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Philip Gordon, le discret diplomate au service de Kamala Harris


Sur papier glacé, Philip Gordon a des faux airs de l’acteur Steve Carell, star du petit et du grand écran aux Etats-Unis. Mais le faux jumeau du clown américain (né, comme lui, en août 1962) préfère l’ombre à la lumière. Peut-être plus pour très longtemps… Le discret “Phil” Gordon, actuel conseiller à la sécurité nationale de la vice-présidente Kamala Harris, pourrait devenir l’un des premiers personnages de l’Etat si la candidate démocrate remporte la course à la Maison-Blanche en novembre.

Le sexagénaire, marié à une Britannique d’origine nigériane et père de trois enfants, est pressenti pour remplacer Jake Sullivan comme conseiller à la sécurité nationale en cas de victoire. “En règle générale, ce poste stratégique est occupé par une personne de toute confiance, capable à la fois de comprendre le monde, les rouages de la bureaucratie américaine et la façon dont le président pense et agit. Pour être franc, personne d’autre que Phil ne coche toutes ces cases”, estime l’un de ses anciens collègues, Ivo Daalder, président du Chicago Council on Global Affairs.

Aux côtés de Kamala Harris, Gordon est l’un des “happy few” assis tous les matins à la table de Joe Biden pour le traditionnel President’s Daily Brief (un document présenté quotidiennement au président, compilant des informations classifiées en lien avec la sécurité nationale), où siègent également les secrétaires d’Etat et de la Défense et le conseiller à la sécurité nationale du président. “Il est l’interlocuteur numéro 1 de Kamala Harris sur la politique étrangère, poursuit Ivo Daalder. C’est lui qui la briefe avant ses réunions, ses appels téléphoniques, ses tête-à-tête avec le président. Il est là depuis le premier jour, d’abord en tant qu’adjoint, puis en tant que conseiller à la sécurité nationale depuis un an et demi.”

Francophile convaincu

Dès 2019, Philip Gordon parie sur Kamala Harris, candidate pour la première fois aux primaires démocrates. Un choix de cœur, comme en 2007 lorsqu’il préfère à Hillary Clinton, soutenue par l’establishment démocrate, le futur premier président noir des Etats-Unis : Barack Obama. De 2009 à 2013, le diplomate est nommé secrétaire d’Etat-adjoint aux Affaires européennes, son premier domaine d’expertise. “Il parle très bien français, italien, allemand et un peu espagnol, c’est un grand spécialiste de l’Europe”, confirme Justin Vaïsse, directeur général du Forum de Paris sur la paix, qui a travaillé avec lui dans les années 2000… et joué quelques balles sur les terrains de football de Georgetown, à Washington. “Il y avait aussi Antony Blinken [NDLR : l’actuel secrétaire d’Etat] et Rob Malley [NDLR : le principal négociateur de l’accord nucléaire iranien de 2015], raconte-t-il. Comme moi, ils n’étaient pas très doués, donc nous jouions à l’arrière, tandis que Phil était un buteur. C’est lui qui organisait ces matchs du dimanche, il avait vraiment cet esprit de capitaine d’équipe.”

Supporter de l’Angleterre pendant la Coupe du monde de football, fan inconditionnel de tennis, Philip Gordon est un habitué des tribunes de Roland Garros. “Il se débrouille toujours pour avoir quelque chose à faire en France pendant la deuxième semaine de compétition !”, sourit un ami. Du reste, Philip Gordon a un petit faible pour la France. Il y a séjourné lors d’un semestre d’échange universitaire, puis rédigera sa thèse sur la politique étrangère du général de Gaulle : Une certaine idée de la France, publiée en 1993. L’un de ses mentors est le philosophe Pierre Hassner, spécialiste des relations internationales. “Phil était d’un optimisme à tous crins sur les atouts de la France, bien plus que moi qui suis française ! Il avait coutume de dire : ‘La France, ce n’est pas le passé, c’est l’avenir’” s’amuse Sophie Meunier, chercheuse à l’université de Princeton, qui a coécrit avec lui La France face à la mondialisation (2002, Ed. Odile Jacob). En 2007, il traduit le livre-programme de Nicolas Sarkozy, Témoignage, publié avant son élection à la présidence.

Quatre ans plus tard, Gordon aura affaire au chef de l’Etat français dans un tout autre contexte. 2011 : Nicolas Sarkozy pousse pour une opération aérienne contre les troupes de Mouammar Kadhafi, qui avancent vers le fief de la révolte libyenne, Benghazi. Washington donne son feu vert pour mener un raid (sous résolution du Conseil de sécurité de l’ONU), mais ne veut pas mener cette coalition sur le long terme et plaide pour passer la main à l’Otan. Philip Gordon est alors en charge des Affaires européennes à la Maison-Blanche. Son ami Ivo Daalder est l’ambassadeur des Etats-Unis pour l’Organisation transatlantique. “Nous avons passé énormément de temps avec Phil pour obtenir l’accord des Français, des Turcs et des Britanniques, se souvient-il. Les Turcs étaient contre car ils s’opposaient à cette opération ; les Français étaient contre car ils voulaient garder le contrôle ; quant au Royaume-Uni de David Cameron, il s’alignait sur la position de Nicolas Sarkozy. Phil a joué un rôle très important dans cet effort diplomatique qui a abouti au coup de téléphone de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton avec Alain Juppé, William Hague et Ahmet Davutoğlu (ses homologues français, britannique et turc) pour entériner cet accord.”

Critique de la politique d’Israël

“Philip Gordon est un diplomate né, très mesuré, je ne l’ai jamais vu perdre son sang-froid, témoigne Richard Haas, diplomate vétéran des administrations républicaines, qui le connaît depuis des décennies. C’est un pragmatique, c’est-à-dire qu’il a tendance à soutenir des objectifs de politique étrangère qui sont à la fois souhaitables et réalisables.” Son expérience de coordinateur de la Maison-Blanche pour le Moyen-Orient (son second domaine d’expertise) de 2013 à 2015, en pleine guerre syrienne, a certainement été formatrice. Dans un livre publié en 2020, Losing the Long Game : The False Promise of Regime Change in the Middle East, il analyse les errements de la politique américaine dans cette région, les espoirs et les échecs des interventions visant à déboulonner les régimes en place. “Il a fait preuve d’un certain courage intellectuel en écrivant ce livre car, à gauche comme à droite, l’idée du changement de régime a longtemps été populaire”, reconnaît Richard Haass, lui-même conseiller sur le Moyen-Orient dans l’administration de George Bush père.

Cette analyse pourrait influer la politique d’une future administration Harris dans le conflit israélo-palestinien. “Sur ce terrain, si l’on s’en tient à ce que Phil a écrit dans ce livre, on peut s’attendre à une inflexion, reprend Ivo Daalder. Phil est très clair sur le fait que l’utilisation de la force pour changer les régimes ne fonctionne pas. Or, c’est précisément ce qu’essaie de faire Israël à Gaza.”

D’ores et déjà, la candidate démocrate se montre plus ferme que Joe Biden à l’égard de l’Etat hébreu. Fin juillet, lors d’une rencontre avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, elle ne mâche pas ses mots. “Ce qui s’est passé à Gaza au cours des neuf derniers mois est dévastateur […] Nous ne pouvons pas détourner le regard face à ces tragédies, nous ne pouvons pas nous permettre de rester insensibles. Et je ne resterai pas silencieuse” promet-elle, tout en rappelant “l’engagement indéfectible” des Etats-Unis en faveur d’Israël et son “droit à se défendre”.

Son conseiller à la sécurité nationale Philip Gordon est par ailleurs connu pour ses positions critiques sur la politique d’Israël. “Il est illusoire d’imaginer qu’Israël puisse continuer à prospérer, étendre ses liens régionaux, éviter de nouvelles violences et rester une démocratie juive stable et tolérante si les tendances actuelles en Cisjordanie et à Gaza se poursuivent, mettant fin à toute perspective de solution à deux Etats”, écrit-il en 2016 dans une note pour le Council on Foreign Relations.

Autre grand dossier international sur lequel le duo Harris-Gordon pourrait changer d’approche : la Chine. “Je pense qu’il y aura une tentative d’aligner davantage la politique chinoise sur celle de nos alliés européens et asiatiques, estime Ivo Daalder. Jusqu’à présent, l’approche de Joe Biden a été très unilatérale, à l’image de l’Inflation Reduction Act [NDLR : un ensemble de mesures protectionnistes]. Phil est très sensible à l’importance des alliés.” Jouer collectif, un mantra, pas seulement sur les terrains de football.




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