C’est toujours surprenant de constater comme l’espoir aveugle, parfois. Autour d’Emmanuel Macron, plusieurs candides ou incurables optimistes ont cru qu’à Matignon s’installerait à la mi-août un Premier ministre. Les Jeux olympiques achevés, il serait temps de ne plus en perdre, justement. Impensable de laisser une seconde de plus le poste de chef du gouvernement vacant, la Ve République et les Français précipités vers les urnes en début d’été méritent mieux.
Plusieurs stratèges du président lui ont fait part de leurs conseils : commencer les consultations des chefs de groupes parlementaires et de partis dès le lendemain de la clôture des Jeux. Absolument contraire à la conviction du chef de l’Etat : “Le temps joue pour nous.” Puis, a-t-il rétorqué au sage François Bayrou proposant de convoquer tout le monde le 12 août : “Ils sont tous en vacances !” “Alors dites-le ! a répliqué le Béarnais. Dites que vous tenez à les recevoir mais qu’ils sont tous en tong.” Las ! La tentation de l’attente chez Emmanuel Macron domine. Début des consultations le 23 août, poursuite des consultations le 26 août, nomination d’un Premier ministre quand ce sera l’heure – et tant pis si tout le monde considère que l’heure c’était hier.
Le “camp de la raison”
Il y a du Montherlant chez le président. “Toujours remettre au lendemain” en espérant que “les trois quarts des choses s’arrangent d’elles-mêmes”, c’est-à-dire que le Nouveau Front populaire finisse de s’entre-déchirer, que par la même occasion, la candidature de Lucie Castets se fracasse contre les tensions suscitées en grande partie par les foucades de Mélenchon, que s’installe dans l’esprit des Français le sentiment que personne n’a gagné ces législatives… Et que, face à cette décomposition, le “camp de la raison” qu’il entend incarner soit de nouveau plébiscité.
Il a beaucoup de points communs avec Giscard, il croit que parce qu’il a une idée en tête, elle se réalisera
Mais le chaos peut-il restaurer le pouvoir de celui qui l’a provoqué ? Voilà le cœur de la problématique macronienne. Dissoudre pour recoudre, dissoudre pour s’absoudre : tout cela aurait certainement pu fonctionner si pour une fois le chef de l’Etat avait accepté de ne pas procrastiner. “Il a beaucoup de points communs avec Giscard, observe l’un de ses amis politiques. Il croit que parce qu’il a une idée en tête, elle se réalisera.” Mais enserré par son fantasme de la solution parfaite – celle qui ne lui ferait pas perdre une miette de pouvoir -, du “coup” qui ne peut surgir selon lui que du temps long, il ne voit pas que chaque jour qui passe érode sa crédibilité et sa liberté. Tandis qu’Emmanuel Macron apparaît hésitant, “perdu”, selon un ministre, Gabriel Attal, maintenu de force à Matignon, s’affiche conquérant, à peine élu à la présidence du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée et déjà candidat presque déclaré à la tête du parti.
Des semaines de suspense
Attendre c’est aussi affaiblir dès sa nomination le Premier ministre. De l’impossibilité de paraître à la hauteur après des semaines de suspense. Comment se révéler aussi surprenant que la surprise annoncée ? Oui, attendre c’est laisser dans l’opinion l’effet “tout ça pour ça” ensevelir toute décision, même bonne.
Après tout, le président a-t-il envie d’un Premier ministre ? Durant le premier quinquennat, il a même songé “sérieusement” à supprimer la fonction, jurent plusieurs de ses proches. “Emmanuel Macron, comme Nicolas Sarkozy, comme d’autres, nie la réalité de la Ve République : c’est un président et un Premier ministre, gronde un de ses soutiens qui se souvient d’avoir eu avec l’intéressé une franche dispute à ce sujet. Le Premier ministre a un rôle, il n’est pas un exécutant, il n’est pas le mec qui copie ce que dicte Alexis Kohler [NDLR : secrétaire général de l’Elysée], c’est un Premier ministre de plein exercice.”
Une conception bicéphale du pouvoir qui a régulièrement paru urticante à Emmanuel Macron, soucieux de remplacer à Matignon celui ou celle qui, soudain, entendait avoir des idées ou pire : prendre en main un dossier. A peine songeait-il à participer aux négociations pour sortir de la crise agricole que Gabriel Attal fraîchement nommé essuyait les critiques du chef de l’Etat. Exemple parmi d’autres. “C’est là-dessus que le septennat qui vient de s’écouler a échoué : l’incapacité à établir l’équilibre nécessaire entre gouvernement et présidence de la République et ça aurait été facile car personne en vérité ne songe à prendre la place du président, le temps de Balladur est fini”, théorise un compagnon de route d’Emmanuel Macron. Le temps des regrets, lui, n’a pas commencé. Emmanuel Macron fera comme il a toujours fait : il attendra autant qu’il lui plaira.
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