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Pavel Durov arrêté en France : “Dès sa naissance, Telegram a été prisée des groupes terroristes”


“Je lis ici de fausses informations concernant la France.” Face à l’intense polémique provoquée par l’arrestation de Pavel Durov, le président Emmanuel Macron a pris la parole sur X. “L’arrestation du président de Telegram sur le territoire français a eu lieu dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Ce n’est en rien une décision politique. Il revient aux juges de statuer.” Pavel Durov est suspecté de complicité de plusieurs actes – fraude, trafic de drogue, vente de contenus pédopornographiques, transactions criminelles, etc. Egalement dans le viseur de la justice, le manque de coopération de Telegram lorsque les autorités lui demandent des données relatives aux utilisateurs commettant ce type de crimes et de délits sur sa plateforme.

Une honte, estiment les partisans de Pavel Durov, parmi lesquels Elon Musk et Edward Snowden. Se sont aussi émues de cette arrestation les autorités russes – qui n’ont décidément pas peur du ridicule vu la répression féroce qu’elles mènent sur leur sol. Une affaire qui met en lumière l’influence très politique que Telegram a acquise ces dernières années. Entretien avec Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut Français des Relations Internationales (Ifri), spécialiste de l’Internet russe et de la diplomatie du numérique.

L’Express : Que la France ait arrêté le patron de Telegram Pavel Durov est-il surprenant ?

Julien Nocetti : Ça l’est sans l’être. Dans le contexte politique français actuel, en l’absence de gouvernement, il est un peu curieux en effet d’arrêter une personne d’une telle importante dans cette industrie sensible. Telegram compte plus de 900 millions d’usagers et est impliqué dans plusieurs crises et conflits internationaux. La messagerie est cependant dans le viseur de régulateurs et d’autorités de plusieurs pays : la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni… Dès sa naissance, elle a été prisée des groupes terroristes, notamment djihadistes, pour lever des fonds et diffuser de la propagande.

Telegram se distingue nettement d’un WhatsApp, même si ce dernier abrite aussi des usages illicites. L’outil créé par Pavel Durov est bien plus qu’une messagerie instantanée chiffrée, c’est aussi un réseau social et une place de marché. Sur cette plateforme, les groupes peuvent accueillir un nombre de personnes bien plus élevé que WhatsApp ou Signal, ce qui permet des opérations d’influence massives. Cela fait plus de dix ans que les autorités françaises l’étudient de près, leur approche est informée.

L’application était vue comme un bastion de résistance au Kremlin. Les autorités russes n’ont pourtant pas l’air de se réjouir de l’arrestation de Pavel Durov. Sont-elles inquiètes ?

La position de la Russie sur Telegram est ambiguë. Pavel Durov a toujours indiqué avoir résisté aux pressions des services russes voulant déchiffrer les contenus de la messagerie. Nous n’en avons toutefois pas la certitude absolue. Depuis la guerre en Ukraine, le bras de fer entre le Kremlin et Telegram sur les clefs de chiffrement a de toute façon cessé. Au début de l’invasion, alors que le discours des autorités à la TV et dans les médias classiques était laconique, l’application a été un canal d’information majeur, un écrin de liberté pour la population russe. Mais Telegram est aujourd’hui très utilisé par les principaux responsables russes et leurs conseillers. C’est également devenu un outil de communication majeur de l’armée russe. Il y a des quantités de boucles de messages créées par des blogueurs nationalistes virulents.

Tout cela alimente un écosystème informationnel qui soutient globalement la vision du pouvoir. Le Kremlin se sert aussi, de manière très assumée, de la plateforme pour diffuser son récit en Afrique subsaharienne francophone. Là encore, une galaxie de boucles créées par les sphères Wagner vise à déstabiliser les intérêts français en Afrique. L’arrestation de Pavel Durov ne réjouit donc pas le Kremlin. Les médias officiels russes ont d’ailleurs diffusé beaucoup de récits anxiogènes à ce propos. Le Kremlin suggère que Telegram va devenir “l’application de l’Otan”, que ses opérations militaires en Ukraine seront “compromises”. L’axe est toujours le même : celui de la forteresse assiégée. Edward Snowden a repris ce narratif russe, accusant la France et les Occidentaux plus largement de pratiquer la censure d’Etat.

Dans quels pays Telegram est-il le plus populaire ? Les Ukrainiens l’utilisent-ils toujours beaucoup ?

Si la messagerie n’est que modérément utilisée dans l’UE, elle est extrêmement populaire dans l’espace post-soviétique et en Inde. Telegram intéresse également le monde arabe et l’Afrique. En Ukraine, une partie de la population utilise toujours la messagerie mais les forces armées qui l’utilisaient au début de la guerre ont, elles, basculé leurs communications sur Signal.

Quels problèmes soulève Telegram ? Sont-ils différents de ceux qui se posent sur d’autres messageries ?

Contenus terroristes, pédocriminels, vente de stupéfiants… Nombre d’activités sur Telegram peuvent légitimement attirer l’attention des autorités. Et le manque de coopération de la plateforme sur ces sujets est sans doute visé. Ce qui est surprenant c’est que depuis quelques années, Paris et Bruxelles jouaient la partition du gentil et du méchant flic. Le premier déroulait le tapis rouge aux patrons internationaux de la tech, quand le second campait droit dans ses bottes de régulateur sévère. Là c’est l’inverse. Paris prend une mesure très forte, une arrestation physique.

Cela n’a pas manqué d’être exploité par l’alt-right américaine, à commencer par Elon Musk qui, sans réelle surprise, hystérise le débat. Notons au passage qu’Elon Musk, si vocal sur les supposés manquements de la France, l’est beaucoup moins sur les répressions numériques en Chine, où il a des intérêts commerciaux majeurs.




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