“En réalité, la France vient tout juste d’arrêter le chef des communications de l’armée russe.” Le constat, à peine exagéré, est formulé par la chaîne Telegram militaire “PNV”, dès l’annonce de l’arrestation de Pavel Dourov à Paris, samedi 24 août. Il illustre l’inquiétude des canaux de communication militaires et proguerre, au développement exponentiel sur l’application Telegram depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine. La communauté des “voenkor”, ces Russes qui commentent les avancées du front, a en effet pris la garde à vue de quatre-vingt-seize heures de Pavel Dourov comme une menace directe sur l’existence de leur messagerie préférée. Libéré sous caution mais mis en examen, le dirigeant n’a pour l’heure pas le droit de quitter le territoire français.
“Il s’agit de la principale messagerie de guerre actuellement, une alternative aux communications militaires fermées, analyse le blogueur prorusse Andreï Medvedev. Désormais, la question de la création d’une messagerie militaire pour notre armée revêt une importance vitale. Car il est difficile de prédire combien de temps Telegram restera tel que nous le connaissons”, s’interroge-t-il auprès de ses 187 000 abonnés. “Ce sera très triste, et en même temps drôle, si l’arrestation de Pavel Durov devient le catalyseur d’un changement dans le contrôle des communications des forces armées russes”, a commenté l’influente chaîne “Rybar”, proche du ministère de la Défense russe.
Outil central de communication militaire
La plupart des unités de l’armée russe, bataillons ou pelotons, ont en effet recours à des espaces de discussion sur Telegram pour échanger sur leurs besoins, organiser des collectes d’argent ou l’achat de matériel militaire. Plusieurs personnalités russes ont d’ailleurs appelé à moins utiliser Telegram, même si l’application est peu sollicitée par la hiérarchie militaire pour des réflexions stratégiques.
Par ailleurs, le vaste réseau de “correspondants militaires” fournit régulièrement du contenu exclusif comme des vidéos d’opérations de combat, afin d’augmenter leur popularité et accroître leurs revenus.
Le dernier réseau qui résiste au contrôle de l’internet russe
En dehors de la galaxie militaire, l’arrestation de Pavel Dourov a suscité l’émoi d’une frange libérale de la population russe. Le hashtag “#LibertéPourDurov a pris une certaine ampleur en Russie, et des voix critiques ont pris la défense du fondateur de Telegram, comme Alexeï Venediktov, l’ex-rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou, aujourd’hui fermée. “C’est clair que cette affaire est politique”, a estimé le journaliste dans une interview ce 1er septembre, déplorant les ennuis judiciaires du fondateur de Telegram. Georgy Alburov, collaborateur de l’équipe de l’ex-opposant Alexei Navalny – mort en prison l’an dernier -, a déclaré que “l’arrestation de M. Durov, outre le fait qu’elle est, à en juger par les chefs d’accusation actuellement connus, extrêmement injuste […], est également un coup dur porté à la liberté d’expression”.
L’attachement des Russes à Telegram s’explique par un verrouillage de plus en plus strict d’Internet. Peu après le début de la guerre en Ukraine, les réseaux sociaux Facebook et Instagram ont été bloqués, et leur maison mère, Meta, a été qualifiée d'”organisation extrémiste”. WhatsApp n’a pas été touché par ce blocage. Mais mi-juillet, Anton Nemkine, membre de la commission de la Douma (chambre basse du parlement russe) sur la politique de l’information, les technologies de l’information et les communications, a laissé planer le doute. “Des mesures technologiques, telles que le ralentissement [de l’application], sont déjà appliquées à WhatsApp, a-t-il précisé dans un entretien. La prochaine étape pourrait bien être le blocage. Aucune décision de ce type n’a encore été prise.”
Les autorités russes ont également commencé à réduire fortement le débit d’accès aux vidéos YouTube, annoncé fin juillet 2024 par la Douma, en représailles à la censure opérée par le groupe Google, qui détient la plateforme, à l’encontre des chaînes d’utilisateurs russes pro-Kremlin. Dans ce contexte, Telegram reste le seul îlot plus ou moins exempt de ces restrictions, où des mouvements de contestation envers le Kremlin peuvent naître : la vidéo de l’annonce de la “marche sur Moscou” d’Evgueni Prigojine, l’ancien patron du groupe de mercenaires Wagner, a attiré 11 milliards de vues sur les chaînes russophones. Des initiatives civiles comme le mouvement des femmes et mères de soldats, exigeant une démobilisation de leurs fils au front y ont également vu le jour.
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