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Yahya Sinouar, le chef du Hamas, veut libérer Jérusalem des juifs, par Omar Youssef Souleimane


C’est la première fois que le dirigeant militaire du Hamas s’occupe également de sa politique générale. Depuis 1987, année de la création du mouvement islamiste, les brigades Izz al-Din al-Qassam, l’armée du Hamas, étaient indépendantes de son dirigeant politique. Celui-ci vivait à l’étranger depuis 1996. Khaled Mechaal résidait à Damas, et son successeur Ismaël Haniyeh au Qatar.

Suite à l’assassinat de ce dernier à Téhéran le 31 juillet, Yahya Sinouar, surnommé par certains officiers israéliens “le boucher de Khan Younès”, l’a remplacé. Cela signifie-t-il que le mouvement a décidé d’aller jusqu’au bout dans cette guerre en mettant de côté la libération des otages ? Ou Sinouar, qui connaît bien Israël et parle couramment l’hébreu, est-il capable de diriger directement les négociations avec le gouvernement israélien ? Pour avoir des éléments de réponse sur la stratégie du Hamas, il faut comprendre la manière dont Sinouar réfléchit, et quels sont ses objectifs dans cette guerre.

Le 11 octobre 2011, Israël libérait 1 027 Palestiniens des prisons en échange du retour de Gilad Shalit, soldat enlevé par le Hamas en 2006. En Syrie, nous étions alors préoccupés par les attaques quotidiennes du régime de Bachar el-Assad contre les manifestants. Mais ce jour-là, les médias du régime, tout comme ceux de l’opposition, n’ont parlé que cette grande nouvelle. Parmi les visages visibles dans les vidéos diffusées sur les chaînes de télévision, on découvrait celui d’un homme maigre, à la petite barbe blanche et aux yeux cruels, faisant des signes aux personnes qui l’accueillaient depuis la fenêtre du train. Mais aucun média ne s’est concentré sur lui. C’était Yahya Sinouar, aujourd’hui considéré comme le cerveau de l’attaque du 7 octobre.

Après la fin de ses études de langue arabe à l’université de Gaza à l’âge de 20 ans, Sinouar est rapidement devenu le bras droit d’Ahmed Yassine, fondateur du Hamas. Il a proposé au chef de créer un groupe de renseignement pour identifier les agents du Shin Bet israélien, omniprésents à Gaza. Sinouar a fait exécuter plusieurs Gazaouis par balle ou par pendaison. En 1989, lui-même a été arrêté par le Shin Bet. Accusé d’avoir tué quatre Palestiniens, il a été condamné à 430 ans de réclusion.

En prison, Sinouar s’est imposé comme le leader des membres du Hamas et d’autres milices islamistes arrêtés. Là encore, il a traqué les “oiseaux”, terme désignant les agents parmi les détenus palestiniens. Certains ont été tués avec des rasoirs ou des canifs. Sinouar a ainsi été placé dans une cellule d’isolement, où il a passé quatre ans. “Aujourd’hui, je suis emprisonné chez vous, mais un jour, vous et votre famille serez mes otages”. C’est en ces termes que Sinouar s’est adressé à l’officier israélien qui l’interrogeait à l’époque. Dans son témoignage sur la chaîne israélienne 12, il a confirmé en décembre dernier : “Je me suis moqué de cette phrase ; je n’ai jamais imaginé qu’elle deviendrait une réalité.”

Faux pacifiste

Devenu un homme plus calme, Sinouar étudie l’hébreu et traduit des livres en arabe, dont un ouvrage de Carmi Gillon, ancien chef du Shin Bet. Il lit des biographies des présidents d’Israël. De retour dans la cellule collective, il encourage les autres détenus à étudier l’hébreu. Il regarde la télé israélienne et répète aux enquêteurs qu’il souhaite passer le reste de sa vie dans la tranquillité. En 2004, il commence à éprouver de vives douleurs à la tête, ce qui l’empêche de dormir, de marcher, ou même de parler correctement. Les gardiens l’emmènent aux urgences, où les médecins découvrent une tumeur à son cerveau.

Après avoir été opéré dans l’un des meilleurs hôpitaux d’Israël, le Centre médical Shamir, il devient proche de son médecin : Yuval Bitton. Ce dernier a déclaré, après l’attentat du 7 octobre sur CNN, que Sinouar lui a confirmé qu’il fallait signer une trêve de vingt ans entre Israël et le Hamas, et que le mouvement islamiste ne devait plus résister contre l’État le plus puissant du Proche-Orient. La même année, Sinouar répète cette idée sur une chaîne israélienne qui l’interviewe, déclarant en hébreu : “Israël a 200 armes nucléaires, il est inutile de continuer la guerre contre lui. Il faut que cette zone reconnaisse le calme et la croissance. Tout ce qu’on demande, c’est qu’Israël nous aide à reconstruire Gaza et à le développer économiquement.” Lors de l’enlèvement de Gilad Shalit, Sinouar devient, depuis sa prison, le responsable des négociations entre Israël et le Hamas. L’Etat hébreu accepte que cet homme qui a passé toute sa jeunesse en geôle figure parmi les personnes libérées. C’est la plus grande erreur qu’Israël ait commise dans toute son histoire.

À la suite de sa libération, Sinouar s’occupe de la coordination entre le bureau politique du Hamas et les Brigades Izz al-Din al-Qassam jusqu’en 2017, année où il est nommé chef du Hamas à Gaza. Il annonce que sa priorité est le développement de cette zone et la lutte non violente pour la mosquée Al-Aqsa. En 2018, il déclare sur Al-Jazeera que le Hamas suivra la résistance pacifique contre Israël. Ce dernier autorise l’entrée des subventions venant du Qatar à Gaza via le passage d’Erez, contrôlé par les Israéliens, y compris des matériaux de construction et des carburants. Israël accorde la permission à plus de 18 000 Gazaouis de travailler dans ses villes. Sinouar encourage cette démarche.

Plus tard, on découvrira que parmi ces travailleurs se trouvaient des agents du Hamas et que les matériaux envoyés à Gaza ont été utilisés pour fabriquer des armes. En réalité, dès sa sortie de prison, Sinouar a oeuvré discrètement pour le renforcement de la milice. Il a amélioré les relations avec l’Iran qui soutient le Hamas avec 70 millions de dollars par an depuis 2018, en lui fournissant des missiles à la technologie avancée, des munitions et des entraînements militaires. Selon The Wall Street Journal, lorsqu’il était en prison, le futur chef du Hamas a dit à son médecin qu’Israël se considère comme un État fort parce que la majorité des Israéliens font le service militaire et que les soldats ont une valeur supérieure dans ce pays, mais que cette puissance pourrait aussi devenir une faiblesse. Cela s’est réalisé en 2011, lorsque 1 027 Palestiniens accusés de terrorisme ont été libérés en échange d’un seul soldat israélien. Pour Yuval Bitton, c’est l’une des raisons pour lesquelles Sinouar a fait enlever des soldats de Tsahal le 7 octobre. Il misait sur leur libération en échange de milliers de Palestiniens arrêtés en Israël. Sinouar a bien étudié la société israélienne et la manière de penser de ses citoyens.

Une vie basée sur la vengeance

Petit à petit, son discours est devenu plus violent. En 2022, il déclare devant des centaines de Palestiniens qu’il inondera Israël “d’un déluge rugissant et d’innombrables missiles” si les juifs continuent à entrer dans la mosquée Al-Aqsa. Mais Israël ne prend pas cette menace au sérieux, la considérant comme des paroles en l’air.

En vérité, Sinouar a tout organisé pour se venger. Selon plusieurs témoignages de ses camarades de prison, il n’avait aucun doute que le djihad était le seul moyen de faire payer les juifs pour leurs actions à Jérusalem. Il voulait également venger ses camarades, les anciens chefs du Hamas Ahmed Yassine et Abdel Aziz al-Rantissi ainsi que des dizaines d’autres djihadistes éliminés par Israël. Il ne faut pas oublier que la vengeance est un aspect central de l’idéologie du Hamas. Ce mouvement est prêt à attaquer en réponse à la mort de l’un de ses dirigeants, comme ce fut le cas en 2012, lorsque la guerre a été déclenchée en réaction à l’élimination d’Ahmad Al-Jaabari, le chef à l’époque des Brigades Izz al-Din al-Qassam. Depuis sa création, le Hamas nomme ses armes d’après les noms de ses dirigeants morts en tant que “martyrs” ayant mené le djihad contre Israël, tel le fusil de précision Al-Goul, en l’honneur d’Adnan al-Ghoul, responsable de la fabrication des armes assassiné par Israël en 2004.

Prêt à aller jusqu’au bout

Il est possible que le Hamas ait décidé de nommer Sinouar comme son chef général parce que les dirigeants sont plus en sécurité dans les tunnels de Gaza qu’à l’étranger. Mais en analysant son parcours, on peut être sûr que ce djihadiste, le plus extrémiste au sein de l’organisation islamiste, est prêt à aller jusqu’au bout dans cette guerre, non pas pour la vie des Palestiniens, mais pour la mort d’Israël. Dès sa nomination, il a annoncé que son mouvement ne cessera pas le feu avant le départ d’Israël de Gaza et la libération des Palestiniens emprisonnés, y compris Marwan Barghouti, accusé d’avoir commandité un attentat ayant tué plusieurs civils israéliens pendant la deuxième Intifada en 2000. Ce qu’Israël a refusé.

À la suite de l’annonce de nouvelles négociations entre les deux parties en conflit à Doha ce 15 août, Sinouar a refusé d’envoyer une délégation du Hamas. Les discussions se donc déroulées donc entre le Qatar, l’Égypte et les États-Unis. Le porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères a annoncé que l’objectif des négociations est d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza, la libération des otages et l’entrée de la plus grande quantité possible d’aide humanitaire sur le territoire. Mais même si cela se réalise, il ne faut pas s’attendre à une paix durable. Sinouar veut libérer Jérusalem des juifs ; ce n’est pas seulement l’idéologie du Hamas, mais l’objectif central de sa stratégie, construite autour des services de renseignement, des manipulations et de la haine.

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.




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