L’épidémie de Mpox, ou “variole du singe”, inquiète. En particulier un nouveau variant, le clade 1b. Apparu pour la première fois en septembre 2023 dans la ville minière de Kamituga, au Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), il s’est propagé dans les régions et les pays avoisinants. Apparemment plus contagieux, ce variant s’est adapté à la transmission interhumaine. Il se transmet lors de contacts sexuels et circule aussi bien chez les hommes que chez les femmes, alors que le variant 2b, responsable de l’épidémie de 2022, avait principalement touché les hommes homosexuels à partenaires multiples.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui a réuni son comité d’urgence ce mercredi 14 août, vient de déclencher son plus haut niveau d’alerte sanitaire au niveau international face à la résurgence des cas. L’agence internationale indique qu’il y a plusieurs épidémies de Mpox – avec différents variants – en cours. Elle vient appuyer l’autre alerte “d’urgence de santé publique” lancée mardi 13 août par l’agence de santé de l’Union africaine. Antoine Gessain, professeur à l’Institut Pasteur et spécialiste de cette maladie, estime néanmoins qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une pandémie qui toucherait l’Europe… si les mesures nécessaires sont mises en œuvre.
L’Express : qu’est-ce que la Mpox et d’où vient-elle ?
Antoine Gessain : Il s’agit d’une zoonose, une maladie humaine transmise par un animal, probablement un écureuil qui vit en Afrique centrale et de l’Ouest. On l’a détectée pour la première fois en 1970. Les signes cliniques sont la fièvre, le gonflement des ganglions, ainsi que des éruptions cutanées qui provoquent des lésions ressemblant parfois, dans les formes modérées, à la varicelle. Il existe deux variants du virus, le premier, le clade 1, est présent en Afrique centrale, tandis que l’autre, le clade 2, circule en Afrique de l’Ouest.
Les virus des clades 1 et 2 sont tous deux responsables des formes cliniques classiques qui provoquent de petites épidémies intrafamiliales, touchant en particulier les enfants, dans des régions reculées, loin de bonnes infrastructures médicales, parfois même en zone de conflits. Ce sont les plus jeunes, principalement du fait de surinfections bactériennes, de la dénutrition et de la déshydratation, qui payent dans ces conditions le plus lourd tribut à la maladie (de 5 à 10 % de létalité).
En 2017, des chercheurs ont découvert une nouvelle forme clinique de la maladie au Nigeria. Elle s’est propagée jusqu’en Europe, en touchant quasi exclusivement les populations homosexuelles masculines. A la suite des transmissions interhumaines exclusives, le virus a muté et un nouveau variant, le clade 2b, est apparu. Il y a eu environ 100 000 cas et 200 morts dans le monde, mais cette pandémie a été contenue. Ce à quoi nous faisons face aujourd’hui est une épidémie due à un nouveau variant, le clade 1b, qui a été détecté en septembre 2023 au Sud-Kivu, une province de la RDC.
Faut-il s’en inquiéter ?
Ce qui est préoccupant, c’est que ce nouveau variant, épidémique dans la région, s’est propagé en RDC et dans plusieurs pays voisins. En effet, le virus du clade 1b a été décrit au Rwanda, au Burundi, au Kenya et en Ouganda. Une étude scientifique, publiée en juin dans Nature Medicine, fait état de plusieurs centaines de cas – mais il y en a probablement beaucoup plus aujourd’hui – et précise que le virus se transmet avant tout par voie sexuelle au sein des populations à risque, en particulier chez les ouvriers des mines et les travailleurs et travailleuses du sexe locaux. Le clade 1b s’est donc adapté, par transmissions interhumaines successives, un peu comme le 2b de la pandémie de 2022, sauf que, cette fois-ci, les femmes sont aussi touchées.
Il y a également, depuis deux ou trois ans, un plus grand nombre de cas de Mpox en Afrique centrale, notamment en RDC. Depuis 2024, il y aurait entre 12 000 et 15 000 cas et 500 victimes, dont 50 % d’enfants. Mais la majorité semble infectée par le virus du clade 1 (dénommé maintenant 1a), responsable de la maladie classique touchant surtout les enfants et les familles. Et cette augmentation est probablement liée au fait qu’on connaît mieux la maladie et que les diagnostics sont mieux posés. Il y a donc deux épidémies : une provoquée par la forme classique (clade 1a) et une autre liée au clade 1b. C’est cette dernière qui inquiète l’OMS.
Ce nouveau variant peut-il atteindre la France et l’Europe ?
On peut craindre une augmentation importante des cas en Afrique centrale à cause d’une situation locale complexe. De fait, cette augmentation est, malheureusement, déjà en cours. En RDC, l’épidémie a atteint la grande ville de Bukavu [NDLR : plus d’un million d’habitants, à quelques kilomètres du Rwanda et du Burundi]. Elle s’est aussi diffusée aux pays voisins. On ne peut donc pas éliminer le risque que le clade 1b se répande.
Néanmoins, pour l’instant, personne n’a réussi à vraiment démontrer que le virus de type clade 1b est plus transmissible. Peut-être se transmet-il plus facilement car les conditions locales au Sud-Kivu font qu’il y a plus de transmissions sexuelles, en particulier par le biais des jeunes adultes et des travailleuses du sexe ? Ou alors est-ce le virus en lui-même qui est plus transmissible ? Nous n’avons pas encore la réponse.
Ensuite, il faut rappeler que sur les 100 000 cas de la pandémie de 2022-2023, il y a eu “seulement” entre 150 et 200 morts. La quasi-totalité des victimes en Europe occidentale, aux Etats-Unis ou au Brésil étaient atteintes du VIH, et peu ou mal prises en charge pour cette maladie. En Afrique centrale, il y a des problèmes de malnutrition, de pauvreté, d’absence de soins et une population déjà très touchée par le VIH. Surtout, nous avons réussi à vaincre la pandémie de 2022 grâce aux vaccins, aux traitements, en isolant les patients et les cas contacts. Si le clade 1b arrivait en Occident, je ne doute pas de nos capacités à lutter efficacement contre ce virus. Globalement, nous sommes préparés à faire face à ce genre de situation.
Quelles sont les stratégies à mettre en œuvre ?
Il faut augmenter les moyens humains, logistiques et financiers en Afrique centrale de manière à faire reculer l’épidémie locale et la diffusion aux pays avoisinants. En résumé, faire ce que l’on avait fait en 2022 : améliorer la prise en charge, isoler les cas cliniques et les cas contacts, surveiller et informer les différentes populations à risque.
Par ailleurs, il est fondamental de rendre les vaccins plus disponibles, ce qui n’est pas encore le cas, alors qu’en France on avait réussi à vacciner des dizaines de milliers de personnes en 2022 et 2023. Il faut enfin que les médicaments, comme le técovirimat, soient distribués efficacement dans les populations les plus à risque. Si cela est rapidement fait, l’épidémie actuelle diminuera dans les régions touchées.
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