“Mieux vaut tard que jamais !”. En sortant de sa consultation médicale, au cœur de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), Pierre-Yves cite l’adage en riant. Cette formule populaire s’applique parfaitement à son cas : à 65 ans, ce patient admet avoir attendu “six décennies” avant de se mettre au hockey sur glace – sport qu’il n’observait jusqu’alors que depuis les gradins, pour soutenir son fils hockeyeur. “Il a fallu que je devienne handicapé pour m’y mettre, et découvrir que le para-hockey est un sport exceptionnel !”, lâche-t-il en récupérant ses béquilles. Dans les locaux de l’Institut de santé parasport connecté (ISPC) installés au coeur du centre hospitalier francilien, l’homme a été accompagné, conseillé et équipé par une série de médecins, infirmiers, ergothérapeutes, enseignants en activité physique ou ingénieurs, afin de trouver et de pratiquer le sport le plus adapté à son handicap. Il n’est pas le seul : l’année dernière, plus de 1 200 consultations du même type ont eu lieu entre les murs de cet institut, inauguré en novembre 2021 et unique en son genre.
“Notre but, c’est de rendre l’activité physique médicalement et techniquement possible pour toutes les personnes en situation de handicap, avec un accompagnement sur-mesure de chaque patient”, résume le Pr François Genêt, président de l’Institut et chef du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital. Le spécialiste a pour habitude de voir les choses en grand : son pôle spécialisé à Garches n’est que le “mini-laboratoire” d’un projet bien plus massif, qui ouvrira ses portes en 2026, aux Mureaux, dans les Yvelines. L’ISPC “nouvelle génération” y sera installé dans plus de 8 500 mètres carrés de locaux flambant neufs, qui permettront de réaliser pas moins de 16 000 consultations spécialisées dans le handisport chaque année.
Dans ce centre unique en France, conçu pour accueillir toutes les personnes en situation de handicap intéressées par l’activité physique, des sportifs confirmés aux débutants, en passant par les athlètes paralympiques, rien ne sera laissé au hasard. L’intégralité des locaux sera évidemment adaptée aux personnes à mobilité réduite (PMR), et tous les terrains de sport seront équipés de technologies innovantes – à commencer par le gymnase construit sur un sol en verre, doté de diodes permettant d’éclairer en fonction des besoins et des disciplines les limites du terrain, particulièrement adapté aux personnes souffrant de troubles cognitifs ou visuels. Dans le but de former 250 professionnels du sport ou de la santé, un amphithéâtre sera également construit au coeur de l’Institut, tandis que les meilleurs dispositifs médicaux et technologiques permettront de centraliser les données sur les bonnes pratiques du parasport et les innovations en la matière, et de faire avancer la recherche sur le sujet.
“Ils ne m’ont plus jamais lâchée”
“C’est un immense projet, pour lequel il a fallu sonner à de nombreuses portes. Ça n’a pas toujours été facile, mais je n’ai rien lâché”, souligne François Genêt, qui a réussi à lever 55 millions d’euros auprès d’acteurs publics et privés pour financer son institut des Mureaux, et “multiplier par douze” le travail déjà entamé à Garches. Le professeur sait qu’il revient de loin. Il y a encore quelques années, la pratique sportive n’était pas une priorité dans la prise en charge des patients en situation de handicap. “À Garches, on s’occupait de presque tout : l’autonomie des patients en situation de handicap, les aménagements de leurs domiciles, leur permis de conduire, la reprise de leur activité professionnelle, et même leurs problèmes de sommeil ! Mais pas vraiment du sport, alors même que c’est l’une des stratégies primaires de prévention contre l’obésité, le diabète, les pathologies chroniques ou les problèmes cardiaques”, se souvient-il.
En 2019, François Genêt décide alors de présenter à son doyen universitaire un projet de service spécialisé sur l’accès au handisport, hébergé par l’hôpital de Garches. Ce dernier accepte, et pousse même le professeur à aller plus loin : le projet d’un institut spécialisé naît, qui sera rapidement présenté à la Délégation interministérielle des Jeux olympiques et paralympiques, alors présidée par Jean Castex. “Il a fallu obtenir des autorisations, des financements, médiatiser notre projet, mais on l’a fait”, se réjouit le professeur, alors que la première pierre de l’ISPC a été posée le 23 juillet dernier aux Mureaux, lors du passage de la flamme olympique dans les Yvelines. Dans l’intervalle, de nombreux patients ont déjà bénéficié des soins pluridisciplinaires de son équipe, à l’image de Claire Ghiringhelli, athlète suisse de para-aviron.
À l’âge de 39 ans, cette ingénieure en matériaux aéronautiques, très sportive et mère de trois enfants, apprend qu’elle doit être opérée d’une tumeur thoracique au niveau de la moelle épinière. L’opération, qui lui sauve la vie, a également pour conséquence de la rendre paraplégique incomplète. “Je suis restée dix mois à l’hôpital, avec beaucoup de rééducation. Mais le retour à la maison et à la vie quotidienne a été assez difficile, il fallait tout recommencer de zéro”, témoigne-t-elle auprès de L’Express. Après près d’un an de traitement, la mère de famille fait une “overdose de médecins”, et décide de stopper ses consultations et ses prises de médicament. En 2020, elle est reçue à Garches, et le corps médical décide de l’hospitaliser une semaine en urgence. C’est à cette occasion qu’elle est mise en contact avec le Pr Genêt et son équipe. “Je suis rentrée dans une salle, et une trentaine de spécialistes m’attendaient. Ils ont tout repris depuis le début, sur l’accompagnement, la médication, le sport. Et ils ne m’ont plus jamais lâchée”, raconte Claire Ghiringhelli.
“On a pris le temps de m’écouter”
Alors que la trentenaire s’est découvert une nouvelle passion pour l’aviron, le Pr Genêt l’accompagne dans son projet, la met en contact avec différents spécialistes, dont un orthoprothésiste qui la verra débarquer dans ses locaux avec son bateau de six mètres de long. “On a travaillé sur tous les aspects de ma vie : ma santé psychologique, les données que l’on pouvait récupérer en mesurant mon activité sportive, le travail qui pouvait être fait avec des ingénieurs en biomécanique, des ergothérapeutes, des prothésistes…”, raconte l’athlète. Alors que les premiers médecins généralistes qu’elle avait consultés refusaient de lui signer un simple certificat médical lui permettant de pratiquer une activité sportive, le contraste avec l’ISCP est saisissant. “Là, j’ai trouvé un endroit où on a pris le temps de m’écouter, de m’aiguiller, de me responsabiliser sur le sport, la nutrition, de manière très professionnelle. C’était inespéré, et ça m’a fait beaucoup de bien”, souffle-t-elle.
Comme elle, de nombreux autres para-athlètes ou anonymes sont passés entre les murs de l’ISPC : Gaëlle Edon, vice-présidente de l’Institut, y a par exemple été accompagnée dans sa pratique sportive du tir. Sacrée vice-championne du monde en Pistolet 10 m P2 au Pérou, en 2023, elle participera à ses premiers Jeux paralympiques avec l’équipe de France en cet été 2024. “J’ai aussi été marqué par ce petit garçon qui a eu la jambe amputée et qu’on a réussi à intéresser à différents sports, ou par ce patient qui a commencé le para-tennis alors qu’il n’avait jamais touché une raquette. Il a même incité le club de son quartier à s’adapter aux PMR, et 10 paraplégiques jouent désormais dans ce club”, raconte le Pr Genêt.
A mesure que les innovations technologiques et l’intelligence artificielle se développent, le spécialiste se dit d’ailleurs confiant sur la possibilité de proposer des activités sportives toujours plus adaptées aux personnes en situation de handicap. “Aujourd’hui, nous sommes capables de faire marcher des patients dans une salle 3D, où ils testent virtuellement leurs capacités sur la neige, dans la forêt, avec des retours de données très précis sur leur expérience, leur ressenti physique, les améliorations possibles en termes technologiques… Il y a dix ans, c’était inimaginable d’arriver à une telle précision”, souligne-t-il. Autant d’avancées que le professeur a hâte de mettre en lumière, à la faveur de ces Jeux paralympiques et de l’inauguration de son institut, avec une certitude en tête : “Lorsqu’on réussit à faire bouger les lignes pour un individu, on sait qu’on ouvre un nouvel horizon pour des centaines de patients après lui. Les lignes bougent enfin, et il faut saisir cette opportunité”.
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