faute de moyens, parmi lesquelles le championnat de baseball U23, sport fétiche de Fidel Castro devenu discipline nationale… Ces dernières années, plusieurs athlètes ont même revendu leurs médailles pour quelques milliers de dollars. Ainsi du champion de taekwondo aux Jeux de Sidney (2000), Ángel Valodia Matos, ou de Yasmany Lugo, lutteur médaillé d’argent à Rio en 2016.

Le président cubain Fidel Castro, le 28 octobre 2000 lors d’un match amical contre le Venezuela.

L’encombrant héritage de Castro

L’époque où certains athlètes cubains déclinaient des sommes astronomiques pour passer professionnels semble remonter à une éternité. Dans les années 1990, le triple champion olympique de boxe, Félix Savón, avait ainsi refusé les vingt millions proposés par Don King, le promoteur de Mike Tyson. “Je n’échangerai jamais l’amour et l’affection de mon peuple contre tous les millions du monde”, s’était-il expliqué. Il faut dire que depuis son arrivée au pouvoir, Fidel Castro a consacré le sport comme “droit du peuple”, en créant l’Institut national du sport, de l’éducation physique et des loisirs (Inder), et en nationalisant tous les clubs sportifs. Par un décret, le leader avait aussi banni le professionnalisme sportif qui, selon lui, enrichissait “une minorité aux dépens de beaucoup”. De nombreux athlètes occupaient ainsi un emploi alimentaire à côté de leur activité sportive. “Les sportifs cubains ont toujours été pris entre cet idéal national et l’envie de progresser dans des équipes professionnelles à l’étranger, où ils auraient été mieux payés, explique Robert Huish. Mais aujourd’hui, quitter Cuba n’est plus une question d’ambitions personnelles. C’est une question de survie”.

“Grâce à son charisme, Castro avait réussi à ancrer dans la tête des sportifs l’idéal communiste. Mais depuis sa mort, les nouvelles générations sont moins politisées et plus enclines à monnayer leurs talents à l’étranger”, surenchérit Camille Morata. Sans compter que de nombreuses ONG ont alerté sur la situation des droits humains sur l’île communiste. Même les tentatives d’ouverture de La Havane se révèlent inopérantes. Il y a plusieurs années, le totem de “l’amateurisme” sportif version Castro a été assoupli. “Cela n’a pas empêché de nombreux sportifs de fuir, d’abord parce que cela ne règle pas le problème de la crise économique, ensuite parce que ça ne concerne pas tous les sports, et enfin car même avec cela, la teneur des relations entre le régime de Cuba et certains pays comme les Etats-Unis peut être un frein au recrutement des athlètes par des équipes étrangères”, décrypte Robert Huish.

“Allié” russe

Cuba, isolée, ne peut pas non plus s’en remettre à son “allié” russe pour reprendre des couleurs. Jusqu’à son éclatement, l’URSS a fait partie des grands partenaires sportifs de l’île. Au point que de nombreux athlètes cubains sont passés par une formation soviétique, à l’instar du boxeur Teófilo Stevenson, triple champion olympique, ou encore l’athlète doublement médaillé d’or aux JO, Alberto Juantorena. Même Alcides Sagarra, qui fut l’entraîneur de l’équipe nationale cubaine de boxe (considéré comme le père de la boxe cubaine) a été formé par des entraîneurs issus de l’URSS. Mais aujourd’hui, la donne a changé.

La Russie, soumise à d’importantes sanctions internationales depuis son invasion de l’Ukraine, et mise au ban en tant que nation des Jeux olympiques de Paris, a certes ravivé ses relations avec son partenaire historique. En 2022, les deux pays avaient annoncé vouloir renforcer leur “partenariat stratégique”, allant jusqu’à signer un accord de coopération sportive l’année suivante. Mais c’est peu dire que, jusqu’à présent, le partenariat semble avoir davantage profité à la partie russe…

Cuba a ainsi participé à des événements tels les Jeux du futur, une compétition organisée en février à Kazan, en Russie, mêlant sport traditionnel et sport virtuel, ou encore les Jeux des Brics, sorte de JO Potemkine organisés en juin dans la même ville. Pendant ce temps, les infrastructures sportives cubaines sont toujours aussi vétustes, et la crise se poursuit. Mais là où les récents Jeux de Kazan ont pu donner lieu à des scènes ubuesques, de sportifs russes médaillés d’or seuls sur le podium faute de compétiteurs, à Paris, Mijaín López a offert à son public une victoire d’anthologie, à la régulière, et une sortie par la grande porte.




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