Si nous étions dans un roman d’espionnage, on parlerait d’une manœuvre de déstabilisation, d’une manipulation à grande échelle… Toujours est-il que le NFP a réussi à largement convaincre de ce qu’il est seul légitime à gouverner, voire à imposer au président le nom de son Premier ministre. Une croyance est née. Ce n’est pas si banal. La France est volontiers contaminée par les fake news, mais on ne la voit pas si souvent en proie à l’hallucination collective sous l’effet d’un dogme entièrement bidonné. L’expérience de ces dernières semaines montre pourtant qu’une théorie constitutionnelle aberrante peut passer pour vraie si l’on sait masser l’opinion avec assez de constance et de mauvaise foi pour que le produit pénètre en profondeur dans le tissu social.
Nous parlons donc : 1) d’une formation hétéroclite ultraminoritaire (193 députés sur 577) qui exige de se voir traitée comme dépositaire d’une majorité absolue ; 2) d’un score électoral étranger à toute adhésion massive au programme de ladite formation puisque fortement lié à la volonté de dresser à tout prix un “barrage” contre le RN ; 3) de la lâcheté et du calcul électoral d’instances – essentiellement socialistes – qui ont accepté de vendre ce qui leur restait d’âme et de convictions propres en signant un programme LFI pur jus et, comme tel, incompatible avec ce tout qui les avait historiquement libérés de la double hypothèque communiste et gauchiste, à l’instant même où cette dernière a pris le terrifiant virage islamiste et bordélisateur que l’on sait ; 4) d’une carabistouille consistant à refuser le moindre amendement audit programme tout en se déclarant ouvert au compromis (sur la composition du petit-déjeuner ?) ; 5) d’un “Lucie Castets ou la mort” qu’aucun chef de l’Etat n’aurait jamais pu accepter – Mitterrand, le premier, avait lui-même fracassé l’idée d’une contrainte de cet ordre sur le choix présidentiel – ; 6) d’une menace de destitution si le président ne nomme pas la Lucie Castets en question… J’en passe et des meilleures.
Tout cela défie l’entendement, mais une fraction non négligeable des Français achète ces vérités alternatives. Elle les tient même pour certaines et nécessaires alors que – et ce n’est pas le moindre des paradoxes – aucun argument véritable ne les soutient une fois écarté le fameux “on est arrivés les premiers” qui ne vaut absolument rien dans un pays fracturé en trois tiers de taille comparable. Tout, dans ce fatras, repose sur la saturation médiatique d’une litanie d’affirmations péremptoires, de répétitions sans fin et de slogans préfabriqués. Personne n’est capable d’expliquer sérieusement en quoi il y aurait “déni de démocratie” à ne pas prendre ces inepties au sérieux. Mais peu importe. Elles percolent comme l’eau dans un filtre à café. Moyennant quoi on “mobilise” là-dessus, on projette de mettre des gens dans la rue, d’attiser la violence, de rendre encore plus difficile la recherche d’une solution nationale d’intérêt commun… Plus c’est gros, mieux ça passe.
Le poids de notre asservissement volontaire
Cette tactique – puisque c’en est une – irriguait le discours de Mélenchon dès 20 h 01 le soir du second tour des législatives. Il suffisait de faire comme si ces fadaises coulaient de source pour lancer le mouvement. Les alliés du NFP y avaient intérêt. La caisse était prête à résonner loin. Mauvaise foi il y avait, stratégie il y avait, “bonne guerre” il y avait. Ça pouvait prendre. Ça n’a pas mal pris.
La croyance en l’incroyable est toujours mystérieuse. Nous ne savons pas très bien pourquoi certains (beaucoup ?) sont dupes, parmi les simples électeurs comme parmi les promoteurs de cette entourloupe, autopersuadés qu’ils sont de leur bon droit et furieusement en colère de se le voir refuser. L’histoire enseigne que l’opinion se manipule et qu’une bonne part de l’art politique consiste à la fabriquer, mais elle nous apprend aussi le poids de notre asservissement volontaire. L’essentiel se joue pourtant dans notre capacité à faire en sorte que notre libre arbitre soit autre chose qu’une aimable fiction. Si l’intoxication du moment pouvait nous créer quelque immunité, elle serait un peu moins tragique.
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