* . * . * .

En France, le silence coupable des féministes sur le sort des femmes afghanes, par Abnousse Shalmani


Te souviens-tu, cher lecteur, d’août 2021 ? Lorsque les talibans sont revenus au pouvoir ? Te souviens-tu du “taliban modéré” qui était sur toutes les lèvres ? De la complaisance politique et médiatique qui voulait croire, contre toute logique, qu’il était possible que les talibans acceptent de laisser vivre les femmes afghanes ? Te souviens-tu de ma colère, qui n’avait pas attendu les mesures criminelles prises contre les femmes pour s’exprimer ? Un taliban modéré ! Une blague pour l’Occident qui paresse, bercé par le désir buté et enfantin de ne pas s’engager plus avant dans la critique du totalitarisme islamiste, par peur, par faiblesse, par illusion de paix.

En trois ans, les femmes afghanes ont été dépouillées, au fur et à mesure, de toutes les libertés, des libertés primitives, des libertés de base : la ségrégation stricte entre les sexes est de mise, ce qui veut dire que les femmes sont interdites d’études à partir de 12 ans, qu’elles sont dans l’impossibilité d’acheter un billet d’avion, donc de fuir, encore moins de voyager sans tuteur masculin, d’ailleurs elles ne peuvent plus sortir de chez elles sans un tuteur (jusqu’au 21 août, elles pouvaient encore s’aventurer à 78 kilomètres de chez elles sans tuteur). Voilà. Et je rappelle pour le principe le port obligatoire de la burqa (mais ça c’est presque mignon en comparaison du reste). Elles sont exclues des emplois publics, et depuis peu de tous les emplois. Et puis elles n’ont plus le droit d’accéder aux gymnases, car ” leurs entraîneurs étaient des hommes et que certaines des salles étaient mixtes”.

Elles n’ont plus le droit non plus aux hammams (qui n’ont jamais été mixtes en Afghanistan), prétendument parce qu'”actuellement chaque maison a une salle de bains, donc cette interdiction ne pose aucun problème aux femmes”. Que ce soit faux, c’est-à-dire que beaucoup de maisons n’aient pas de salle de bains, qu’importe, les femmes n’ont plus le droit de se laver. Les femmes n’ont plus le droit de fréquenter les parcs publics et les jardins non plus, elles pourraient avoir des idées en marchant au grand air, et les talibans n’aiment pas ça du tout, les idées. Le ministère de la Prévention du vice et de la Promotion de la vertu, qui est semble-t-il le seul ministère à fonctionner correctement, veille au grain. Qu’est-ce qu’une société qui pense que la priorité est davantage de tuer à petit feu les femmes que de sortir un pays de la misère ? Un pays où le salaire moyen est de moins de 2 dollars par jour, et où sont vendues quotidiennement à des hommes beaucoup beaucoup plus âgés, pour en moyenne 3 000 dollars, des petites filles pas encore pubères – ce qui permet à sa famille de vivre au minimum un an, mais ce n’est pas grave pour les talibans, car ce qui compte est que chaque fille, chaque femme ait un tuteur qui autorise la transaction.

Les femmes n’existent plus en Afghanistan

Les talibans viennent de prendre une nouvelle mesure contre les femmes, contre leurs voix. Qu’elles soient physiquement effacées de l’espace public n’était pas assez, il faut aussi les interdire de parole. Elles ne pouvaient plus chanter, personne n’a plus le droit de chanter en Afghanistan, maintenant elles ne peuvent plus parler en public. Le son d’une voix de femme dans l’espace public est interdit. La voix des femmes est criminalisée en Afghanistan, les femmes n’existent plus en Afghanistan.

Pourtant, nul en France ne semble s’émouvoir du sort abject fait aux femmes afghanes, comme tous en France semblent avoir déjà oublié la beauté et le courage des Iraniennes qui se sont dressées, main dans la main avec les Iraniens, contre la “mollahrchie”. Comme si ces femmes-là, ces femmes d’ailleurs n’étaient pas des femmes comme les autres, ne méritaient même pas de l’indignation – ce réflexe passif si facile par ailleurs. Comme si s’était durablement installé le relativisme culturel qui refuse de s’émouvoir, de protester, de condamner et encore moins de s’engager pour défendre des femmes nées ailleurs, sous d’autres cieux, victimes de cultures féodales qui les brisent. C’est une illustration parmi tant d’autres de la crise de l’universalisme, de l’empathie qui agonise, de l’humanisme qui se meurt. Si, en tant qu’Occidentale, on ne peut défendre que des femmes occidentales, qui se débrouillent très bien par ailleurs, le féminisme aussi se meurt sous nos yeux dans l’emmurement des Afghanes.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste




Source