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L’incroyable histoire de Zakia Khudadadi, para-athlète qui a fui l’Afghanistan


Dans le quotidien de Zakia Khudadadi, il n’existe pas vraiment de place pour les jours de repos. En ce dimanche 4 août 2024, la para-taekwondoïste profite d’une rare pause dans son entraînement sportif pour troquer son kimono contre une chemise et un blazer. Trois semaines avant le début des Jeux paralympiques, cette athlète de 24 ans a rendez-vous sous les voûtes du Petit Palais, dans le 8e arrondissement de Paris, pour mener un tout autre type de combat : la médiatisation de son histoire, intimement liée à celle de millions de femmes afghanes. Le Crédit coopératif, banque du groupe BCPE qui la soutient financièrement via la Fondation Pacte de Performance, l’a invitée à s’exprimer devant plusieurs dizaines de clients et de partenaires, réunis pour les Jeux olympiques dans le hall principal du bâtiment – situé à quelques mètres seulement du Grand Palais où Zakia Khudadadi mènera son premier combat, le 29 août prochain.

Confiante, désormais habituée aux caméras et aux prises de paroles en public, la jeune femme s’avance sur l’estrade et saisit l’occasion de raconter une nouvelle fois la série d’événements qui l’ont amenée à se réfugier en France. “En Afghanistan, naître fille, c’est déjà une honte. En plus, je suis née avec un handicap”, résumait-elle dans une vidéo retraçant son parcours, diffusée quelques minutes plus tôt. Née femme, avec un bras atrophié et appartenant à la minorité chiite hazara, Zakia Khudadadi a dû triplement se battre pour pratiquer son sport, trouver des clubs et des entraîneurs, et participer à des compétitions internationales. “Après la prise de pouvoir des talibans, j’ai dû tout recommencer de zéro. Et ça a été très dur”, complète-t-elle devant l’assistance, dans un Français quasi parfait.

Rien ne prédestinait pourtant Zakia Khudadadi à maîtriser cette langue. Il y a encore trois ans, l’athlète n’aurait d’ailleurs jamais cru s’entraîner un jour à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) de Vincennes, côtoyer l’équipe de France de para-taekwondo ou même s’installer dans l’Hexagone. Originaire de la ville de Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan, cette passionnée de sport se destinait plutôt à une carrière dans son pays d’origine, où elle s’entraînait avec l’équipe nationale de para-taekwondo.

Malgré les difficultés liées à son genre et à l’acceptation de son handicap, sa carrière semblait alors toute tracée. En 2016, elle remportait même les championnats africains de para-taekwondo, devenant ainsi la première Afghane en situation de handicap à obtenir une médaille internationale dans une discipline sportive. Une performance qui lui permet de se qualifier pour les Jeux paralympiques de Tokyo, en 2021. “Un de mes rêves était en train de devenir réalité… Mais c’était sans compter sur les talibans, qui ont pris le pouvoir le 15 août 2021. N’oubliez jamais cette date, parce qu’elle marque la fin de la liberté pour toutes les filles et les femmes afghanes”, retrace-t-elle, émue, auprès de L’Express.

“C’était le chaos”

Le régime taliban, qui impose une vision rigoriste de l’islam sunnite dans le pays, interdit notamment aux femmes d’accéder à l’éducation, d’exercer la plupart des emplois, de se déplacer sans chaperon masculin, de se rendre dans de nombreux lieux publics comme les parcs, les jardins ou les gymnases, ou encore de pratiquer une activité sportive. Pour Zakia Khudadadi comme pour des centaines d’autres athlètes, la sentence tombe rapidement, en cet été 2021. “Mon coach m’a appelée, et m’a dit : ‘Tout est fini, les Talibans ont pris Kaboul’. J’étais choquée, en larmes. Mais je me suis tout de suite dit que je ne me laisserai pas faire”, se souvient-elle.

Depuis la capitale, où elle s’entraînait d’arrache-pied pour les Jeux de Tokyo, la jeune femme se réfugie chez des proches, puis lance un appel à l’aide en vidéo, qu’elle envoie à l’agence de presse Reuters. “Je suis une femme, membre du Comité national paralympique afghan pour le para-taekwondo. Je suis actuellement emprisonnée à l’intérieur de cet appartement, sans possibilité de sortir, de m’entraîner, de savoir comment vont mes proches ou de vérifier que je ne suis pas exclue de la compétition. […] Je vous demande de m’aider. S’il vous plaît, tendez-moi la main, et aidez-moi”, demande-t-elle, face caméra. Publié sur les réseaux sociaux, son témoignage devient viral. “Très vite, j’ai eu des réponses de plusieurs pays, dont la France, qui a été la première à accepter de m’accueillir. Mais avant tout, il fallait réussir à me faire sortir d’Afghanistan”, raconte l’athlète.

Sur la route de l’aéroport de Kaboul, où des milliers de civils se rejoignent pour tenter d’échapper au régime taliban, Zakia Khudadadi se souvient de la peur qui l’étreint : “C’était le chaos. Il y avait des checkpoints partout, des patrouilles qui circulaient et vérifiaient les identités de tout le monde. Il ne fallait surtout pas qu’ils comprennent que j’essayais de partir. J’ai risqué ma vie, clairement”. Terrifiée à l’idée de se faire répérer, l’athlète abandonne toutes ses affaires, et ne garde sur elle que son passeport. Le 17 août, elle décolle finalement depuis l’aéroport de Kaboul pour Abou Dhabi, puis Paris, et enfin, Tokyo.

Moins de quinze jours après cette fuite, elle participe, dans le brouillard, à ses premiers Jeux paralympiques. “C’était une période très étrange, j’avais extrêmement peur pour ma famille et mes amis restés en Afghanistan. Ma vie entière venait d’être bouleversée”, commente-t-elle.

Alors que les autres athlètes se sont enfermés dans “leur bulle” de concentration depuis des jours, bénéficiant des meilleurs entraînements, soins physiques et préparations mentales, Zakia Khudadi vient de vivre un traumatisme indescriptible. Qu’importe : le 2 septembre 2021, elle se présente fièrement à son premier combat chez les moins de 49 kilos, entrant sur le tatami au son de la chanson Thunderstruck, d’AC/DC. Le symbole est immense. Face à l’Ouzbèke Ziyodakhon Isakova, elle s’incline finalement 17-12, puis perd son combat de repêchage face à l’Ukrainienne Vika Marchuk. “Ce n’était pas le plus important. Mon seul objectif, c’était de participer à ces Jeux en tant qu’Afghane. J’ai pensé à toutes les femmes et les filles à qui l’on avait interdit de s’entraîner, à qui l’on demandait soudainement de n’être plus que des épouses et des mères. Tout ce que j’ai fait, c’est pour elles”, souffle la jeune femme.

“Elle ne se décourage jamais”

Après sa performance, plusieurs pays lui proposent l’asile, dont le Royaume-Uni, la Thaïlande ou l’Australie. Mais Zakia Khudadadi choisit la France, où elle réussit également à faire exfiltrer certains membres de sa famille. Logée à l’Insep, elle s’entraîne chaque jour, depuis quatre ans, pour participer aux Jeux de Paris.

“Physiquement, Zakia est une athlète très explosive : elle a une rapidité impressionnante dans ses mouvements, connaît toutes les techniques, maîtrise les deux gardes. Et mentalement, on sent qu’elle a une capacité à se dépasser même quand elle a mal”, souligne Haby Niaré, son entraîneuse à l’Insep. L’ancienne championne du monde de taekwondo, médaillée d’argent aux Jeux de Rio, reconnaît à son élève une “force mentale impressionnante”.

“Elle continue toujours, persévère. On a souvent ce scénario en combat, où elle est dans le dur, perd de huit ou 10 points, puis arrive à renverser la tendance d’un coup. Elle essaiera jusqu’au bout”, explique-t-elle. C’est justement lors d’un combat comme celui-ci que Zakia Khudadadi a remporté le tournoi qualificatif pour les Jeux paralympiques 2024, où elle concourra sous la bannière des athlètes réfugiés, faute d’avoir pu obtenir les autorisations administratives lui permettant de représenter l’équipe de France. “Ce n’est pas toujours facile : on a eu quelques désillusions cette année, où Zakia n’a pas pu participer à certains stages ou compétitions pour des problèmes administratifs, ou par manque d’accords entre son pays d’origine et le pays où on allait s’entraîner”, explique Haby Niaré. “Mais elle ne se décourage jamais, trouve de nouvelles solutions, se rattrape à d’autres entraînements. Comme si tout ça lui donnait encore plus de force”.

Zakia Khudadadi ne semble pas être de celles qui se laissent facilement impressionner. Pour protéger ses proches, elle préfère évidemment ne pas commenter la politique menée par les talibans. Mais ses performances sportives sont le plus bel affront qu’elle puisse faire au régime : alors que ce dernier interdit purement et simplement aux femmes afghanes de pratiquer le sport, la jeune femme a gagné six médailles internationales en deux ans, dont le titre de championne d’Europe en 2023. “Le 29 août à 10 heures, ce sera mon premier combat pour les Jeux de Paris. Je compte bien revenir avec une belle médaille. Et je sais pourquoi je me bats”, glisse-t-elle avant de repartir pour une nouvelle séance photo.




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