Que s’est-il réellement passé dans le ciel ukrainien le 26 août dernier ? Une semaine après le crash du F-16, les doutes quant à l’origine de la chute persistent. Il y a d’abord eu cette communication nébuleuse, survenue quatre jours après l’accident. Puis la déclaration d’une élue au Parlement l’imputant à un tir ukrainien. Enfin, le limogeage sans explications de Mykola Olechtchouk vendredi 30 août.
Une éviction qui n’a pas manqué d’alimenter les soupçons sur une possible responsabilité du haut gradé dans le crash de l’avion de chasse survenu en début de semaine. Ainsi, les hypothèses n’ont depuis eu de cesse de s’accumuler, de se superposer et de se contredire, accentuant un peu plus le mystère autour de l’accident qui a coûté la vie à l’un des pilotes les plus expérimentés d’Ukraine.
Une communication élusive
Rembobinons. Lundi 26 août, l’Ukraine subit ce que les experts décrivent comme l’attaque la plus importante depuis le début de la guerre : une pluie de quelque 200 missiles et drones d’attaques russes s’abat sur le territoire. En vol, dans le cadre d’une mission protection de l’espace aérien, une dizaine d’avions de chasse F-16, pilotés par des Ukrainiens, parviennent à détruire quatre missiles. Mais alors que l’un des engins est sur le point d’intercepter une autre cible, la liaison avec le poste de contrôle au sol se perd.
Aux commandes de l’appareil, un certain Oleksii Mes, surnommé “Moonfish” (poisson de lune, en français). Agé de 30 ans, ce natif de l’oblast de Khmelnitski dans l’ouest du pays, est un pilote confirmé, réputé pour avoir bataillé pour la livraison par les Américains d’avions de chasse F-16. Il faudra toutefois attendre trois jours pour que l’armée ukrainienne annonce sobrement son décès. “L’avion s’est écrasé, le pilote est mort”, déclare-t-elle dans un communiqué évasif publié le jeudi 29 août.
L’hypothèse d’un tir ukrainien
Sous le choc après ce premier crash d’un chasseur F-16, dont la flotte n’a été livrée à l’Ukraine que depuis le milieu de l’été, des voix s’élèvent. Une, en particulier, pousse les autorités à faire la lumière sur les causes réelles de l’accident : celle de la députée Maryana Bezuglaya, également membre de la commission de la défense au Parlement. L’élue émet l’hypothèse selon laquelle un tir ukrainien pourrait être à l’origine du crash de l’avion, le troisième abattu par erreur par les défenses antiaériennes ukrainiennes, selon elle. Et de lâcher : “Les deux incidents précédents, qui n’impliquaient pas de F-16, ont été officiellement imputés aux Russes.”
Mais l’élue ne s’arrête pas là. Dans une boucle Telegram, Maryana Bezuglaya s’en prend frontalement à la hiérarchie militaire, pointant une coordination technique défaillante entre les différentes unités. La parlementaire dénonce, entre autres, “la culture du mensonge” qui scléroserait le commandement militaire et s’interroge sur le fait “qu’aucun des généraux n’ait été puni”, citant notamment le nom du général Olechtchouk. Le même qui, le lendemain, quelques heures après avoir assuré “ne rien cacher” et martelé sa détermination pour “découvrir les causes de la catastrophe aérienne”, sera limogé par le locataire du Palais Maryinsky Volodymyr Zelensky, qui a promis l’ouverture d’une enquête approfondie.
La bureaucratie, “cancer” de l’armée ukrainienne ?
Samedi 31 août, deux hauts responsables militaires américains balaient d’un revers de la main les allégations de Maryana Bezuglaya, assurant qu’il est peu probable qu’un tir ami soit la cause de la chute du F-16. Et d’égrainer d’autres pistes à l’instar de problèmes mécaniques, ou d’erreur de pilotage. A nos confrères du New York Times, un ancien responsable de l’armée de l’air ukrainienne confirme que “de nombreux éléments auraient pu conduire à la perte du F-16”, citant notamment l’état de l’appareil mais aussi “des facteurs externes”. Il est, par exemple, possible que des fragments d’un missile détruit soient entrés en collision avec une des parties vitales de l’avion.
De leur côté, les analystes militaires ukrainiens insistent sur le fait qu’il est bien trop tôt pour spéculer sur les causes du crash, laissant toutefois entendre que des erreurs de coordination ne sont pas à exclure. D’autant que les systèmes de défense aérienne et les avions de chasse F-16 n’avaient, jusqu’au lundi 26 août, jamais travaillé ensemble dans des conditions aussi complexes. Or, au moment où les F-16 tentaient de détruire les missiles russes, trois systèmes défensifs différents étaient activés.
Un pilote en service actif, qui a accepté de se confier au New York Times, souscrit à l’hypothèse d’un manque de coordination entre unités de l’armée ukrainienne. Sous couvert d’anonymat, le militaire ukrainien, qui révèle suivre les instructions de manuels datant de l’ère soviétique dans le cadre de ses missions, dénonce une organisation de commandement “obsolète”. Et tacle : “La bureaucratie est le cancer de l’aviation.”
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