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Harris contre Trump : en Pennsylvanie, la bataille acharnée pour conquérir les électrices


Des vasectomies gratuites, des pilules abortives offertes par une caravane du Planning familial, des distributions de préservatifs estampillés de slogans anticonservateurs en passant par des discours passionnés sur le sujet : le thème des droits reproductifs a dominé la Convention démocrate à Chicago, qui a officialisé la candidature de Kamala Harris à la Maison-Blanche.

Plusieurs jeunes femmes ont témoigné sur scène de leur terrible expérience, dont Kaitlyn Joshua, qui a manqué mourir après une fausse couche. Les urgences de deux hôpitaux en Louisiane avaient en effet refusé de pratiquer un avortement thérapeutique en raison des lois très restrictives de l’Etat. “Je souffrais, je faisais une telle hémorragie que mon mari a craint pour ma vie, a-t-elle raconté. Personne ne devrait expérimenter ce que j’ai souffert, et pourtant je ne suis pas la seule.” Même Tim Walz, le colistier de Kamala Harris, a évoqué le traitement pour la fertilité qu’a subi son épouse pour concevoir leur fille Hope. Si les démocrates parlent tant d’avortement, c’est parce que la décision de la Cour suprême en 2022 qui a conduit dans 17 Etats à sa quasi-interdiction a galvanisé les électrices. Et ils espèrent que l’enjeu va les mobiliser en novembre.

L’électorat féminin va jouer un rôle central

La campagne électorale cette année se focalise beaucoup sur les femmes. Et pas seulement parce que Kamala Harris a des chances de devenir la première présidente américaine de l’Histoire. Le message, les publicités, la stratégie marketing des deux candidats sont très centrés sur le vote féminin, qui risque de faire la différence.

Notamment en Pennsylvanie, le plus crucial des Etats pivots, où va sans doute se décider une fois de plus l’élection. Donald Trump en 2016, puis Joe Biden quatre ans plus tard l’ont emporté de quelques dizaines de milliers de voix. Et le scrutin de novembre s’annonce de nouveau très serré. “La preuve, c’est qu’Harris et Trump campent quasiment dans l’Etat”, plaisante Christopher Borick, professeur de sciences politiques au Muhlenberg College, pour qui “l’électorat féminin jouera très certainement un rôle central dans le résultat”.

Dans la rue principale de Newtown, un petit bourg pimpant du comté de Bucks, on croise beaucoup de démocrates remontées à bloc sur la question de l’avortement. Comme Lisa, une jeune mère de trois enfants : “L’enjeu principal pour moi, ce sont les droits reproductifs. J’ai deux filles, et je veux qu’elles aient accès à l’IVG, à la contraception, aux traitements de fertilité, qui sont menacés aujourd’hui. Cette élection est aussi cruciale pour la démocratie. Donald Trump est cinglé et s’il est réélu, c’est une catastrophe.” Sur le parking du supermarché, Jacki, une éducatrice de 59 ans, est, elle aussi, motivée par la protection du droit à l’IVG : “Depuis la décision de la Cour suprême, c’est capital pour moi. Peu importe le candidat démocrate, je voterais pour une tomate si ça pouvait empêcher un second mandat de Trump, s’exclame-t-elle. C’est le pire des êtres humains !”

“Les républicains devraient arrêter de vouloir interdire l’avortement”

Dans le paysage verdoyant de ce comté de la grande périphérie de Philadelphie, jadis rural, alternent fermes, lotissements cossus et petites bourgades. C’est aussi l’un des coins favoris des sondeurs. Car les trois derniers scrutins présidentiels se sont joués à quelques points. Joe Biden l’a emporté en 2020 grâce en partie aux électrices de ce faubourg et Kamala Harris espère bien réitérer l’exploit. La bataille porte surtout sur la conquête des femmes blanches, un segment important en majorité républicain. C’est en partie grâce à elles que Donald Trump a été élu en 2016. Et, en 2020, 53 % ont voté pour lui, contre 46 % pour Joe Biden, selon le Pew Research Center.

Cette année, les démocrates vont-ils arriver à en faire basculer quelques-unes de leur côté ? Pas impossible si l’on en croit Amanda, une trentenaire à l’allure sportive qui soutient la vice-présidente. Sa belle-mère, une républicaine bon teint, a décidé pour la première fois de voter pour l’autre camp en novembre. “Elle a eu des difficultés à avoir des enfants et trouve que les conservateurs vont trop loin”, explique cette brunette attablée à la terrasse d’un café de Newtown.

Mais à la foire de Middletown Grange, entre les enchères de bovins et le concours de la plus belle botte de foin, on ne croise guère de transfuges. “Les républicains devraient arrêter de vouloir interdire l’avortement”, admet Gretchen, une sémillante septuagénaire en train de regarder une course de porcelets. Ce qui ne va cependant pas l’empêcher de voter à nouveau pour l’ex-président. “Je ne l’aime pas, c’est un bouffon exaspérant, mais avec Biden les prix ont explosé et des millions de migrants débarquent à cause des frontières ouvertes”, dit-elle. Et ne lui parlez pas de Kamala Harris : c’est une “marxiste”. “Si elle gagne, on va tous en enfer”, s’enflamme-t-elle alors que le cochon au dossard violet passe la ligne d’arrivée sous les acclamations de la foule.

Halie, une infirmière de 22 ans plantée devant une compétition de tracteurs, n’entend pas non plus renier son parti. “Je suis contre l’avortement”, déclare cette petite blonde à queue-de-cheval. Quant aux propos sexistes de l’ancien président, ça ne la gêne pas. “Il est parfois grossier, reconnaît-elle, mais je suis plus inquiète par la menace terroriste que font peser tous ces migrants que par ses insultes. Je me moque de ce qu’il raconte, tant qu’il protège le pays. Quand il était au pouvoir, il n’y avait pas de guerres et l’économie se portait mieux.” A ses côtés, Sandy sa grand-mère va, elle, voter démocrate. “Kamala n’est pas parfaite, mais Trump est un connard”, confie-t-elle en baissant la voix pour éviter d’être entendue par sa petite-fille.

Publicités télé apocalyptiques

Les républicains, inquiets à l’idée de perdre des votes, jouent sur les peurs habituelles : l’insécurité et l’immigration illégale, qui mobilisent les femmes des banlieues résidentielles. Depuis des mois, ils matraquent les population, en Pennsylvanie et ailleurs, à coups de publicités télé apocalyptiques. En raison de l’afflux de sans-papiers, “les hôpitaux sont partout débordés, et les patients américains en paient le prix”, affirme face à la caméra Julie Willoughby, une infirmière, dans l’un de ces spots. Le candidat républicain a récemment publié sur son réseau social la photo d’une foule de migrants avec la légende : “Si vous êtes une femme, vous pouvez voter Trump ou attendre qu’un de ces monstres vous attaque, vous ou votre fille.” Le milliardaire dénonce aussi l’inflation et met en garde contre “la camarade Kamala” qui va instaurer le communisme en Amérique. Encore plus sidérant, il a partagé des photos trafiquées de Taylor Swift avec le texte : “Taylor veut que vous votiez pour Donald Trump”. “J’accepte,” a répondu ce dernier, comme si la chanteuse lui avait accordé son soutien. Ce qui est évidemment faux, mais tout est bon pour attirer des électrices…

Si les démocrates mettent le paquet sur le vote féminin, c’est parce qu’ils ont du mal à rallier les hommes, surtout jeunes, qui dérivent de plus en plus vers les républicains. L’ancien président, chantre du culte de la masculinité, les séduit par un message simple. Il leur promet de restaurer leur place dans la société, menacée selon eux depuis des années par les féministes, les transgenres, les gauchistes… A la Convention républicaine, mi-juillet, la testostérone était à l’honneur. Les militants ont eu droit à un défilé de mâles alpha sur fond sonore d’It’s a Man’s Man’s Man’s World, la chanson de James Brown. Le catcheur Hulk Hogan a qualifié l’ex-président de “gladiateur” avant d’arracher sa chemise pour révéler un tee-shirt Trump. Dana White, le responsable d’une organisation de MMA (arts martiaux mixtes), l’a décrit comme l’homme “le plus dur, le plus résistant que j’aie jamais rencontré”.

Pour courtiser ces jeunes, le républicain a donné sur X une interview à Elon Musk, le propriétaire de l’ex-Twitter, leur idole. Il a aussi fait plusieurs apparitions sur des podcasts d’extrême droite populaires chez les moins de 30 ans, comme celui d’Adin Ross, dont l’une des spécialités semble être de renifler les chaises après le départ de leurs occupants ! Il n’a pas senti celle de Donald Trump, mais les deux hommes ont devisé de leurs champions favoris en sports de combat. Cette stratégie se révèle payante auprès des hommes. “Le problème, c’est que le parti promeut un idéal hypermasculin qui aliène les électrices”, écrit Richard Reeves, fondateur de l’American Institute for Boys and Men.

Ce qu’exploitent à fond les démocrates. Lorsque Charli XCX, la chanteuse de pop britannique, a écrit, en référence à son album, “Kamala is brat,” (traduisez une fêtarde, indépendante un brin rebelle…), l’équipe de cette dernière a aussitôt changé le fonds de son compte X en vert chartreuse, la couleur de l’album. Kamala Harris utilise également des mèmes (ces images souvent parodiques) pour transmettre ses messages sur les réseaux sociaux. On la voit danser, donner sa recette de dinde pour Thanksgiving, et ses fans ont repris à leur compte les montages vidéo moqueurs conçus par les républicains de son rire tonitruant pour célébrer son humeur joyeuse et son «authenticité».

“La première mais pas la dernière”

La vice-présidente fait bien attention toutefois à ne pas brandir la bannière féministe. “Je pense qu’elle fait le bon choix. Elle n’a pas besoin de clamer qu’elle défend les droits des femmes, cela va de soi. Hillary Clinton a trop poussé le côté féministe et cela a contribué grandement à sa défaite”, remarque Elizabeth Velez, professeure d’études sur le genre à l’université de Georgetown. La candidate préfère s’inspirer de Barack Obama, qui a soigneusement évité de mettre en avant sa couleur de peau pour ne pas effaroucher les modérés. Sa boutique en ligne vend tout de même un tee-shirt avec la photo d’une Kamala enfant et le slogan : “La première mais pas la dernière”.

En attendant, elle peut se targuer d’un énorme atout : la mobilisation des Afro-Américaines, un des piliers du parti. “L’enthousiasme de ces électrices surpasse de loin ce que le pays a vécu durant les campagnes d’Obama”, observe Doug Sosnik, un consultant politique, ex-conseiller de Bill Clinton. Fin juillet, quelques heures à peine après l’annonce du retrait de Joe Biden de la course, un groupe baptisé “Gagner avec les femmes noires” a organisé une collecte de fonds par Zoom qui a rassemblé pas moins de 44 000 participants et levé 1,5 million de dollars en quatre heures ! Parmi les intervenantes se trouvaient plusieurs représentantes de sororités noires, ces organisations fondées au début du XXe siècle sur les campus universitaires pour permettre aux étudiantes afro-américaines de s’entraider.

Kamala Harris a rejoint lors de ses études Alpha Kappa Alpha, l’une des plus importantes. Le Conseil national panhellénique, qui regroupe sororités et fraternités noires et leurs quelque 2 millions de membres, a annoncé une campagne “sans précédent” de mobilisation par le biais de son énorme réseau pour encourager les inscriptions sur les listes électorales et le vote. Dans la foulée, toute une série de groupes identitaires aux noms parfois fantaisistes – “Femmes à chat”, “Femmes branchées”, “Femmes juives” et même “Amoureux des trains pour Harris-Walz” – ont lancé des collectes de fonds par Zoom. Celle des “Femmes blanches” a réuni 200 000 personnes et ramassé 11 millions de dollars.

En réaction, Donald Trump a redoublé d’insultes vulgaires et sexistes, au grand dam de ses équipes. Comme il l’avait fait – avec succès – contre Hillary Clinton en 2016, il traite son adversaire de “sale bonne femme”, “pas très futée”, se moque de son “rire de folle” et de son prénom qu’il prononce “Kamabla”. Il est “bien plus beau qu’elle”, a-t-il assuré dans un meeting en Pennsylvanie. Il est même allé jusqu’à attaquer les racines de la vice-présidente, d’origine indo-jamaïcaine. Elle “est devenue noire” seulement récemment par calcul politique, a-t-il clamé devant des journalistes afro-américains.

Quant à J. D. Vance, son colistier, il a des vues particulièrement rétrogrades sur le rôle du beau sexe, qu’il semble cantonner à la procréation. Il est radicalement antiavortement, y compris en cas de viol ou d’inceste, et en 2021 il a déclaré que les élites américaines étaient dominées par “des femmes à chat sans enfants qui sont malheureuses”. Un peu risqué politiquement. Donald Trump “ne va pas gagner en s’interrogeant sur la race de Kamala Harris ou en se demandant si elle est idiote”, a résumé Nikki Haley, son ex-ambassadrice à l’ONU et rivale aux primaires.

“Depuis le départ de Joe Biden, le fossé entre les électorats masculin et féminin s’est creusé. Les électrices migrent de plus en plus côté démocrate, selon les sondages. On note aussi une nette hausse de l’enthousiasme, dont on augure en général un taux de participation plus fort”, commente le Pr Borick. Dans un sondage mené dans trois Etats clés, dont la Pennsylvanie, 56 % des électrices penchent pour Kamala Harris, contre 40 % des hommes. Ces derniers soutiennent en revanche Trump à 55 %, contre 39 % pour l’autre sexe. Rien n’est joué cependant. Les deux candidats restent au coude-à-coude dans les Etats importants. “Ces disparités entre vote féminin et vote masculin vont sans doute s’accentuer et pourraient déterminer le résultat du scrutin”, poursuit Doug Sosnik. Car les femmes sont plus nombreuses que les hommes – 7,4 millions de plus en 2022 – à être inscrites sur les listes électorales. Elles se déplacent également davantage aux urnes (68,4% en 2020, contre 65% pour les hommes. Pas très bon signe pour les républicains.




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