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Dengue : du bon usage de la guerre bactériologique contre les moustiques, par le Pr Alain Fischer


La dengue est une maladie virale – une arbovirose – provoquée par un virus à ARN (flavivirus) transmis par les piqûres de moustique : moustiques tigre et Aegypti. Le nombre de cas dans le monde ne cesse d’augmenter. On l’estime à 400 millions par an parmi 4 milliards de personnes exposées essentiellement dans les régions tropicales. Il existe des formes graves, avec une fièvre hémorragique nécessitant une hospitalisation. Elles touchent environ 5 millions de patients chaque année, conduisant parfois au décès (20 000 par an). Les cas ont tendance à gagner les pays de l’hémisphère nord, en lien avec la migration des moustiques vecteurs du fait du réchauffement climatique. Quelques cas de contamination autochtone ont déjà été rapportés en France.

Il n’existe pas de traitement de la dengue. La prévention en est difficile. Elle repose sur la protection individuelle contre les piqûres de moustique ou les mesures collectives (assèchement des points d’eau, insecticides mais dont l’usage est restreint par les risques de résistance et la toxicité). Le relâchement de moustiques mâles rendus stériles pourrait réduire les populations de moustiques mais l’efficacité de cette mesure reste à évaluer alors qu’elle fait par ailleurs l’objet de contestation. Il existe des vaccins, mais leur emploi nécessite un dépistage vaccinal qui en complique l’utilisation à large échelle.

Réduire la transmission virale

C’est ici qu’arrive la guerre bactériologique. En temps normal, le virus ingéré par le moustique passe de son intestin à ses glandes salivaires puis est inoculé par la piqûre (qui procure le bol de sang alimentaire au moustique). Mais au sein des cellules de nombreux insectes, séjourne en très bonne entente une classe de bactéries dénommées Wolbachia. On parle d’endosymbiose. On s’est aperçu que la présence de cette bactérie diminuait l’espérance de vie du moustique et surtout réduisait la transmission virale. Cette observation a donné l’idée de relarguer dans la nature des moustiques femelles (les seules qui piquent) infectées par cette bactérie. Les expériences ont été concluantes. Alors que l’on retrouve encore des moustiques porteurs de la bactérie une année plus tard, cette approche a induit dans les zones testées une réduction de 40 % des cas de dengue. Résultat probant car les personnes peuvent aussi se contaminer en se déplaçant hors des zones traitées !

Après ces expériences réalisées en Malaisie voici plus de quinze ans, l’application s’est faite dans une douzaine de pays : Australie, Brésil, Indonésie, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie, traitée à petite échelle. En Indonésie, ces relargages ont conduit à une réduction de plus de 70 % des cas de dengue et des hospitalisations. A noter que cette approche peut aussi bénéficier à la prévention des infections par les virus Zika ou Chikungunya, également transmis par ces moustiques. On ne peut que souhaiter la diffusion à très large échelle de cette stratégie astucieuse !

Mais voici que récemment une autre découverte est venue élargir cette stratégie. Une équipe chinoise a identifié une nouvelle bactérie, “Rosenbergiella”, présente parmi d’autres dans l’intestin de certains moustiques tigre. Cette bactérie réduit aussi le risque de transmettre le virus de la dengue. Elle agit en induisant une acidité de l’intestin de l’insecte défavorable au virus. De façon intéressante, cette équipe a montré que, dans des régions du Hunan (en Chine), où le moustique tigre portait cette bactérie dans son microbiote intestinal, les cas de dengue étaient moins fréquents. Corrélation ne vaut pas causalité, mais des tests dans la nature ont par ailleurs montré que l’infection de moustiques par cette bactérie les rendait résistant à la réplication du virus de la dengue.

Ces résultats prometteurs incitent à la réalisation d’essais de relargage de moustiques tigres porteurs de cette bactérie. Cela s’avère d’autant plus intéressant que celle-ci peut aussi infecter efficacement le moustique Aegypti, l’autre pourvoyeur d’arboviroses. Il y a là une voie de recherche qui devrait enrichir les possibilités d’utiliser des bactéries commensales des insectes vecteurs de maladies virales ou parasitaires pour limiter les infections. Une belle perspective d’intervention écologique, propre et élégante !

Alain Fischer est président de l’Académie des sciences et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques




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