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Rima Hassan et le Hamas : l’art de l’ambiguïté, par Omar Youssef Souleimane*

Des milliers de personnes se rassemblent à Amman (Jordanie), après la prière du vendredi 16 août, sous le drapeau du Hamas. Depuis l’assassinat le 31 juillet d’Ismaïl Haniyeh, chef de l’organisation islamiste, les manifestants expriment leur colère. Les revendications de la manifestation sont limpides pour ceux qui connaissent la région, pas seulement du fait du slogan le plus répété, “Labbaika Ya Aqsa” (“Nous arrivons, ô Aqsa”), très courant chez les sunnites et les chiites, et qui signifie la libération de la mosquée al-Aqsa de toute présence juive.

Mais aussi à travers les photos d’Haniyeh, abondamment brandies et accompagnées d’un verset coranique calligraphié en arabe : “Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Allah.” Ce verset est le plus populaire chez les djihadistes du Moyen-Orient pour rendre hommage aux “martyrs” tombés dans le combat contre les infidèles. On le retrouvait aux côtés des photos d’Ahmed Yassine, fondateur du Hamas, et de son bref successeur Abdel Aziz al-Rantissi, tous deux assassinés en 2004 par Israël. Désormais, le verset est omniprésent dans le sud du Liban, avec d’immenses portraits des nombreux morts de la milice du Hezbollah.

Une capture du compte Instagram de Taha Bouhafs montrant un portrait d’Ismaïl Haniyeh brandi lors de la manifestation à Amman.

Rima Hassan était présente lors de cette manifestation aux côtés du militant français Taha Bouhafs. On y a entendu scander les “Allez, allez le Hamas, vous êtes le canon et nous sommes les balles”. La députée européenne insoumise, “réfugiée palestinienne” comme elle aime à se décrire, explique s’être rendue en Jordanie pour son projet artistique, “Nakba Survivor”. Le lendemain de la manifestation, Rima Hassan a accordé une interview à Entrevue. Le magazine est désormais dirigé par Omar Harfouch, millionnaire libanais connu pour ses ambitions politiques. Après avoir longtemps condamné le Hezbollah, ce dernier semble avoir changé de discours après une visite en 2022 dans le sud du Liban, fief de l’organisation chiite, déclarant : “J’ai parlé à leurs jeunes, je n’ai vu personne portant des armes. J’ai même vu une église, ce qui était surprenant.”

Entrevue a pris le parti de la députée européenne, décrivant l’article paru dans Le Point qui avait révélé sa participation à la manifestation comme une “accusation à tort”. “Les manifestations du vendredi à Amman sont un lieu de rassemblement pour de nombreux Jordaniens et ne sont pas exclusivement politiques. Il est inévitable que des individus avec différentes perspectives y participent, y compris des pancartes variées, certaines peut-être pro-Hamas, mais la majorité soutenant la cause palestinienne de manière plus générale”, s’est défendue Rima Hassan. Un message qu’elle a répété le lendemain sur son compte Instagram, suivi par 350 000 personnes : “A Amman, tous les vendredis, se tient une manifestation en soutien à Gaza, parce que c’est le jour du repos. Ce n’est pas la première manifestation du vendredi à laquelle je participe… Utiliser quelques photos de certains manifestants affichant leur soutien au Hamas est profondément malhonnête, je ne suis pas responsable de qui participe à la manifestation.”

Appels à la violence omniprésents

Depuis le 7 octobre, on peut certes observer une diversité de slogans et de partis politiques qui participent aux manifestations en Jordanie. Mais le slogan “Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”, véritable appel à détruire Israël, adopté par le Hamas comme par Rima Hassan elle-même, y fait l’unanimité. Suite au conflit entre Israël et le Hamas, de l’intensification des tensions et de la domination islamique dans la société jordanienne (entre 50 et 70 % de la population est d’origine palestinienne), les voix laïques ou pacifistes ont été invisibilisées. Dans les manifestations, les appels à la violence et au djihad sont nombreux : “Avec l’âme et le sang, nous nous sacrifions pour toi, ô Aqsa”, “C’est un djihad : la victoire ou la mort”, “Notre première demande est de brûler l’ambassade [NDLR : israélienne] et de faire dégager l’ambassadeur”… Les discours d’Abou Obaïda sont diffusés en direct. Le porte-parole masqué des brigades Izz al-Din al-Qassam, branche militaire du Hamas, y annonce le nombre de soldats israéliens tués. A la suite de chacune de ses prises de parole, on entend le cri “Allah Akbar”. Le meneur des manifestations répète : “Ils disent que le Hamas est terroriste ; nous sommes tous le Hamas”.

Rima Hassan a vécu les dix premières années de sa vie dans la Syrie des années 1990. Un pays où la propagande anti-israélienne et les appels à la libération de la Palestine “jusqu’au dernier pouce”, comme le disait l’ancien président Hafez el-Assad, rythmaient le quotidien des habitants. Elle devrait donc reconnaître la ligne idéologique qui domine aujourd’hui dans les manifestations à Amman.

Une chanteuse très engagée

Le jour même, toujours sur Instagram, Hassan a diffusé une vidéo de la manifestation accompagnée par la chanson Résistance de la chanteuse libanaise Julia Boutros : “Le Sud s’est levé pour résister. L’histoire de la paternité ne dort pas. Il écrit sur notre terre, la terre des épopées.” Dans cette chanson, le “Sud” fait référence au Liban, et la “résistance” est celle du Hezbollah, groupe dont la branche armée est considérée comme terroriste par l’Union européenne depuis 2013. Julia Boutros avait déjà chanté des paroles du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au moment de la guerre de 2006 contre Israël. En s’adressant à ses soldats, Nasrallah avait déclaré : “J’embrasse vos mains tenant la gâchette avec laquelle Allah tire sur les assassins de ses prophètes, de ses serviteurs et sur les corrupteurs de la terre.” Des années plus tard, en 2018, Boutros s’est rendue à Damas, où elle a rencontré Bachar el-Assad et lui a exprimé son soutien. A l’époque, le Hezbollah participait à de nombreuses opérations militaires visant des zones civiles en Syrie, afin de défendre Assad contre la révolution syrienne. Lors de ces attaques, de nombreux civils ont été tués ou blessés, et des milliers d’autres contraints de fuir.

En mai, Rima Hassan s’était rendue à Tunis pour un forum, Maghreb-Machrek. On y retrouvait également Sami Abu Zuhri, porte-parole du Hamas, et Youssef Hamdan, représentant du Hamas en Algérie, tout comme Jamil Mazhar, vice-secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), reconnu comme une organisation terroriste par l’Union européenne et les Etats-Unis.

Masqués par un keffieh

Dans Entrevue, Rima Hassan a affirmé que son séjour en Jordanie était motivé par un projet artistique visant à documenter les réfugiés palestiniens, et que “sa participation aux manifestations s’inscrivait dans le cadre de son engagement général pour les droits palestiniens”. Ce projet, “Nakba Survivor”, présente des photos de personnes masquées par un keffieh dans différents camps palestiniens. La majorité d’entre elles sont des enfants. Sur l’une des photos publiées sur son compte Instagram, on peut voir un autre verset coranique prisé par les djihadistes : “Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier d’Allah soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus.”

Une capture du compte Instagram de Rima Hassan.
Une capture du compte Instagram de Rima Hassan.

Il peut sembler surprenant de voir une élue qui représente la France au Parlement européen mêler de la sorte projets culturels et références islamistes. Mais pour ceux qui suivent le parcours de Rima Hassan, qui a toujours refusé de condamner le Hamas comme un mouvement terroriste, il n’y a là rien d’étonnant : la militante est passée maître dans l’art de l’ambiguïté.

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien,Une chambre en exil, et récemment Etre Français.




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