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Un Premier ministre nommé… et aussitôt destitué ? La motion de censure, nouvel objet non identifié


C’était une arme à blanc. On la brandissait par effet de manche, pour manifester sa colère. Un discours dans l’hémicycle, un vote perdu d’avance et puis s’en va. Ainsi vivaient les motions de censure sous la Ve République. De simples outils de communication de l’opposition face à un exécutif tout puissant. Du folklore parlementaire, frappé d’une exception : le renversement du gouvernement Pompidou en 1962 pour protester contre l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Tout a changé le 7 juillet. Le fusil est désormais chargé. Dans une Assemblée éclatée façon puzzle, chaque gouvernement est condamné à vivre sous la menace d’une coalition des oppositions. Le prochain exécutif est déjà en sursis.

Emmanuel Macron a écarté lundi 26 août la nomination à Matignon de la candidate du Nouveau Front populaire (NFP) Lucie Castets au nom de la “stabilité institutionnelle”. Un tel gouvernement “serait immédiatement censuré par l’ensemble des autres groupes représentés à l’Assemblée nationale”, juge l’Elysée, qui s’arroge la responsabilité de constituer une majorité parlementaire.

Le NFP et la menace d’une censure immédiate

Les macronistes, la droite et le Rassemblement national promettaient en effet de faire tomber un gouvernement du NFP comprenant des ministres issus de La France insoumise. Le coup de poker de Jean-Luc Mélenchon, qui avait ouvert la voie à un soutien sans participation de LFI à l’exécutif, n’a pas suffi. L’existence même d’un gouvernement de gauche était de trop pour une large partie de l’hémicycle. En réponse à cette annonce, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée Mathilde Panot menace déjà la censure de “tout autre Premier ministre” que Lucie Castets.

Ce veto présidentiel nourrit un procès en autoritarisme du chef de l’Etat et de ses troupes. Pourquoi priver du pouvoir le NFP ? Pourquoi avoir promis de faire tomber un exécutif en gestation ? Voilà Emmanuel Macron dépeint en “autocrate”, incapable d’entendre le verdict des urnes. La gauche a ici la mémoire courte. LFI avait sommé en juin 2022 Elisabeth Borne de se soumettre à un vote de confiance de l’Assemblée nationale. Majorité relative oblige, la Première ministre s’y était refusée. Elle avait alors récolté alors sa première motion de censure, malgré ses 245 députés.

“Il y a une forme d’immaturité générale”

A chacun sa légitimité propre. Le “vainqueur relatif” des urnes convoquait son soutien populaire pour agir. Les “oppositions” vantent leur droit à former une majorité de circonstances pour écarter un exécutif qui leur déplaît. L’arithmétique, science à l’étonnante souplesse. “Il y a une forme d’immaturité générale. J’ai l’impression d’être au milieu d’ados, se désole un député NFP. Nos institutions ont été pensées pour des situations de majorité absolue, tout est organisé autour du chef de l’État. Quand il est démonétisé et qu’il n’y a pas de majorité absolue, tout le monde est perdu.”

La configuration à l’Assemblée interroge l’essence même de la motion de censure. La Constitution régit son processus d’adoption, mais ne s’aventure guère sur le terrain politique. Le droit, rien que le droit. Est-elle un acte d’opposition ordinaire ou doit-elle être empreinte de gravité ? Peut-elle être déclenchée contre un gouvernement à peine nommé ou faut-il le laisser agir avant de frapper ? Aux députés le soin d’utiliser à leur guise cet outil. Tous partent de zéro, tant la motion a changé de relief. Le rituel innocent n’est plus.

Place aux travaux pratiques. Survient ici l’éternelle opposition entre légalité et légitimité. Ce qui est conforme au droit peut être inopportun. Comme renverser un exécutif sur un coup de tête. “Une censure vient sanctionner une action. On ne devrait pas censurer un gouvernement pour ce qu’on suppute qu’il va être”, note Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice et professeur de droit public. “Il y a une part de solennité dans la motion de censure, ajoute Aurore Bergé, ministre déléguée démissionnaire chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et députée des Yvelines. En faisant tomber un gouvernement, on participe d’une forme d’instabilité institutionnelle tant on sait qu’il sera aujourd’hui difficile d’en former un nouveau. Le prétexte doit être fort et vu comme légitime par nos électeurs. Je ne veux pas tomber dans les excès de LFI pour qui la censure était devenue une activité banale.”

“Ultime recours avant d’en revenir au peuple”

Cette “solennité”, approche consensuelle, est éminemment subjective. Ainsi, le bloc central n’a pas hésité à dépeindre LFI en ennemi de la République pour justifier une censure d’un hypothétique exécutif NFP comprenant des ministres insoumis. L’ex-majorité y percevait un combat de valeurs, quand la gauche étrille un cache-sexe au refus d’une politique de gauche. “La motion de censure fut pensée comme un ultime recours avant d’en revenir au peuple, met en garde le député du groupe communiste (GDR) du Val-d’Oise Emmanuel Maurel. Dans les autres démocraties européennes, cela intervient à l’issue d’une crise politique longue, après que toutes les autres voies aient été recherchées et aient échoué.” “Solenniser” ces divergences avec l’adversaire, c’est légitimer l’emploi immédiat de l’arme nucléaire.

Les parlementaires tâtonnent avec cet outil à la vigueur inédite. Gare à ne pas le banaliser. Gare, aussi, à ne pas entraver le Parlement en l’activant trop souvent. Là réside l’ambiguïté de la motion de censure sous majorité relative. A la fois moyen de pression du pouvoir législatif sur l’exécutif, et instrument d’affaiblissement du Parlement. Censurer un gouvernement, n’est-ce pas aussi renoncer à bâtir des compromis avec les autres groupes politiques ? Brandir la menace de la censure à tout instant n’empêche-t-il pas de parlementariser le régime en laissant les députés chercher des points d’entente ? “L’utilisation pavlovienne de la motion de censure montre qu’on n’a pas envie de jouer le jeu du parlementarisme. Avec ce genre de spectacle, je ne suis pas sûr que les Français aient envie que l’Assemblée soit le centre du pouvoir”, estime Jean-Jacques Urvoas.

“Il faudra passer par l’agression”

Les usages ont la vie dure. Pour écarter la menace de la censure, chaque camp doit rompre avec une culture majoritaire propre à nos institutions. Les contradictions rejaillissent. LFI prône une VIe République parlementariste, mais a revendiqué une posture maximaliste au lendemain des législatives. “Le programme, rien que le programme”, répétaient en chœur les cadres insoumis, malgré leur maigre majorité relative. Le NFP n’a jamais engagé de discussions avec d’autres groupes pour asseoir son assise, au prix de quelques concessions programmatiques. Cette intransigeance idéologique, survivance du fait majoritaire, les exposait à une censure immédiate. “Dès lors que LFI n’offrait qu’une possibilité marginale d’aménagement de son programme, il était logique qu’il y ait une censure ab initio, juge un constitutionnaliste. Mais si un gouvernement technique est nommé et promet de chercher des accords sur des mesures, il serait moins logique politiquement qu’il soit renversé immédiatement.”

Déjà, on phosphore. Le député socialiste Philippe Brun appelle le prochain Premier ministre à “négocier un accord de non-censure” avec les autres groupes politiques, fait “d’engagements réciproques”. Sa proposition, émise dans une tribune publiée par Le Monde, a attiré l’attention de plusieurs cadres du bloc central. Mais l’Assemblée est-elle assez mure pour une telle diplomatie ? “Pour en arriver à un pacte de non-agression, il faudra passer par l’agression”, juge le constitutionnaliste Didier Maus. Censurer un ou plusieurs exécutifs, avant de retrouver la raison. Le parlementarisme n’est pas un art inné. Surtout pour des élus biberonnés à la verticalité de la Ve République.




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