De la fin de la guerre d’Indochine à l’affaire du Watergate, jusqu’à la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy, redécouvrez à travers nos archives les temps forts des étés de chaque décennie entre avancées diplomatiques, crises politiques et progrès scientifiques. Cette semaine, l’été 2004.
EPISODE 1 – Eté 54 : l’espoir Mendès France, la fin de la guerre d’Indochine, un coup d’Etat au Guatemala
EPISODE 2 – Eté 64 : la fin de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, la naissance de l’ORTF, les premières photos de la Lune
EPISODE 3 – Eté 74 : le choc de la démission de Nixon, l’abaissement de la majorité et la lutte du Larzac
EPISODE 4 – Eté 84 :lamanif pour l’école libre, Fabius à Matignon, les JO de Los Angeles
EPISODE 5 – Eté 94 : la précampagne pour la présidentielle, le retour d’Arafat en Palestine, le décès de Kim Il-sung
EPISODE 6 – Eté 2004 : le dilemme de Sarkozy, un référendum au Venezuela, l’exploration de Saturne
Gouvernement Valls, acte II
Les divergences idéologiques entre le Premier ministre, Manuel Valls, et le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, provoquent des tensions croissantes au sein de l’exécutif. Au cours de l’été, Arnaud Montebourg multiplie les prises de parole critiques. Le 24 août, lors de la Fête de la Rose, il assume avoir demandé à François Hollande une “inflexion majeure de notre politique économique”. La réaction de Manuel Valls ne se fait pas attendre. Il annonce, le lendemain, la démission de son gouvernement et justifie l’éviction d’Arnaud Montebourg par “un acte d’autorité” pleinement assumé.
“Ainsi va la gauche devenue folle, menacée d’explosion par l’exercice du pouvoir. Depuis quelques jours, le Premier ministre se voulait le patron, mais la gauche, décidément, n’aime pas les patrons. “Sens de l’Etat”, “responsabilités”, martèle, le 31 août devant son auditoire socialiste, Manuel Valls, héraut de “la gauche qui gouverne”, avant d’ajouter, songeant à Jaurès : “La meilleure façon de ne pas renoncer à l’idéal, c’est de ne pas renoncer au réel.” L’heure est grave. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, évoque juin 1940, parle d’une “drôle de crise” et lance un avertissement : “Tout le monde ne prend pas la mesure du drame qui vient.” Il n’écarte pas pour le socialisme de “sombres perspectives”, allant de la “dégradation”, à la “scission” puis à la “marginalisation”. Le dérapage d’Arnaud Montebourg, qui a entraîné la démission du gouvernement, a été sanctionné au nom de la “cohérence”, ce terme que Manuel Valls répète à longueur d’interventions depuis la formation de sa deuxième équipe. Sauf que ce terme, il l’employait déjà au lendemain de son arrivée à Matignon, le 2 avril dernier, au journal de 20 heures de TF1. La “clarification”, au moins ?
La marque Valls, qui se fabriquait aussi par rapport à François Hollande, perd de sa spécificité. “Il avait noué un pacte avec Montebourg pour obtenir Matignon, mais aussi pour proposer une autre politique, estime un fidèle de l’ex-ministre de l’Economie. Or, économiquement, il s’est totalement aligné sur la ligne de l’Elysée.” Après avoir changé de Premier ministre au printemps, le président confiait : “Si je voulais moins de conflits, j’aurais gardé Jean-Marc Ayrault.” Le voici servi. Au moins la séquence lui permet-elle d’échapper à ce mariage fatal du quinquennat et de la primaire.”
L’Express du 3 septembre 2014
Bercy : Exit Montebourg, place à Emmanuel Macron
“La bombe Macron” ! Pour illustrer cette rentrée politique explosive et décrire la nomination à Bercy d’Emmanuel Macron, “un bleu qui ne s’est jamais présenté aux élections”, L’Express frappe fort à la Une et s’interroge dans ses pages “De quoi Macron est-il le nom ?”
“Casting idéal, Macron à Bercy ? Casting symbolique, à coup sûr, parce que le parcours de l’ancien secrétaire général adjoint à l’Elysée (de mai 2012 à juillet 2014) se prête à la caricature. Jeune (36 ans), brillant (scolarité exemplaire couronnée par l’Inspection des finances), banquier d’affaires (quatre années chez Rothschild), libéral option gauche (une incongruité pour beaucoup), avec cette touche intello qui brouille les pistes : le jeune Macron a été l’assistant du philosophe Paul Ricœur. […]
De quoi Macron est-il le nom ? De deux décisions politiques de François Hollande et Manuel Valls. D’abord, la clarification : oui, ce gouvernement aime les entreprises, il le leur dit (discours de Manuel Valls au Medef, le 27 août) et il le prouve : “Les patrons sont assurés qu’a minima ils ne subiront plus de mesures hostiles”, affirme l’un d’entre eux. Pour que le symbole soit plus éclatant, Macron hérite d’un ministère de plein exercice. Ensuite, le rajeunissement : avec la promotion de Najat Vallaud-Belkacem à l’Education, le trentenaire incarne le nouveau visage de la social-démocratie hollandaise. L’arrivée de Louis Gallois à Bercy a bien été évoquée, mais, contacté au début d’avril pour le premier gouvernement Valls, ce patron adoré de la gauche avait dit non. En août, la carte jeune l’emporte.” […]
“Macron est le grand gagnant de la séquence, il passe de l’anonymat à de grosses responsabilités”, note un collaborateur du président. Un sondage de l’institut Odoxa (pour iTélé et Le Parisien) vient épauler le ministre : 57 % des Français approuvent ce choix, une opinion partagée par les sympathisants de droite (57 %) et de gauche (59 %). Mais, au sein du Parti socialiste, le personnage est clivant et sa nouvelle fonction expose l’ancien conseiller à une forte pression. Celle des médias, à l’affût du moindre (faux ?) pas du débutant. Celle des réseaux sociaux, qui saluent son arrivée par une explosion de comptes Twitter factices à son nom. Du coup, Emmanuel Macron crée le sien, le vrai, avec un premier message indiquant… qu’il est au travail et parlera plus tard. Celle des socialistes, enfin et surtout. A l’université d’été de La Rochelle, Macron est devenu un gros mot.”
L’Express du 3 septembre 2014
Ecosse : pour ou contre l’indépendance
A l’été 2014, la bataille fait rage en Ecosse entre indépendantistes et loyalistes et la campagne bat son plein en vue du scrutin d’autodétermination programmé le 18 septembre.”Ce scrutin mettra-t-il fin à trois siècles de rattachement à l’Angleterre ?” et “quel visage prendrait le 14e pays le plus riche du monde” s’interroge L’Express. Le 18 septembre, les Écossais votent finalement à 55 % contre l’indépendance.
“Dans une dizaine de semaines, le 18 septembre, les Ecossais, fiers d’être l’une des plus vieilles nations d’Europe, diront s’ils veulent rester au sein du Royaume-Uni ou regagner leur indépendance, perdue lors de l’Act of Union de 1707. Choisiront-ils de reconstituer, trois cent sept ans après sa disparition, le vieux royaume d’Ecosse ? Les républicains écossais ont consenti à garder la forme monarchique du régime – au moins tant que la reine Elisabeth est en vie. A l’approche du scrutin, les convictions les plus intimes sont tenues de s’effacer devant l’objectif ultime, l’indépendance. Quitte à prendre quelques distances avec la vérité des faits et des chiffres. Dans cette très longue campagne référendaire, ouverte dès la victoire éclatante du Scottish National Party (SNP) aux élections du Parlement local en 2011, les camps du oui et du non font assaut, sous couvert d’un débat civilisé et pacifique, de propagande, plus ou moins efficace – et, souvent, de désinformation.
Lors du référendum de 1997, qui avait permis l’avènement de la dévolution, l’autonomie limitée, et la renaissance du Parlement écossais, la mythologie romantique avait été largement instrumentalisée. Mais ces enjeux identitaires ne font plus débat : le Saltire, la croix de saint André, emblème national, flotte partout à côté du drapeau européen quand l’Union Jack se fait rare. Plus de 8 Ecossais sur 10 revendiquent leur identité écossaise. De là à traduire la vieille rivalité avec le Sud en termes de rupture politique… C’est moins sur un terrain idéologique que sur le champ de bataille économique que se livre le dernier combat. Et a priori, c’est aux indépendantistes, avocats de la rupture, qu’incombe le fardeau de la preuve : pourquoi donc prendre le risque de quitter le Royaume-Uni ?
Pour répondre à cette question, tous les membres du gouvernement local sont en mission, d’un bout à l’autre du pays. Ce soir, à Cumbernauld, un village assoupi du Lanarkshire, entre Glasgow et Edimbourg, dans la salle publique, décorée d’une ancienne tapisserie et d’une tête de cerf, c’est la ministre chargée de la Formation et de la Jeunesse, Angela Constance, qui déroule l’argumentaire : “Afin de mieux lutter contre le chômage, l’heure est venue de prendre le contrôle de notre Etat providence, de notre fiscalité, de notre économie. L’Ecosse indépendante serait le 14e pays le plus riche au monde ! Ne vous laissez pas abuser par ceux qui prétendent que nous n’avons pas les moyens de nous offrir notre liberté.” A entendre les questions de l’auditoire – Quel avenir pour nos retraites ? Aurons-nous plus de logements sociaux ? Comment contrôler les services publics ? –, l’élue met le doigt sur le point qui blesse.”
L’Express du 9 juillet 2014
Vol MH17 abattu au-dessus de l’Ukraine
Le 17 juillet 2014, un Boeing 777 de la Malaysia Airlines explose en plein ciel alors qu’il survole l’est de l’Ukraine contrôlé par les séparatistes prorusses. Dix ans plus tard, l’enquête internationale a pu établir qu’il existe “de fortes indications que le président russe a décidé de fournir le (missile) Buk TELAR aux séparatistes de la RPD (république populaire de Donetsk)”. Le 24 février 2022, Vladimir Poutine ordonnait l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes.
“C’est un sentiment d’accablement que l’on peut résumer ainsi : plus personne ne contrôle plus rien. La destruction du Boeing 777 de Malaysia Airlines au-dessus d’une Ukraine en furie a provoqué une internationalisation subite du conflit qui oppose Kiev à Moscou. 298 vies humaines ont été anéanties dans un tourbillon d’absurdité, laissant l’Europe en état de choc, en particulier la nation néerlandaise (qui déplore à elle seule près de 200 victimes). Le désastre est absolu et englobe toutes les parties au conflit. La Russie est convoquée au banc des accusés et se trouve sommée de s’expliquer, ce qu’elle ne fera sûrement pas. Sa stratégie subreptice, en revanche, éclate au grand jour : s’appuyer sur des éléments aussi disparates, indisciplinés et dangereux que les séparatistes de l’Est et du Sud de l’Ukraine revient à s’exposer à des dommages incontrôlables – sauf à intervenir directement pour diriger ces bandes, ce qui irait à l’opposé de la manoeuvre choisie par Poutine. Quant à abandonner en rase campagne ces groupes constitués en proportion variable d’insurgés russophiles et de soudards sans retenue, cela supposerait un véritable changement de tactique de la part du président russe.”
L’Express du 23 juillet 2014
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