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Serge Bret-Morel : “L’astrologie paraît anodine mais elle enferme dans un système de fausses croyances”

Il est l’un des plus farouches critiques de l’astrologie. L’un des plus documentés aussi. Et pour cause, Serge Bret-Morel a été un astrologue convaincu pendant près de quinze ans, dont dix au bureau de la Fédération des astrologues francophones (FDAF). Titulaire d’un master en histoire et philosophie des sciences, il a d’abord tenté de prouver méthodiquement que l’astrologie disait vrai. Un long chemin de croix qui lui a fait découvrir de nombreuses erreurs et contresens inconnus même des plus grands astrologues. Jusqu’au jour où il est parvenu à la conclusion que ni les traditions, ni la théorie, pas plus que la pratique ou encore même l’organisation du milieu astrologique ne pouvait être défendable.

Auteur de l’Astrologie : la fin des mystères (2016), il a également donné des dizaines de conférences afin de promouvoir la pensée critique. Il livre aussi les résultats de son travail d’enquête et d’historien sur sa chaîne YouTube, Astroscept, et son blog Astroscept(icisme), tout en montrant pourquoi cette croyance peut tromper ses pratiquants et même se révéler dangereuse. Pour L’Express, il explique son combat, et son parcours.

L’Express : L’astrologie est une croyance très répandue. Et le reste encore aujourd’hui. Comment expliquez-vous son succès ?

Serge Bret-Morel : L’astrologie parle du monde réel, ou du moins veut le faire croire. C’est, en fait, une machine à produire des coïncidences et des flatteries en série. Elle propose par exemple des portraits astraux qui sont toujours idéaux et avantageux, mais surtout inspirants… et propres à induire en erreur. Il est forcément enthousiasmant de se dire qu’on peut y ressembler, car tout le monde a envie de s’améliorer. L’astrologie est aussi un mode d’emploi idéal : lorsque nous possédons notre portrait détaillé, il ne reste plus qu’à l’étudier, et hop, nous avons l’impression d’obtenir des réponses sur nous, nos objectifs professionnels ou amoureux. On croit gagner du temps. Il y a un véritable aspect “jeu de rôle”, comme dans les livres dont on est le héros qu’on lisait petit.

Depuis quelques dizaines d’années (ce n’est pas une tradition historique), l’astrologie fait aussi la part belle à l’introspection, un peu à la manière de la psychanalyse, qui l’a d’ailleurs beaucoup influencée durant le XXe siècle. Certains astrologues estiment même que la psychanalyse a permis de mieux comprendre ce que l’astrologie avait déjà dévoilé.

Mais n’est-elle pas vue comme un passe-temps amusant auquel plus personne ne donne de crédibilité ?

Au contraire, elle est toujours très présente dans les médias. Il faut passer outre les horoscopes de presse car cette pratique est multiforme. De l’astrologie médicale à l’astro-psychologie en passant par l’astrologie narrative, karmique ou humaniste : les astrologues sont très créatifs. On sait aussi que l’astrologie peut être pratiquée dans certaines sectes. Sous ses airs anodins, elle a toujours été utilisée, en fait, pour donner de l’assise à des opinions personnelles.

Compilation de différents sondages et enquêtes sur l’attitude de Français à l’égard de l’astrologie.

Il est fou que l’on se demande encore si l’astrologie a de la crédibilité alors que les sondages sont clairs et presque constants depuis des dizaines d’années : il y a toujours autour de 40 % des Français adultes qui pensent que le signe astrologique a une influence sur le caractère. Certes, l’astrologie des signes n’est pas crédible du point de vue scientifique, mais elle reste une croyance très bien installée chez les adultes. Elle est opportunément présentée comme anodine dans les débats, mais reste utilisée sur le terrain pour répondre, contre rémunération, à des questions existentielles ou prendre des décisions de vie importantes (professionnelles, personnelles).

Cette présence médiatique n’a-t-elle pas fortement diminué ces dernières années ?

Je ne crois pas. Il suffit d’aller sur les sites Internet de la presse féminine. Le résultat est effrayant. Il y a des milliers d’articles extrêmement positifs et cette presse touche des millions de Françaises. Ce n’est pas un hasard si les femmes croient plus que les hommes en l’astrologie : ces lectrices en sont abreuvées depuis leur plus jeune âge. Et la mésinformation est totale : on ne donne jamais la parole à des sceptiques qui risqueraient de remettre en question ce modèle commercial. Car l’astrologie y est utilisée cyniquement, comme un outil marketing de fidélisation qui donne l’illusion d’une réelle information.

Outre les médias traditionnels, les réseaux sociaux sont aussi un vecteur extrêmement puissant. La période du Covid a, je pense, été un tournant. De nombreux astrologues ont profité du confinement pour développer leur communication numérique. Tout le monde a vu passer les logiciels ou applications “clés en main” permettant de monter son entreprise et de communiquer efficacement sur Internet : aujourd’hui, de nombreux devins ont quasiment le même site Web. Raison pour laquelle on peut constater une explosion des contenus en ligne depuis trois ou quatre ans, notamment le nombre de hashtags sur les réseaux sociaux ou de formations à distance.

Vous avez d’ailleurs travaillé sur les horoscopes de presse, qui ne sont pas si anodins que cela, selon vous…

J’ai réalisé une enquête que j’ai mise en ligne sur ma chaîne YouTube AstroScept, avec des révélations sur la manière dont les horoscopes ont été introduits dans la presse. Il s’agissait par exemple de petites annonces de services publiées par des escrocs non-astrologues.

Les horoscopes de presse représentent une porte d’entrée vers l’ésotérisme. Ils paraissent anodins, mais si on s’y fie, si on croit au portrait de notre signe, alors on commence à accepter des mécanismes de pensée fallacieux qui vont rendre plus acceptables des croyances qu’on n’aurait peut-être même pas regardées auparavant. Ce que je dis n’est pas nouveau. Un “traité de la police” du début du XVIIIe siècle – peu de temps après que Louis XIV a expulsé les astrologues de France – explique par exemple que l’astrologie permet d’attirer le chaland pour des raisons anodines puis, petit à petit, de le pousser vers diverses dérives, jusqu’au crime ou au sacrilège.

Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Grâce à la visibilité que m’apporte mon travail, je suis régulièrement contacté par des personnes qui me font part de cas de manipulations et de dérives. Le magazine de l’association Gemppi [NDLR : qui aide les victimes de dérives sectaires] avait publié un article concentrant de nombreux dérapages d’astrologues qui suggéraient à leurs clients d’arrêter leurs traitements médicamenteux. Le problème, c’est qu’on a peu de témoignages de ce genre, sans doute parce qu’il y a une certaine honte à admettre qu’on a succombé à des superstitions. Il serait donc intéressant qu’il y ait plus d’enquêtes – de chercheurs, de la presse, de la police – sur ces problèmes.

Vous avez justement proposé à de nombreux instituts et universités de mener une thèse sur l’astrologie, sans succès. Pourquoi ?

Le premier obstacle, finalement indépassable, a été de trouver un directeur de recherche qui soit spécialiste de l’astrologie et de ses croyances. S’il y a de nombreux psychologues ou sociologues qui sont spécialistes des croyances en général, l’astrologie n’est pour eux qu’un domaine parmi d’autres alors que ses spécificités sont nombreuses. Ensuite, je me suis heurté au manque de financement qui touche le monde de la recherche depuis dix ou quinze ans. En plus, le sujet n’intéresse pas particulièrement et il est trop souvent réduit aux horoscopes et à la voyance. J’en suis à 14 propositions de doctorat. Mais on me répond toujours qu’un financement est impossible. Or je ne veux pas travailler gratuitement.

Quels sont les arguments qui permettent de réfuter l’astrologie le plus simplement ?

Le plus classique consiste à rappeler que l’astrologie utilise l’effet Barnum, un biais cognitif qui conduit à croire qu’une analyse, une prédiction ou un discours vague et général dans lequel presque tout le monde peut se reconnaître est rédigée spécifiquement pour nous.

Mais il y a également des arguments de fond. Comme la critique du symbolisme des 12 signes astrologiques, qui est fondé sur l’analogie avec nos quatre saisons. Pour les astrologues, une personne née au début du printemps serait “fonceuse”, car c’est la période du renouveau de la nature, le lion d’été serait “solaire”, le verseau introverti, car né en hiver, etc. Sauf que tout cela se fonde sur les saisons européennes. Que se passe-t-il si vous naissez dans l’hémisphère sud, où les saisons sont inversées ? La FDAF en avait conscience et, quand j’en faisais partie, nous avions contacté des astrologues vénézuéliens afin de les interroger sur ce problème. Ils nous avaient répondu qu’ils ne se posaient pas la question et qu’ils utilisaient les saisons européennes. C’est quand même incroyable que les astrologues du monde entier n’éprouvent même pas le besoin de dépasser ce paradoxe.

Il y a, aussi, des cas d’étude très connus. Au XXe siècle, de nombreux astrologues ont par exemple établi la carte de naissance de Joseph Staline pour expliquer pourquoi il avait tel ou tel trait de caractère ou pris telle ou telle décision importante pour le monde. Sauf qu’en 2001, on a découvert qu’il était né un an et un jour plus tôt. La nouvelle carte de naissance n’avait rien à voir avec la précédente. Mais aucun astrologue, professionnel comme débutant, et quelle que soit son astrologie, ne s’en était jamais rendu compte. Cela montre bien qu’ils ne peuvent jamais savoir s’ils sont dans le vrai ou le faux. Cela aurait dû provoquer des Assises de l’astrologie. Il n’en a, bien sûr, rien été.

Il existe enfin de célèbres expériences scientifiques qui ont invalidé nombre de prétentions de l’astrologie. Comme l’expérience de Carlson, publiée en 1985, dans laquelle ce chercheur a proposé aux meilleurs astrologues de son pays d’établir les thèmes de naissance de nombreuses personnes. Ces dernières se voyaient ensuite présenter trois thèmes anonymisés faits par les astrologues (le bon et deux autres tirés au sort), puis on leur demandait de retrouver le leur. Résultat ? Les participants pointaient le bon thème une fois sur trois. Pas mieux que s’ils avaient choisi au hasard. Cette expérimentation a été répliquée à maintes reprises, avec toujours le même résultat. A l’inverse, un autre type d’expérience consiste à fournir à des astrologues toutes les informations qu’ils désirent sur des personnes, sauf leur date de naissance, pour qu’ils puissent la retrouver. Là encore, le pourcentage de réussite est le même qu’avec un tirage au sort.

Astronomiquement parlant, enfin, le ciel des astrologues ne correspond plus au ciel réel depuis longtemps. En quoi l’astrologie peut-elle prétendre parler de la réalité ?

Pourquoi dénoncez-vous cette pratique avec tant d’énergie ?

Lorsque j’étais dans ce milieu, nous étions tous persuadés d’avoir compris le réel et nous voulions répandre notre croyance. Mais l’astrologie m’a trompé et aujourd’hui je peux expliquer pourquoi. De plus, l’adhésion à l’astrologie, même quand elle semble bénigne comme lorsqu’il s’agit horoscopes de presse, est une pratique qui provoque un retard de questionnement sur soi, le monde ou la société. Nous vivons dans une société où les compétences en termes de traitement de l’information sont devenues primordiales, la croyance en l’astrologie ne peut que nuire à ce niveau-là. Si les planètes expliquent tout, pourquoi s’intéresser à la politique, aux principes de domination sociale, à la psychologie ? Quand on est persuadé qu’il vaut mieux se connaître par l’astrologie plutôt que d’autres méthodes éprouvées, on s’enferme. C’est pour cette raison que les sociologues disent que l’astrologie des horoscopes pousse vers une forme de conformisme social, c’est une sorte de mode d’emploi de la vie, clés en main, qui enferme dans des cases et dans un ensemble narcissique de fausses croyances.

Et puis il y a une forme d’injustice dans le fait qu’une pratique comme celle-ci perdure sans être dénoncée. Il y a pourtant des milliers d’astrologues complètement irresponsables, faussement persuadés d’avoir des connaissances et des solutions pour leurs clients alors qu’ils ne sont en général pas formés à la psychologie. Or, la plupart des gens qui les consultent se trouvent dans des périodes difficiles et peuvent plus facilement être abusés. Cela me met hors de moi de savoir que tant de personnes vont voir un astrologue pour résoudre des problèmes qui ne seront jamais résolus par l’astrologie. C’est une escroquerie très bien installée dans notre pays. Je pense que l’Etat devrait agir, peut-être même revenir à d’anciennes législations dans lesquelles il était interdit de se faire rémunérer pour des activités de divination. Je rêve d’un monde médiatique où les horoscopes n’existeraient pas et où une information critique régulière, et qui peut être passionnante, permettrait de contrer la mésinformation sur ce thème.

Comment l’astrologie a-t-elle réussi à vous séduire ?

Comme beaucoup d’autres, je suis tombé dans l’astrologie dans un moment de fragilité : après une rupture amoureuse difficile, à 19 ans. J’étais jeune, immature et effondré. Je me suis alors intéressé aux divinations comme la voyance, la numérologie, l’astrologie, etc. dans lesquelles ma mère était déjà un peu immergée. J’ai tenté de trouver du sens à ce qu’il m’arrivait, de trouver un moyen de faire revenir mon ex-petite amie. En vain, évidemment.

Petit à petit, l’astrologie m’a fasciné, notamment parce qu’elle propose de nombreux questionnements introspectifs. J’ai commencé à monter mon thème de naissance. Puis celui d’autres personnes. Je suis ensuite entré en contact avec des astrologues connus, comme Elizabeth Tessier. Elle m’a mis en contact avec la FDAF, dont Suzel Fuzeau-Braesch, une des rares scientifiques [NDLR : biologiste] qui défendait l’astrologie, en était membre d’honneur. J’ai aimé leurs idées et j’ai intégré la fédération en 2003, j’avais 29 ans, en prenant la place de trésorier, ce qui m’a permis de rencontrer ou d’échanger avec les astrologues francophones les plus en vue.

Combien sont-ils ?

Au sein de la fédération, il y avait 200 ou 300 membres. Mais il ne s’agit que d’une petite partie de la communauté. Dans les années 2000, on parlait de 3 000 astrologues en tout. Je pense qu’il y en a plus aujourd’hui à cause des réseaux sociaux. Mais il est impossible de vérifier ces chiffres car l’Insee, qui recense les professions, ne propose pas de catégorie “astrologue”, seulement “voyants”, qui sont bien plus nombreux, et “ésotérisme”. C’est donc nébuleux.

Quel a été le déclic pour sortir de ce mouvement ?

La première chose qui m’a marqué, c’est le nombre de querelles de chapelles et de désaccords. Il n’y a pas une astrologie, mais une multitude comme pour toutes les pseudosciences. Comme elles ne reposent sur aucune vérité, aucune base solide et vérifiable, chacun a sa propre analyse. Ensuite, la mauvaise qualité des argumentations dans le milieu et la méconnaissance de l’astronomie comme des critiques sceptiques. Mais il n’y a pas vraiment eu de déclic. Cela est plutôt passé par une remise en question progressive, en faisant, sans le savoir, un travail sceptique qui m’a inexorablement conduit à auto-réfuter ma propre croyance : historiquement, les astrologues n’ont pas créé l’astrologie, ils ne sont d’accord sur rien aujourd’hui et c’était déjà le cas dans l’Antiquité. Ils n’envisagent même pas la possibilité d’une théorie de l’erreur dans leur discipline, ils ne veulent pas intégrer les questions passionnantes posées par les biais cognitifs (à cause desquels, par exemple, on peut considérer de bonne foi comme vraie une information tout à fait fausse).

Depuis, je publie sur ma chaîne YouTube de nombreuses recherches et analyses. Mais je ne reçois jamais aucune critique. Ce qui ne m’étonne plus : les astrologues sont dans une croyance et je leur oppose des arguments rationnels. Et puis la plupart restent prisonniers de leur bulle cognitive. Les astrologues connus, eux, ont toujours accès aux médias et ont tout intérêt à ne pas réagir à mon travail.




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