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Au travail, la lente mort de la traditionnelle pause déjeuner


“Vous allez déjeuner ?”. Qui n’a jamais entendu cet appel à 11h30 (quand on tourne devant la machine à friandises), à 13 heures ou même à 14 heures quand le restaurant d’entreprise est fermé et qu’il faut trouver un plan B pour manger ? Avec la pression sympathique du collègue en mode “on y va maintenant, non ?” et la déception à peine voilée quand on se retrouve en petit comité voire seul, si tous les autres sont pris. C’est ainsi que 54 % des salariés vivent la pause déjeuner comme un moment qu’ils attendent avec plaisir, tandis que 39 % n’y accordent ni plus ni moins d’importance, indique une étude de Flashs (organisme d’enquêtes statistiques) /Selvitys pour Openeat.fr (avril 2024).

Si la loi ne prévoit pas de pause dédiée spécifiquement au déjeuner, après 6 heures ininterrompues de travail, le salarié doit bénéficier d’une pause (non rémunérée) d’au moins 20 minutes consécutives. Or, cette traditionnelle pause méridienne a du plomb dans l’aile : selon une enquête Ipsos pour Danone de 2024, 90 % des Français affirment qu’il leur arrive régulièrement de : ne pas prendre de petit-déjeuner, sauter un repas, manger devant un écran, déjeuner sans s’asseoir, manger à des horaires non-fixes, grignoter pendant la journée ou manger trop vite. Le taux culmine à 97 % pour les 16-24 ans. Le “repas devant l’écran”, contraire à la loi (Art. R4228-19 du Code du travail) serait-il en passe de détrôner le rituel de la cantine, et ses longues files d’attente plateau en mains.

Les télétravailleurs “s’organisent autrement”

En 2015 déjà, le professeur Nicholas Bloom, professeur d’économie de l’Université de Stanford, avait constaté que dans les centres d’appels en Chine, les salariés à distance avaient augmenté leur temps de travail, en diminuant ou en supprimant les pauses, celle du déjeuner notamment, rapporte le Financial Times. Autrement dit, le déjeuner est mort, décrète l’expert : son analyse des données de Roam (plateforme de bureau virtuel) montre en effet qu’il n’y a pas de baisse d’activité pendant le déjeuner en cas de télétravail. “Habituellement, si vous regardez les données d’activité dans les bureaux – j’ai regardé la messagerie, les frappes au clavier, le VPN, les réservations de salles – vous voyez un double pic. Une activité atteint son apogée entre 10 et 11 heures et une autre de 14 à 16 heures. Il y a toujours une pause déjeuner claire. Dans les données sur l’activité du télétravail, l’écart de déjeuner a disparu – il n’y a pas de baisse pour le déjeuner”.

Cela ne concerne pas seulement les Chinois ou les Américains : “la structure des repas à la française est potentiellement mise en danger par l’avènement du télétravail. Si la majorité des Français déclare faire une vraie pause déjeuner en télétravail, un tiers des télétravailleurs ne prennent pas de réelle pause, ils mangent très rapidement, souvent derrière leur ordinateur”, indique Ipsos (Observatoire Alimentation & Familles de la Fondation Nestlé France, décembre 2021). Moins de 30 minutes de pause déjeuner pour 52 % des télétravailleurs contre 45 % quand ils sont au bureau (Flashs). Que font-ils à la place ? “Lorsque vous travaillez à domicile, vous mangez simplement devant votre ordinateur”, analyse Nicholas Bloom. Les travailleurs “accumulent” le temps et l’utilisent ensuite pour aller chercher les enfants, faire les tâches ménagères ou faire de l’exercice. “Vous prenez la pause, mais vous la prenez à d’autres moments”. Même constat en France pour Léa Paolacci, chargée d’études chez Flashs : si les télétravailleurs raccourcissent le temps du repas “ils en profitent pour finir des tâches domestiques, faire davantage de sport. Ils s’organisent autrement”.

Prendre le temps ou perdre son temps à déjeuner ?

Parmi les raisons mises en avant par l’experte : la généralisation du travail devant écran, la restauration à emporter qui facilite cette transformation de nos habitudes mais “où on ne prend plus le temps de s’attabler”. Elle note une crainte de leur pouvoir d’achat puisque 72 % des salariés utilisent aussi leurs titres-restaurant pour payer leurs courses alimentaires et que 73 % de ceux qui déjeunent au bureau avec des plats faits maison le font pour “des raisons économiques”. De plus, 29 % des salariés ne vont jamais au restaurant le midi. En outre, 29 % déjeunent toujours avec les mêmes collègues, 15 % en changent, 38 % mangent parfois seuls, parfois avec les autres et ils sont 18 % toujours seuls à table.

Vraie ou fausse convivialité ? Si 82 % des salariés estiment qu’un déjeuner collectif leur permet de renforcer leurs relations professionnelles, pour 32 % c’est “une obligation implicite” dont ils préféreraient se passer. Parmi eux, 58 % disent ne pas se sentir du tout intégrés à l’équipe et 44 % appartiennent à la “Gen Z” qui détricote le rituel “de la pause dej” en groupe, et relègue aux oubliettes le célèbre : “je réserve pour qui ?”.




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