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Avec Yasmina Reza, l’homme est un déni et une folie, par Abnousse Shalmani


Le voilà dans sa cage de verre, l’homme qui tue les vieilles femmes heureuses, à coups d’atropine distillée dans leur eau. “Olivier Cappelaere est seul. Dans la forêt épineuse et amère où il s’enfonce, personne ne peut le suivre.” Il nie avoir voulu assassiner Suzanne pour récupérer plus rapidement l’appartement acheté en viager. Deux ans plus tard, Oliver est parvenu à assassiner Jacqueline dont il est le légataire universel. Il s’était glissé dans la peau du “filleul de cœur”.

C’est en lisant Nice-Matin qu’une des nièces de Jacqueline a un doute concernant Olivier, qui sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Olivier qui ne parviendra jamais à se défaire de son rôle de victime et d’incompris. Il tient à la barre un personnage qui ne convainc personne, à peine lui-même, mais qui lui donne de quoi ruminer ses échecs en les balançant sur le dos bien confortable du destin, des malentendus, des autres.

Un texte hypnotisant

C’est une affaire parmi tant d’autres auxquelles assiste Yasmina Reza et dont elle nous offre les Récits de certains faits (à paraître le 4 septembre chez Flammarion). Texte hypnotisant qui alterne procès et scènes de la vie intime, texte qui colle à l’âme, qui travaille en souterrain, pour soudain ressurgir à la conscience avec une force paralysante. Le temps, la mort, le déni, l’amour étouffé, et la justice avec sa froideur de Code pénal, son besoin compulsif de mettre du sens sur l’impossible et les silences, de déterminer les motivations profondes et secrètes, sont au cœur de ce texte vers lequel on revient sans cesse pour chercher, avide, à y déceler une vérité, sa propre vérité certainement, pour se rassurer, en vain, fouillant entre les destins et les choix des autres, de quoi être moins effrayé par nos propres démons – morts ou vivants.

Jack Sion, 66 ans à l’époque, est cet homme qui a créé un personnage séduisant de 37 ans, un prince de midinettes pour les séduire sur les sites de rencontres et activer la machine à fantasmes. C’était suffisant pour lui et pour elles. Mais 24 d’entre elles insistent pour le rencontrer et il leur propose une rencontre à l’aveugle, chez lui. Obscurité, bandeau sur les yeux, rapports sexuels, et adieu. Pas de déception possible, on reste à hauteur de rêve. Mais deux d’entre elles vont retirer le bandeau et découvrir l’arnaque. Elles portent plainte pour viol. Au tribunal, c’est bouleversant car “elles pleurent non la souillure, ni l’humiliation, elles pleurent l’absence de miracle.” Tout comme Brigitte, adoratrice de Tariq Ramadan, qui porte plainte pour viol et violence, mais qui a tout de même envoyé des messages d’amour au prédicateur islamiste après : “Brigitte a porté plainte non à cause des faits, mais à cause des mots manquants, à cause du vide de remords, d’explication, de tendresse. Quel tribunal s’occupe de ces choses ?”

Et quel tribunal s’occupe des morts ? Des morts que nous ne savons qu’enterrer avec maladresse, effroi, haine et plus rarement de la grâce ? Des veuves qui ne survivent pas ? Des rues qui ne verront plus cette promenade rituelle ? Des livres qui n’auront plus de dédicaces ? Des hommages solitaires ? Comme celui d’une puissance déchirante rendu par Marc Weitzmann à son père. Hommage où “il dit papa, maman, sans recul, dit un monde où on aimait les enfants, des mots qu’il n’oserait plus produire dans la vie réelle, je veux dire imprononçables dans le théâtre sans pitié du Marc Weitzmann adulte”. Hommage qui s’achève dans le silence “déconcerté de l’assistance” quand Marc “met la kippa sur sa tête, et tout seul, il prononce en araméen, le Kaddish. […] A la fin, il dit Amen. Aucune voix ne répond.”

Après un dîner démoralisant d’hiver, Nicole descend à pied l’escalier et soudain elle chante ! Et Yasmina Reza, forcément surprise par ce décalage entre la terne soirée et le chant, comme ça, sans raison, l’interpelle. Et Nicole de répondre : “Non, non, c’est une erreur ! J’étais justement en train de me dire, mais pourquoi tu chantes ?” Peut-être est-ce dans cette courte séquence que se niche la clé de ce livre que je ne parviens pas à quitter. On chante par erreur, malgré le temps qui passe inexorablement, malgré les choses qui ne vont pas, malgré la mort, malgré le manque d’amour dont on crève. On chante quand même. Tant mieux si c’est une erreur.




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